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Moyen Orient et Monde - Décryptage / Philippines

Dans sa guerre antidrogue, Duterte retourne sa veste contre la police

Depuis l'investiture du président philippin il y a 7 mois, plus de 7 000 personnes ont trouvé la mort dans le cadre de sa campagne antidrogue.

Le président Duterte s’était engagé à protéger les policiers, qui n’avaient pas à se « soucier des conséquences judiciaires ». Noel Celis/AFP

« Imbéciles, idiots. » C'est en ces termes que le président philippin, Rodrigo Duterte, s'est adressé mardi dernier aux policiers, après les avoir accusés la semaine d'avant d'être « corrompus jusqu'à la moelle ». Une rhétorique qui tranche avec le discours qui avait été jusqu'ici adopté par le président, dans le cadre de sa virulente campagne antidrogue.

Élu sur un programme ultrasécuritaire, l'ancien maire de Davao avait promis aux Philippins « des morgues qui se remplissent et des cadavres qui s'empilent », ceux des narcotrafiquants. En arrivant au pouvoir, le président provocateur n'a pas perdu de temps pour encourager la police et la population civile à se débarrasser de toute personne impliquée dans le trafic de drogue. « Si vous connaissez des toxicomanes, n'hésitez pas, tuez-les vous-mêmes. » M. Duterte s'était également engagé à protéger les policiers, qui n'avaient pas à se « soucier des conséquences judiciaires. »

Résultat : depuis son investiture le 9 mai 2016, plus de 7 000 personnes ont trouvé la mort dans le cadre de cette lutte antidrogue, selon les chiffres d'un rapport d'Amnesty International (AI), publié le 31 janvier 2017. La police nationale serait directement responsable de 2 500 homicides. Pour les plus de 4 000 morts restants, les circonstances sont encore floues. Mais les enquêtes menées par l'ONG ont révélé l'existence d'exécutions extrajudiciaires, des « homicides commis délibérément et en toute illégalité sur ordre du gouvernement, ou avec sa complicité ou son assentiment ». Ces opérations auraient été menées par des mercenaires payés par les autorités philippines, ou par des policiers eux-mêmes formés en « escadrons de la mort ». Selon des témoignages recueillis par Amnesty, « les policiers menaient des raids nocturnes, ne cherchaient pas à procéder à des arrestations et ouvraient le feu sur des personnes non armées », bafouant tout État de droit.

 

« Une guerre contre les pauvres »
L'ONG tire la sonnette d'alarme sur la réalité de cette politique sur le terrain. « Ce n'est pas une guerre contre la drogue, mais plutôt une guerre contre les pauvres », affirme Matthew Wells, conseiller pour le programme Réaction aux crises d'Amnesty International, à l'origine du rapport de l'ONG sur la situation philippine. Les opérations de police touchent particulièrement les populations pauvres, qui utilisent la drogue pour augmenter leur capacité de travail, et très peu les principaux narcotrafiquants. M. Duterte ne traite la question de la drogue qu'en surface et « ne cherche pas à s'attaquer au problème de fond », explique David Camroux, chercheur au CERI (Sciences Po).

L'important pour le président est de montrer des résultats, des chiffres, pour prouver que son administration agit. Mais l'implication de la police dans les exécutions extrajudiciaires met l'exécutif dans l'embarras. Car si, pendant sa campagne, sa promesse d'éradiquer la criminalité était acclamée, « l'approche qu'a adoptée le chef philippin dans sa lutte antidrogue, avec le nombre grandissant de morts, instaure une culture de la peur dans la population philippine », explique M. Wells.

Le cas de l'assassinat d'un homme d'affaires sud-coréen a notamment attiré l'attention sur les dérives de cette campagne meurtrière. En octobre 2016, des policiers philippins, prétextant une opération antidrogue, ont enlevé Jee Ick-joo à son domicile d'Angeles et ont extorqué une rançon de 5 millions de pesos (100 500 dollars) à sa femme, alors que l'homme d'affaires avait été étranglé le jour même de son enlèvement. Le ministre sud-coréen des Affaires étrangères s'était dit choqué par le sort réservé à l'un de ses ressortissants. Manille, qui cherche à attirer les investisseurs, tente de rattraper ce faux pas qui pourrait compliquer ses relations diplomatiques avec Séoul.

Face aux libertés prises par les forces de l'ordre dans le cadre de cette politique, Rodrigo Duterte a donc changé son fusil d'épaule. Il a annoncé la semaine dernière qu'il allait procéder à un « nettoyage de la police » (sans préciser ce qui se cachait concrètement derrière cette déclaration), sacrifiant les agents de la paix sur l'autel de sa popularité. La responsabilité de la guerre antidrogue passe ainsi aux mains de l'Agence philippine de la répression du trafic de drogues, avec le soutien de l'armée. « Reste à savoir si un changement de leadership va aller de pair avec un changement de stratégie », se demande Matthew Wells.

Confier la responsabilité de la campagne antidrogue à l'armée ne signe en rien la fin de ces groupes paramilitaires qui continuent de tuer les trafiquants de drogue présumés. Les autorités philippines restent soumises à des pressions du gouvernement, selon Matthew Wells, et sont poussées à fournir des résultats à M. Duterte. « Or, tuer a été défini comme un résultat positif par le président. »

 

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