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Culture - Roman

L’addiction sexuelle, attraction fatale, scannée par Leila Slimani

À trente-six ans, avec son second roman, elle vient de recevoir le prix Goncourt pour « Chanson douce ». Retour sur son premier opus, « Dans le jardin de l'ogre » (Gallimard, 215 pages), prix Flore en 2014.

Leila Slimani a le talent de faire une œuvre néo-flaubertienne ou balzacienne avec des ingrédients d’une décapante modernité. Joel Saget/AFP

Dans le jardin de l'ogre (Gallimard, 215 pages) de Leila Slimani. Ou l'enfer d'une érotomane, écrit sans état d'âme, sans compassion, sans cynisme ni provocation, avec, pour conclure aux dernières pages, un soupçon de vague poésie...
Non, il n'est pas passé inaperçu, son premier écrit. Et il n'a pas soulevé une levée de boucliers de la part des ligues de vertu ! Une histoire d'une femme mariée, par convention et conformisme, et qui, comme certains disent, a tout pour être heureuse. Mais c'était sans compter sur la part d'ombre qui pèse sur cette héroïne atteinte d'un troublant et grave mal de vivre. Car elle est malade d'une addiction sexuelle. Tout comme la drogue ou l'alcool, l'addiction sexuelle est une maladie. Qui se soigne. On en guérit ? Le roman et l'auteure ne le disent pas.
Comme un constat clinique, Leila Sleimani ne décrit pas ce que pense Adèle, son héroïne, mais ce qu'elle fait. Et ce qu'elle fait est redoutable et pitoyable. Pour tout regard hors de ce champ d'autodestruction, d'agitation, de défis glauques, inutiles et vains.
Elle a un métier en or (journaliste) qui lui donne la possibilité de voyager, de rencontrer des gens, d'avoir du temps libre. Elle a un mari médecin, charmant, guère macho et peu exigeant sur la chose. Un fils plutôt docile qui scelle sa conjugalité douteuse mais qu'elle ne sait pas trop comment aimer...
Et voilà que cette Emma Bovary ou Belle de jour, dans un monde actuel laxiste, strident et permissif, plonge dans le mensonge, la simulation et la dissimulation. Elle multiplie les aventures, anodines et presque grotesques. On serait tenté de dire aventures avilissantes mais ce serait faire de la morale et la morale n'a rien à faire ici.
Frissonner du dos n'est même pas le désir ou la quête de cette insatiable croqueuse d'hommes tout gabarit et acabit ! Le sexe pour le sexe, avec ce constant souci de séduire, de conquérir, de jouer de l'imaginaire érotique de ses innombrables partenaires victimes et éphémères amants.

Messaline urbaine
Érotisme, nymphomanie et érotomanie sont les maîtres mots de ce roman qui n'a rien d'érotique. N'allez pas croire à des scènes lascives, suggestives et appuyées. Au contraire, la jeune romancière a le talent de faire une œuvre néo-flaubertienne ou balzacienne avec des ingrédients d'une décapante modernité. Pour cette double vie multipliée comme un effet de miroir à l'infini, pour cette duplicité qui colle à la peau, pour ces démons intérieurs sentant le soufre et le stupre, des phrases courtes, acides, froides, laconiques. Aux mots précis comme des coups de scalpel, crus, violents. Sans fard ni gants.
Une dépendance sexuelle destructrice que l'héroïne traîne comme un boulet la conduisant droit au fond d'un gouffre. Son mari Lucien s'aperçoit du mal qui ronge sa femme, le diagnostique et tente, en médecin, de la guérir, de la soustraire à ses morbides aventures et de la surveiller au plus près. Dur combat, terrible bataille même dans cette maison et ce jardin à la campagne avec les amandiers, le silence, la solitude. Une fausse convalescence qui ne dure guère. On n'arrête pas le diable !
C'est dans une pirouette littéraire que se termine cette narration haletante qui prend à la gorge comme un thriller policier. À travers cette sordide accumulation de pseudo-conquêtes masculines, pour cette Messaline urbaine, Leila Slimani, franco-marocaine née à Rabat, place l'écran romanesque pour une interrogation (une de plus) sur le sens des libérations sexuelles.
Pour ces shoots du sexe incontrôlés et compulsifs, où se situent l'interdit, la moralité, le maintien, l'ordre, la dignité et la valeur des choses ?
Cela ne concerne pas seulement les femmes (même si la triste héroïne est ici d'une féminité d'écorchée vive) mais bien entendu les hommes, aussi. Une addiction sexuelle, avec les incroyables sollicitations, facilités et tentations contemporaines, est aujourd'hui un phénomène de société. La preuve, ce film Shame (La honte), signé Steve McQueen, qui a fait couler beaucoup d'encre et vient à point pour ce troublant topique en traitant du célibat masculin dérangé avec le talentueux Michael Fassbender.
Leila Slimani, en transposant le drame chez une femme mariée et mère de surcroît, loin de toute notion de frustration réelle, touche et émeut encore davantage. Pour les dévoiements de la sexualité, pour celles qu'on nomme avec dédain ou mépris les salopes, sans sensationnalisme, un livre qui se laisse littéralement dévorer. Tant pour sa narration au plus près du réalisme, en fait simple mais sobre et maîtrisée, ses qualités littéraires irréfutables, l'atmosphère vénéneuse et sulfureuse qu'elle suggère, la progression soutenue de l'action et des situations que pour les indéniables échos et réactions que ce livre percutant provoque chez un lecteur. Tous sexes confondus...

* « Dans le jardin de l'ogre » de Leila Slimani (Gallimard, 215 pages), édité aussi en collection de poche, en vente dans les librairies.

Dans le jardin de l'ogre (Gallimard, 215 pages) de Leila Slimani. Ou l'enfer d'une érotomane, écrit sans état d'âme, sans compassion, sans cynisme ni provocation, avec, pour conclure aux dernières pages, un soupçon de vague poésie...Non, il n'est pas passé inaperçu, son premier écrit. Et il n'a pas soulevé une levée de boucliers de la part des ligues de vertu ! Une histoire d'une...

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