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Moyen Orient et Monde - Éclairage / Terrorisme

La société jordanienne acceptera-t-elle les indispensables réformes ?

L'échec face à la radicalisation de nombreux jeunes a entraîné une multiplication des attentats et provoqué un débat national autour de la réponse à adopter, qui ne peut être uniquement sécuritaire.

L’hôpital italien de Karak, en Jordanie, où les victimes de l’attaque, dimanche dernier, ont été transférées. Photo Reuters

La Jordanie avait jusqu'à présent une bonne réputation en termes de déradicalisation. Le royaume avait créé un programme en 2008, initialement destinés aux jihadistes partis combattre en Afghanistan. Il permet aux détenus arrêtés pour faits de terrorisme de rencontrer psychologues, autorités religieuses et spécialistes de la réinsertion pendant six mois. À la sortie, plusieurs avaient alors condamné l'État islamique (EI), affirmant qu'ils n'étaient pas de vrais musulmans.

En 2014, une délégation belge s'était rendue à Amman pour étudier la méthode jordanienne en la matière. La ministre de l'Intérieur Joëlle Milquet s'était même dit « très intéressée » par cette approche. Une délégation sénatoriale française avait d'ailleurs fait elle aussi le voyage l'année suivante.

L'attaque terroriste qui a frappé Karak, dans le sud de la Jordanie dimanche dernier, semble mettre à mal cette apparence de succès. Inattendue, elle est pourtant la dernière d'une série d'attaques survenues ces derniers temps. Le pays a été frappé à quatre reprises cette année, dont un attentat-suicide qui avait entraîné la mort de sept gardes-frontières en juin.

Plusieurs éléments frappants apparaissent quand sont étudiés les profils des membres de la cellule jihadiste attaquée par la police jordanienne immédiatement après l'attaque. Tous ses membres étaient des Jordaniens, appartenant à des familles connues dans le pays. Ils étaient dans les fichiers des services de renseignements, qui jouissent d'une excellente réputation, et avaient déjà été arrêtés pour avoir tenté de faire le jihad en Syrie, avant d'être relâchés.

 

(Lire aussi : Opération de sécurité après l’attaque de Karak, quatre policiers tués)

 

Nécessaire, pas suffisant
Cela montre bien que la question jihadiste en Jordanie n'est pas importée, mais relève d'un problème intérieur, que le gouvernement ne réussit pas à régler. Suite à l'enlisement du conflit syrien, la Jordanie a opté pour une protection accrue de la frontière, afin d'empêcher l'infiltration de groupes terroristes syriens. Elle a négligé la lutte contre la radicalisation, qui aurait empêché l'éclosion de cellules terroristes sur son sol.

Selon les chiffres avancés par l'expert Hussein al-Rawashdeh, la Jordanie comptait en mars 7 000 jihadistes salafistes sur son sol, et 1 300 nationaux étaient alors en train de combattre dans les rangs de l'État islamique ou de Fateh al-Cham (ex-Front al-Nosra, branche syrienne d'el-Qaëda). Le phénomène n'est pourtant pas récent : dès les années 1970, de nombreux Jordaniens sont allés se battre pour le jihad en Afghanistan, avant de revenir.

La réponse du gouvernement jordanien à l'attaque de Karak a, pour l'instant, été essentiellement sécuritaire. Une approche qui pourrait permettre de nouvelles arrestations, alors qu'une opération de police à grande échelle est toujours en cours. Ces opérations sont coûteuses en effectifs, puisque onze policiers sont déjà décédés depuis dimanche, et ne règlent pas le problème de la radicalisation. Suite à l'attentat, le gouvernement a pris la décision de condamner plus sévèrement les coupables de crimes liés au terrorisme. Une réponse nécessaire, mais sûrement pas suffisante, pour faire face à la radicalisation.

De plus, le travail de renseignement semble avoir failli cette fois. C'est en effet seulement suite à la fusillade de Karak que les forces de sécurité jordaniennes ont découvert une importante cache d'armes, permettant des attaques d'ampleur, et révélant un financement important.

 

(Lire aussi : Attaques en Jordanie : des explosifs saisis, craintes pour le tourisme)

 

Dialogue global
Selon l'analyste jordanien Oussama el-Charif, la lutte contre le jihadisme doit passer par les écoles et les mosquées. Un grand nombre de ces dernières ne sont pas sous le contrôle de l'État, et des imams autoproclamés y prêchent. « Il nous faut agir dans les mosquées, où beaucoup de jeunes se radicalisent, et revoir les programmes scolaires, qui véhiculent des opinions extrêmement conservatrices et intolérantes », affirme-t-il à L'Orient-Le Jour.

Cependant, des tentatives passées de réformes des programmes scolaires avaient suscité une forte résistance de la société jordanienne. Le choc provoqué par les attaques récentes pourrait cependant la pousser à accepter des réformes. Oussama el-Charif ajoute que ces attentats « ont provoqué un débat national autour de la réponse à adopter, qui ne peut être uniquement sécuritaire ». L'intellectuel précise que la réponse ne peut pas venir du gouvernement seul. « Il faut un dialogue comprenant les différentes composantes de la société, afin de ne pas y mettre le feu », explique-t-il.

Le retour des Frères musulmans au Parlement en septembre dernier reste le symbole d'un conservatisme coriace dans la société jordanienne : les Ikhwane peuvent incarner une résistance aux potentielles mesures antiradicalisation. D'un autre côté, il s'agit de l'intégration du mouvement dans le jeu politique. Puissant dans la foulée des soulèvements arabes de 2011, il est aujourd'hui affaibli par des querelles politiciennes internes.

La résolution des problèmes économiques est également une partie de la solution. Le taux de chômage des jeunes est supérieur à 30 %. Même diplômés, nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à trouver un emploi. Parmi les terroristes impliqués dans les attaques récentes, beaucoup étaient dans cette situation.

 

 

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