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Moyen Orient et Monde - Reportage

Coupée en deux, Mossoul survit tant bien que mal

À l'est, l'État irakien, à l'ouest, la terreur de l'EI. Et entre les deux : la rivière Tigre, devenue une ligne de front et une frontière entre deux parties voisines mais diamétralement opposées.

Dans la partie libérée de Mossoul, le 3 février dernier, un marché aux étals bien fournis. Ahmed Saad/Reuters

La gueule émaciée, la bête se terre dans l'ombre à côté de la carcasse d'un poisson à moitié dévoré. Dans la cage adjacente, sa mère est étendue sur le flanc. La peau sur les os et les orbites apparentes, le parfum putride de la mort se mêle à celui de la terre humide. Elle n'a pas survécu à l'infection qui s'est propagée dans chaque membre de son corps frêle après que des fragments d'un obus se sont logés dans son ventre. Dans les quartiers libérés après des mois de combats, le lion de Mossoul est le dernier à vivre en cage.

« La vie était tellement ennuyeuse sous l'EI. C'était pire que d'être enfermé dans une cage. Au moins, derrière des barreaux, on est libre de faire ce que l'on veut. Mais nous, nous étions constamment surveillés », assure Ali Abed al-Jabar, un habitant du quartier de 23 ans. Pendant l'occupation des jihadistes, lui et ses amis n'avaient pas le droit de visiter le zoo, qui était réservé aux familles. Alors, pour la première fois depuis la libération, ils sont venus voir Simba le lion.

La deuxième ville d'Irak est le théâtre d'une guerre urbaine depuis que les forces irakiennes, appuyées par la coalition internationale dirigée par les États-Unis, ont lancé le 17 octobre une offensive visant à chasser le groupe État islamique (EI) de son plus important bastion. Fin janvier, le Premier ministre irakien Haider el-Abadi annonçait la reprise de toute la rive orientale de cette ville coupée en deux par la rivière Tigre.

« La Libération », « les Fleurs », « la Lumière » ou « le Sucre », les quartiers est de Mossoul rivalisent avec des noms plus lyriques les uns que les autres. Mais la douceur des mots ne suffit pas à faire oublier la brutalité des gestes. À certains endroits, chaque mur, chaque avenue porte les stigmates des combats acharnés qui ont opposé pendant des semaines forces irakiennes et jihadistes résolus à gagner ou à mourir. Face à une grande bannière aux couleurs du « califat », une petite fille armée d'un balai tente de nettoyer, seule, la mer de débris calcinés qui jonchent sa rue.

Une centaine de mètres plus loin, par-delà les façades criblées de balles et les cratères creusés par les frappes aériennes, un marché aux étals bien fournis rappelle que, des deux Mossoul, la partie orientale n'est pas la plus à plaindre. « De l'autre côté, il n'y a plus de travail et les gens sont pauvres. J'ai de la famille là-bas. Ils vivent au jour le jour », explique un marchand de fruits et légumes, un bonnet noir enfoncé sur la tête. « Les prix ont beaucoup augmenté. Comment que les gens vont faire pour ne pas mourir de faim ? » s'interroge-t-il en nettoyant ses oranges une à une à l'aide d'un chiffon.

 

(Lire aussi : À Mossoul, l'EI troue des maisons et fait payer les habitants)

 

À « La Jolie Demoiselle »
Dans le quartier d'al-Zouhour, « La Jolie Demoiselle » – rebaptisé « L'Honnêteté » pendant l'occupation de l'EI – était le premier restaurant de l'est à rallumer ses fourneaux. Sous l'EI, les provisions, plus rares et plus chères, provenaient de Turquie puis transitaient par la ville de Raqqa, en Syrie, pour finalement nourrir à Mossoul soldats et cadres de l'EI. Désormais, généraux irakiens, policiers et politiciens se bousculent pour déguster gâteaux aux noix, brochettes d'agneau cuites sur les braises ou une assiette de « pacha », une spécialité locale à base d'abats bouillis.

Un regain de popularité qui fait aussi craindre au propriétaire que son restaurant soit devenu une cible de choix. Alors qu'une bataille se prépare à l'ouest, l'est redoute que les cellules dormantes qui patienteraient cachées parmi la population civile commettent un attentat. « Un jour, les forces de sécurité ont arrêté un de mes clients. Apparemment, c'était un membre de l'EI », lâche Tarek el-Haïdar, le gérant du restaurant.

Dans la partie occidentale, de nombreuses familles sans revenu ne mangent qu'une fois par jour et sont obligées de brûler des meubles pour se chauffer, selon l'ONU, alors que les températures descendent souvent sous la barre du zéro degré. Dans ces quartiers où vivraient quelque 750 000 personnes, dont 300 000 enfants, les jihadistes se préparent à défendre leur dernier bastion contre un assaut qui devrait débuter ce mois-ci.

 

(Pour mémoire : Au moins 250 000 habitants pourraient fuir les combats à Mossoul)

 

Risques extrêmes
Perchés sur le toit d'une maison à deux étages, des membres d'une unité des forces du contre-terrorisme irakien gardent la rive orientale du Tigre. « Là-bas, dans les bâtiments en face, c'est l'ennemi », explique un officier en pointant l'horizon du doigt, interrompu par le rugissement d'une mitrailleuse lourde.

Les cinq ponts qui relient les deux rives ont été détruits par l'EI pour bloquer l'avancée des troupes irakiennes, ce qui n'empêche pas les jihadistes, depuis la berge opposée, de harceler les quartiers libérés avec des obus de mortier ou de petits drones qui leur permettent de lâcher des charges explosives juste au-dessus de leurs ennemis.

« À la lumière des informations que nous avons sur le terrain, l'offensive dans la partie occidentale sera moins difficile que dans la partie orientale », assure le lieutenant-général Abdelwahab el-Saadi, stationné près de la ville chrétienne de Bartella, à une vingtaine de kilomètres à l'est de Mossoul. « Nous avons tué des milliers de leurs combattants et détruit près d'un millier de leurs voitures piégées. Et le côté ouest est plus petit que l'est, donc ce sera plus facile et plus rapide », estime le commandant.

Pour autant, les organisations humanitaires ne cachent pas leur inquiétude pour les civils pris au piège à l'ouest. « Nous savons qu'ils encourent des risques extrêmes et nous craignons pour leur vie », a déclaré dans un communiqué Lise Grande, la coordinatrice humanitaire des Nations unies pour l'Irak.

« Nous ne savons pas ce qui se passera dans l'ouest de Mossoul, mais nous ne pouvons pas exclure la possibilité d'un siège ou d'un exode massif. À ce jour, près de la moitié des victimes de Mossoul sont des civils », a rappelé Mme Grande, qui craint que des familles soient victimes des tirs de feu croisés ou puissent être utilisées comme boucliers humains. Selon l'ONU, sept camps sont actuellement en construction pour accueillir les vagues de civils qui devraient fuir les combats.

 

 

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