Controverse et indignation après la visite du mufti de Damas

La visite du grand mufti de Syrie, le cheikh Ahmad Badreddine Hassoun, au président Michel Aoun et au patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, a soulevé dans le pays une vague d'indignation, que le responsable de la communication et du protocole à Bkerké, Walid Ghayyad, s'est efforcé hier d'apaiser.
« La visite du grand mufti de Syrie à Bkerké est une visite de protocole d'un homme de religion au chef de l'Église maronite au Liban. Elle n'est porteuse que d'un seul message, celui du discours religieux qui prône le dialogue, la réconciliation et la fraternité », a déclaré hier M. Ghayyad à l'agence al-Markaziya, dans une mise au point des circonstances de la visite.
Pour M. Ghayyad, les propos du mufti n'engagent que lui-même. « Et bien qu'il les ait prononcés à Bkerké, ils n'impliquent en rien l'hôte ou le poste », a assuré le responsable de Bkerké, avant de poursuivre : « Le grand mufti de Syrie a parlé en utilisant un langage syrien, tout comme le patriarche Raï a adopté un langage libanais lors de sa visite en Syrie. »
Le dignitaire syrien, proche du régime, avait notamment affirmé qu'Alep n'avait « pas été détruite comme certains l'auraient voulu » et que les « terroristes » (les rebelles) allaient s'en retirer bientôt. Il avait aussi tenté de faire état d'une empathie entre le régime de Bachar el-Assad en Syrie et le mandat de Michel Aoun au Liban.
« Le geste de solidarité avec le peuple syrien, dont les chrétiens syriens, adressé par le patriarche est un message humain », toujours selon M. Ghayyad. « Nous regrettons que certains essaient de profiter de cette visite pour en faire une histoire, et nous voudrions rappeler que cette visite du grand mufti de Syrie à Bkerké n'est pas la première, le patriarche Sfeir l'ayant reçu auparavant », a-t-il affirmé.
M. Ghayyad a tenu à préciser qu'il serait indécent de la part de Bkerké de refuser un rendez-vous, d'autant que la personne qui le demande s'est rendue à Baabda et s'est entretenue avec le président de la République.
Dans les rangs du 14 Mars, le ton était à l'indignation. Marwan Hamadé, député du Chouf, a considéré que la visite du mufti syrien à Baabda et Bkerké avait pour but de « mettre dans l'embarras » le président Michel Aoun et le patriarche Raï. « La visite porte des messages provocateurs à l'égard de larges tranches de la population, notamment en cette période sanglante que connaît Alep », a-t-il ajouté.
Moustapha Allouche, membre du directoire du courant du Futur, a estimé pour sa part que cette visite est « une tentative de forcer le président de la République à adopter une position dans laquelle il ne voudrait pas se trouver ». « Le régime syrien est inquiet du nouveau mandat et du président Michel Aoun qui se tient à égale distance de tous », a-t-il dit, estimant par ailleurs qu'avec sa visite à Bkerké, le mufti syrien « essaie de se positionner en protecteur des minorités et des chrétiens ».
« La visite du mufti Hassoun, exclusivement consacrée à deux symboles maronites, est un message à la communauté maronite, qui a payé cher le prix de son opposition au régime syrien », a fait remarquer de son côté le député Nadim Gemayel. « La déclaration de Bachar el-Assad dans laquelle il juge que Le Liban ne peut être tenu à l'écart du brasier qui l'entoure est un message clair à la communauté, et nous refusons de recevoir des messages d'un régime criminel », a-t-il ajouté.
Le général à la retraite Wehbé Katicha, conseiller du chef des FL, a estimé quant à lui que la visite du mufti est « une réponse du régime syrien à la visite de responsables des pays du Golfe au président Michel Aoun », d'autant plus que ce dernier entend réserver à Riyad son premier déplacement officiel à l'étranger. « Le régime syrien se trompe s'il pense pouvoir assiéger le nouveau mandat, parce que le président Michel Aoun est à égale distance de tous », a-t-il conclu.

Saydet el-Jabal
Dans le même cadre, le Rassemblement de Saydet el-Jabal, qui regroupe des personnalités chrétiennes modérées, a souligné dans un communiqué que la visite au Liban du grand mufti de Syrie a « choqué une grande partie des Libanais, notamment les chrétiens, d'autant que le mufti a fait exprès de visiter exclusivement les instances maronites et de se prononcer depuis les sièges religieux et politiques pour envoyer des messages au Liban ».
Dans un communiqué, Saydet el-Jabal met en exergue les points suivants :
« – La tentative d'associer les maronites à un régime assassin est catégoriquement rejetée. Les maronites n'ont jamais été et ne seront jamais aux côtés de ceux qui tuent des innocents et des enfants. Ils sont libres et le resteront.
« – Les instances nationales libanaises ne sont pas des boîtes postales à la disposition des protagonistes et Saydet el-Jabal déplore la façon dont on utilise ces tribunes afin d'embarrasser ceux qui y président.
« – Saydet el-Jabal souhaite que le patriarche maronite Béchara Raï insiste sur les constantes de l'Église, laquelle est une Église d'espérance pour tous.
« – Le Rassemblement demande au président de la République de rester à l'écart de la politique des axes.
« – L'accueil réservé par ces instances au mufti de Syrie ne représente pas les aspirations du peuple libanais ni la conscience chrétienne. »