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Santé

Pour des antibiotiques qui fonctionnent

Carlos F. Amábile-Cuevas est directeur de la fondation Lusara, une institution de recherche privée à but non lucratif, basée à Mexico.

De la découverte de la pénicilline en 1928 à l'introduction des plus récentes familles d'antibiotiques majeures dans les années 1960, la capacité de l'être humain à combattre les bactéries pathogènes a profondément évolué. Toutefois, au fil des années, le nombre d'antibiotiques auxquels les bactéries sont sensibles a diminué, et certains pathogènes sont devenus résistants à la plupart ou l'ensemble des médicaments existants. De ce fait, des infections autrefois traitables sont de nouveau mortelles.
D'après les estimations, la résistance aux antibiotiques conduirait d'ores et déjà à 700 000 décès chaque année, pour un coût financier atteignant plusieurs dizaines de milliards de dollars. À l'heure où la résistance aux antibiotiques ne cesse d'affecter notre capacité à traiter les cancers, transplanter des organes, implanter des prothèses, ce chiffre ne fera qu'augmenter.
De nombreux facteurs ont contribué à augmenter cette résistance aux antibiotiques. Les bactéries sont capables de se reproduire et de muter rapidement. Elles peuvent aussi établir une sorte d'« Internet génétique » permettant à certaines bactéries pathogènes de « télécharger » des gènes résistants aux antibiotiques. De plus, la plupart des antibiotiques sont les produits naturels de bactéries présentes dans les sols, où la résistance aux antibiotiques peut se produire tout aussi naturellement. Lorsque les antibiotiques produits par l'homme ont été introduits à grande échelle, ce sont les bactéries résistantes qui sont devenues dominantes.
Aujourd'hui, les êtres humains libèrent environ 100 000 tonnes d'antibiotiques chaque année. Si ces antibiotiques étaient utilisés à bon escient et pour sauver des vies, une analyse coûts-avantages raisonnable serait possible. Or près de 70 % d'entre eux sont utilisés pour accélérer la croissance du bétail. Les 30 % restants, même s'ils sont utilisés pour soigner les êtres humains, sont bien souvent prescrits de manière inadaptée, voire inutilement. Et, puisqu'une importante part des médicaments consommés est libérée dans l'environnement à travers les eaux usées et les excréments du bétail, les communautés bactériennes des sols, des eaux et de la faune y sont également exposées.
Si cet usage abusif des antibiotiques ne cesse pas prochainement, nous serons bientôt privés de médicaments nous permettant de traiter efficacement les infections bactériennes. Et, bien que certaines démarches soient entreprises – une réunion de haut niveau à l'Onu ayant préconisé au mois de septembre plusieurs mesures internationales –, ces efforts sont extrêmement insuffisants.
Ce qu'il faudrait, c'est une interdiction mondiale et immédiate de l'utilisation des antibiotiques dans l'agriculture. De plus, il faudrait repenser et renforcer les recommandations pour l'utilisation clinique des antibiotiques, que la communauté médicale respecte maintenant avec le même sérieux que celui d'un homme qui choisirait sa cravate. À elles seules, ces deux mesures – qui peuvent en théorie être adoptées par les agences réglementaires gouvernementales – permettraient de réduire de près de 80 % l'utilisation des antibiotiques, et, par conséquent, de ralentir significativement l'augmentation de la résistance aux antibiotiques.
Bien entendu, il ne sera pas facile de mobiliser les gouvernements autour de telles mesures, tant que celles-ci vont à l'encontre des intérêts des puissances économiques, principalement de l'industrie pharmaceutique, qui vend chaque année des antibiotiques pour une valeur de 40 milliards de dollars. Alors que les grandes compagnies pharmaceutiques ont intérêt à ce que la consommation abusive des antibiotiques se poursuive, elles n'ont aucun intérêt à développer de nouveaux antibiotiques qui permettraient de combattre les bactéries résistantes. Les produits destinés à traiter les maladies chroniques et les cancers sont bien plus avantageux pour leur chiffre d'affaires.
Donc, les grandes sociétés pharmaceutiques recherchent des « incitations » pour poursuivre la recherche et le développement de nouveaux antibiotiques, comme le fait de prolonger les brevets ou encore des exemptions fiscales. L'alternative consisterait à vendre ces médicaments à des prix astronomiques. Or les avantages conférés aux sociétés pharmaceutiques dans le cadre de tels mécanismes incitatifs vont bien au-delà des seuls coûts liés à la recherche et au développement. Ces avantages constitueraient également des outils permettant de canaliser des fonds publics en direction d'acteurs privés – dont le comportement est précisément à l'origine du problème.
Au-delà de toutes ces démarches consistant à agiter la carotte, il incombe davantage aux sociétés de penser à faire usage du bâton. Je propose une initiative consistant à attribuer une note aux sociétés pharmaceutiques en fonction de leur contribution à la résolution du problème de la résistance aux antibiotiques. Celles qui ne contribueront pas seront sanctionnées par de moindres ventes. C'est ce que j'appelle l'initiative Nanbu (No Antibiotics, No Business ou pas d'antibiotiques, pas de business).
L'initiative Nanbu consisterait à octroyer des points aux sociétés entreprenant activement des programmes de recherche ou qui ont de nouveaux antibiotiques dans leur filière de développement. Obtiendraient également des points les compagnies qui ne fabriquent pas ou ne commercialisent pas des antibiotiques à des fins agricoles ou qui refusent de promouvoir l'usage des antibiotiques pour des maladies qui ne nécessitent pas de tels médicaments. Les sociétés agissant de la manière inverse – en vendant des antibiotiques aux « stimulateurs » de la croissance du bétail ou en encourageant les médecins à prescrire des antibiotiques – perdraient quant à elles des points.
Dans un premier temps, la quasi-totalité des sociétés pharmaceutiques enregistreraient un score négatif. Les notes commenceraient toutefois à s'ajuster au fil du temps, conformément aux sages recommandations scientifiques d'un groupe d'experts indépendants. Ces notes pourraient ensuite être utilisées pour orienter les décisions d'achat de médicaments.
Pour un même type de médicament, il existe très souvent plusieurs produits issus de sociétés différentes, mais présentant la même efficacité et innocuité. Les médecins pourraient ainsi prescrire principalement les médicaments des sociétés les mieux notées et éviter les produits des sociétés enregistrant un mauvais score. Les patients pourraient de leur côté encourager un tel processus décisionnel et agir en ce sens lors de leurs achats à la pharmacie. Avec le temps, les antibiotiques pourraient redevenir rentables, puisque les sociétés les plus impliquées parviendraient à vendre un plus grand nombre de leurs autres médicaments et que le besoin de coûteuses démarches incitatives diminuerait.
La clé du succès de l'initiative Nanbu consistera à obtenir une compréhension étendue de la menace que représente la résistance aux antibiotiques et les moyens de la combattre. Cette prise de conscience conduirait les patients et les médecins à prendre en considération les notes Nanbu dans leurs choix de médicaments et exercer une pression sur leur gouvernement pour qu'il prenne des mesures encore plus fermes. Le recours à une telle sensibilisation de l'opinion publique, pour intensifier la pression sur les gouvernements pour introduire des mesures difficiles mais nécessaires, a déjà réussi par le passé, comme la gestion durable des ressources forestières et de la pêche.
La sensibilisation du public figurait au nombre des priorités de la réunion des Nations unies. Pour réaliser cet effort global, nous avons cependant besoin d'une nouvelle institution mondiale, qui soit à la hauteur de la tâche. L'initiative Nanbu, sous la forme d'une ONG internationale, permettrait de faire face à la nature transnationale de la plupart des sociétés pharmaceutiques, tout en étant à l'abri des lobbies et des pressions politiques au niveau national.
Les bactéries résistantes aux antibiotiques constituent une menace globale qui ne peut pas être appréhendée par de simples mesures nationales. Le monde doit se pencher sur cette question et se serrer les coudes pour préserver les formidables avancées accomplies sur le plan de la santé et du bien-être grâce aux antibiotiques.

© Project Syndicate, 2016.

De la découverte de la pénicilline en 1928 à l'introduction des plus récentes familles d'antibiotiques majeures dans les années 1960, la capacité de l'être humain à combattre les bactéries pathogènes a profondément évolué. Toutefois, au fil des années, le nombre d'antibiotiques auxquels les bactéries sont sensibles a diminué, et certains pathogènes sont devenus...

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