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Culture - Exposition

Dans et sur Beyrouth, parce que le cœur vous en dit

À la galerie Janine Rubeiz, Paul Kupelian, artiste autodidacte, plonge au cœur de sa ville et n'en retient que le meilleur : ses couleurs. « Looking at the bright side »*, ou comment ne pas désespérer.

« Achrafieh » (2015) de Paul Kupelian, acrylique sur toiles, 140 x 120 cm.

Il y a ceux qui l'ont désertée, au premier franc-tireur embusqué ou au premier orgue de Staline. Ils se sont construits ailleurs, pour un quotidien plus décent, loin du chaos et de la misère grandissante, pendant qu'elle se consumait. Ils ont oublié jusqu'à la saveur verte de ses olives et le bleu salé de sa Méditerranée. Il y a ceux qui sont restés à ses côtés, faute de pouvoir l'abandonner, faute de moyens et de courage, témoins de conflits absurdes, victimes de leur obstination. Et il y a ceux qui l'ont retrouvée, comme aimantés par cette terre couverte d'ossements et de chairs desséchées, tels les hommes d'Ulysse charmés par les sons mélodieux des sirènes. Ils sont revenus forts de leurs convictions, leurs valises chargées de rêves et leurs rêves pour seule arme.
Elle ? C'est Beyrouth.

Une vieille tante
Sauf qu'elle n'a pas bougé, Beyrouth. Beyrouth, ville de toutes les contradictions et de tous les paradoxes, tantôt enchanteresse, tantôt traîtresse, tantôt obscure, tantôt scintillante de mille feux, aux senteurs de jasmin et aux effluves nauséabonds. Ville fantôme qui draine ses morts et supplicie ses vivants, ville putain qui vous prend un soir et vous hante le reste de vos nuits.

C'est vers elle que Paul Kupelian s'est retourné, n'ayant de cesse de la chercher ailleurs. C'est elle qui l'obsède et qui le fascine, c'est elle que ses tubes en couleurs crachent sur des toiles longtemps enfouies dans le grenier de son enfance, c'est elle qu'il scanne, qu'il sonde et qu'il honore.

Paul Kupelian, artiste par ses gènes et par son imagination déferlante, croque, dessine, gribouille et caricature depuis l'âge de 7 ans. Après avoir embrassé une carrière, géré, administré et s'être construit à l'ombre des chiffres, des commandes et des relevés de compte sans jamais perdre de vue l'enfant qu'il a été, le voici qui ouvre à 41 ans sa boîte de peintures, celle que lui avait offerte une vieille tante à l'âge où l'on s'extasie devant les pistolets à eau et les trains mécaniques ; le voici qui devient ce qu'il a toujours voulu être/été : un artiste.

 

(Lire aussi : Objets de désir dans une jungle de (faux) protocoles)

 

Beauté insultée
Dessiner est avant tout pour Paul Kupelian un geste thérapeutique. Contrairement aux artistes qui s'isolent, il aime peindre en musique ou entouré de ses enfants. Les pièces qu'il présente dans cette première exposition mettent en exergue ses préoccupations, son intérêt grandissant pour une ville qu'il affectionne.

Son œuvre, souvent axée sur la mécanique répétitive, engage le visiteur à prendre conscience de ces quartiers à caractère traditionnel et qui n'ont de traditionnel que leurs antennes qui se dessinent au haut de tours qui écorchent les nuages et insultent la beauté de cette ville trop souvent vêtue d'obscurité, tandis que la couleur de l'artiste se fait lumière. Dans une facture picturale propre à lui, il témoigne d'un style naïf et minimaliste, et quoi de mieux que l'art pour figurer l'absurde...

Résister
L'intervention de l'artiste reste profondément personnelle tant son imaginaire rejoint les plaisirs de son enfance par les goûters en jus, en biscuits et en chocolats que seul un enfant de cette ville peut reconnaître, et par les quartiers où il a grandi, par les épiceries où il aimait à se réfugier. Dans ses embrasements d'aplats et de rythmes vivement colorés, les mêmes immeubles sont déclinés en couleurs et en formes et, pourtant, on ne frise jamais l'overdose : face à chaque toile, l'humour rattrape le spectateur et le sentiment d'un déjà-vécu l'interpelle. Qui n'a pas pris, une fois dans sa vie, ce fameux bus aux couleurs bigarrées ? Qui n'a pas ri face à ce folklore d'affiches qui ponctuent les trajets et obstrue la vue de l'horizon ? Qui n'a pas tenté d'écraser un piéton pour rattraper sa journée ; qui n'a pas grogné, piégé dans un tourbillon inextricable de voitures ?

L'exposition est traversée par un symbolisme noir, celui de la réalité de tout citoyen de cette ville, auquel Paul Kupelian oppose un arc-en-ciel nimbé de sarcasme et d'humour, qu'il lance comme un appel à la résistance. Résister face à ce qui reste d'un Liban vert en sacs poubelles, face à une ville polluée par le gris du béton, face à ces quartiers qui ne respirent plus que le dioxyde de carbone et bousculer la vision de chacun en pointant du doigt et en transcendant la laideur, pour en rire, persévérer et surtout rester.
Car pour Paul Kupelian, la seule obscurité n'est pas l'immeuble de l'EDL (Électricité du Liban) éteint, mais un tarmac foulé par une jeunesse dépitée, en quête de meilleur.

*« Looking at the bright side »
à la galerie Janine Rubeiz, Raouché, Beyrouth. Jusqu'au 30 décembre 2016. Tél. 01/868 290.

 

 

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commentaires (2)

L'expression artistique s'éloigne de plus en plus de l'art. Il fut un temps où Beyrouth tenait des expositions dignes, étrangères à des jeux de facilité.

Skamangas Stelios

11 h 39, le 15 décembre 2016

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Commentaires (2)

  • L'expression artistique s'éloigne de plus en plus de l'art. Il fut un temps où Beyrouth tenait des expositions dignes, étrangères à des jeux de facilité.

    Skamangas Stelios

    11 h 39, le 15 décembre 2016

  • AUTODIDACTE PAS GRAVE MAIS AU MOINS QU,IL NOUS MONTRE QUELQUE CHOSE. C'EST QUOI CE QU'ON VOIT SANS ÊTRE MÉCHANT ?????

    Gebran Eid

    02 h 50, le 15 décembre 2016

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