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Moyen Orient et Monde - Chine

Ouïghours : la tentation de l’État islamique

L'organisation jihadiste attire de plus en plus les Chinois du Turkestan. Une tendance qui pourrait entraîner une reconfiguration de la lutte contre le terrorisme en Asie centrale et orientale.

Une patrouille antiterroriste passe devant un Ouïghour dans une rue d’Urumqi, dans la province du Xinjiang en Chine, le 23 mai 2014. Archives/Reuters

« J'ai vécu sous la répression des Chinois pendant soixante ans », souffle Mohammad Amin face à la caméra, arme à l'épaule et sa longue barbe clairsemée volant au vent. En juin 2015, l'organisation État islamique poste une vidéo de propagande dans laquelle des Ouïghours racontent comment ils ont quitté le Turkestan en Chine pour la Syrie. Mohammad a 80 ans et avec sa fille, ses quatre petits-enfants et sa femme, il fait partie des quelques centaines d'Ouïghours chinois ayant rejoint les rangs de l'EI.

Cette communauté vit au nord-ouest de la Chine, dans le Xinjiang, une région peu développée mais « stratégique pour Pékin car elle est riche en hydrocarbures et est un carrefour pour accéder à l'Asie centrale ex-soviétique », explique Emmanuel Lincot, professeur à l'Institut catholique de Paris et spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine.

Turcophones, musulmans, ils sont réprimés par le gouvernement chinois depuis de nombreuses années. D'après une étude du think tank New America, entre 1990 et 2010, le gouvernement associe peu à peu identité nationale et pratique musulmane ouïgoures à des menaces de sécurité nationale. Depuis, la République populaire justifie, au nom de la lutte contre le terrorisme, « une politique d'assimilation brutale et très extrême envers la religion », affirme Dilnur Reyhan, directrice de la revue Regard sur les Ouïghours. En 2014, après un attentat à Urumqi ayant fait une quarantaine de victimes, cette politique atteint son pic avec une intense campagne de déradicalisation : interdiction de pratiquer la religion, de porter le voile ou la barbe, surveillance de la fréquentation des mosquées.

La Chine souhaite présenter les problèmes qu'elle rencontre avec sa minorité du Xinjiang comme une question ayant trait à la guerre internationale contre le terrorisme d'el-Qaëda et de l'EI. Elle affirme que les Ouïghours radicalisés du Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO) s'entraînent en Afghanistan avec les jihadistes d'Oussama Ben Laden pour retourner un jour en Chine (voir encadré). Aujourd'hui, elle assure qu'ils rejoignent également l'EI. Les liens objectifs entre le MITO et l'organisation « sont le plus souvent diffus et se sont d'abord concrétisés avec el-Qaëda », tempère toutefois Emmanuel Lincot. Certains ont rejoint les rangs du Front al-Nosra – devenu Fateh al-Cham depuis sa rupture formelle avec el-Qaëda. Il n'a été fait état que très récemment de combattants étrangers ouïghours parmi les forces de l'EI.

 

(Lire aussi : Turquie: deux Ouïghours arrêtés après l'attentat contre la discothèque d'Istanbul)

 

Des routes différentes
Une division idéologique s'opère entre les Ouïghours proches d'el-Qaëda et ceux qui rejoignent l'État islamique. Eux « sont totalement opposés à la vocation nationaliste du Parti islamique du Turkestan », insiste Dilnur Reyhan, car ils ne veulent pas retourner dans leur pays d'origine. « Ils considèrent au contraire une installation de long terme », développe Nate Rosenblatt, qui a réalisé l'étude « All Jihad is Local » pour le think tank New America en récoltant les données d'un échantillon de 3 500 combattants étrangers dans les rangs de l'EI. Les Ouïghours de l'EI dont il a pu obtenir des informations n'ont pas suivi le même parcours que ceux d'el-Qaëda. La plupart n'ont jamais voyagé avant et ne sont pas passés par les camps d'entraînement d'Afghanistan et du Pakistan. Des 114 Ouïghours de son échantillon, aucun n'a d'ailleurs rapporté avoir combattu le jihad par le passé. Parmi les 15 qui ont confirmé avoir voyagé, la plupart sont passés par Singapour ou la Malaisie pour rejoindre la Syrie, empruntant ainsi une « route de passage complètement différente ».

« Ils cherchent un sentiment d'appartenance qu'ils n'ont pas chez eux », estime ce spécialiste du Moyen-Orient. C'est en partie une réponse à la volonté de Pékin d'inciter les Ouïghours à renoncer à leur identité religieuse et donc à toute éducation de l'islam en échange de la promesse d'un développement économique de la région.
De son côté, l'État autoproclamé leur vend le rêve d'une vie sans les restrictions imposées par la République populaire, visant ainsi « très intelligemment la communauté ouïghoure dans sa propagande », affirme Nate Rosenblatt. Une vidéo d'enfants apprenant le Coran illustre « le genre d'éducation que les familles ouïghoures ne recevraient pas en Chine », poursuit-il. D'après son étude, les Ouïghours constituent le cinquième bastion de combattants étrangers de l'EI, derrière trois régions saoudiennes et une région tunisienne.

En Chine, cette minorité représente près de 12 millions d'habitants. Mais à ceux-là s'ajoutent d'autres turcophones, ainsi que les Huis, des Chinois musulmans convertis. Au total, « ils sont au minimum 30 millions de musulmans, mais sûrement beaucoup plus », dénombre Dilnur Reyhan. La publication d'une vidéo de l'EI vantant les mérites de la mort au combat en mandarin, la langue officielle chinoise, laisse entendre que la propagande du groupe s'adresse aussi aux autres communautés musulmanes. Une menace qui dépasse d'ailleurs les frontières de la Chine et qui pourrait peser sur l'ensemble de l'Asie centrale et orientale, y compris sur la Russie.

 

 

Pour mémoire

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