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Lifestyle - Beyrouth insight

Karen Klink, dans leur peau

Pour quelques heures, elle se met (presque) dans la peau de l'autre, effleurant du bout de son instrument de torture magique l'âme de sa victime consentante. Quand Karen Klink dessine des tableaux sur les corps, elle est dans son (autre) monde.

La pièce est propre, nickel, lumineuse. Au sol, des toiles où l'on reconnaît sa touche minutieuse et sa prédilection pour les animaux qui deviennent très vite des personnages de contes modernes. Et des tatouages. Dans cette vieille maison libanaise, Karen Klink a déposé ses bagages, ses instruments de travail, sa chaise longue médicale et son talent pour s'adonner, durant quelques jours de (fausses) vacances au pays, à sa passion préférée: le tatouage. La liste est longue, les réservations se font des semaines avant la date de son arrivée, pour prendre sa place et la laisser déposer sur la partie du corps choisi les traces indélébiles de ses inspirations.

Cette rencontre, car il s'agit toujours d'une rencontre à la fois personnelle et professionnelle, Karen Klink la vit à chaque fois comme si c'était la seule. Un moment de travail qui requiert une grande concentration, certes, mais aussi un moment d'intimité et de partage avec son «client», ami ou inconnu. «Durant une session, le temps s'arrête, nous sommes dans un moment présent illimité durant lequel la personne accepte de modifier son corps d'une manière définitive, sans craindre que ce tatouage ne les lasse un jour ou prenne des rides avec le temps.»

Les cheveux longs, lâchés sur ses minces épaules, apparemment fragiles, le visage doux, les mains effilées, le regard de l'artiste et son geste patient et sûr balaient les idées reçues au premier coup d'œil. Loin du cliché (rassurant ou pas du tout) du tatoueur supertatoué, baraqué, musclé, la jeune femme, qui n'a que deux à trois petits tatouages discrets et non visibles sur le corps, est déjà concentrée. Les instruments sont alignés, aseptisés. Quelques mises au point plus tard, la voilà presque prête. C'est alors qu'elle porte ses gants, relève ses cheveux et, d'un seul coup, dégage un pouvoir nouveau. Karen Klink est dans son pays des merveilles, souvent surréaliste, dont elle contrôle chaque feuille, chaque arbre, chaque animal qu'elle va recréer sur un bras, un dos, une hanche ou une jambe à la fois abandonnés et tendus.

Fictions
«Toute jeune déjà, les idées, les objets ou encore la nature se transformaient en personnages irréels puisés dans mon imagination. Et je continue à le faire aujourd'hui dans mon travail. Le cinéma et la musique m'ont toujours fascinée, mais c'est lorsque j'ai découvert les bandes dessinées que j'ai commencé à m'intéresser à l'illustration.» Karen Klink a appris la direction artistique et la publicité à l'Alba.

«Une année d'illustration m'a suffit pour savoir réellement ce que je voulais faire», confie-t-elle. Fin 2006, elle plie bagages et s'envole, destination Barcelone, pour suivre un atelier de travail en beaux-arts. Cette ville est ainsi devenue sa seconde patrie, celle du cœur. Elle y réside encore dix ans plus tard! «Barcelone était un choix spontané. En fait, j'ai présenté des demandes dans plusieurs écoles et j'ai pris la première qui m'avait acceptée. Quelques mois plus tard, j'étais tombée sous le charme de cette ville qui ressemble en plusieurs points à Beyrouth.»

Outre ses différents emplois en free-lance dans l'illustration, la photographie et la direction artistique, Karen Klink développe peu à peu une fascination et un réel talent pour le tatouage. «Se lancer dans cette aventure n'était pas chose facile. Il y a un an et demi, après m'en être approché lentement, j'ai décidé d'apprivoiser les instruments. C'était immédiatement une révélation. Je dois tenir ça de mon père qui est dentiste! J'ai passé mon adolescence à l'assister dans son cabinet, entourée d'instruments et de piqûres, noyée dans le son de la fraise...» «Chaque geste, poursuit-elle, me remplit de bonheur, même le plus anodin, même la préparation, qui prend des airs de rituel. Contrairement à la peinture, qui est un exercice solitaire, le tatouage me permet de connecter avec d'autres personnes et d'échanger nos attentes et nos visions.» Son bonheur vient également de cette totale liberté qui lui permet de créer, de dessiner des personnages parfois bizarres, des «mutants», loups, chats, singes, poissons, méduses, oiseaux, tigres, qui font partie de son univers et de son imaginaire.

Quatre heures ont passé depuis le début de cette séance où le divan et même la douleur deviennent thérapeutiques. La main de Karen Klink n'a pas bronché, n'a pas relâché la tension, n'a pas hésité un instant. Seuls ses yeux légèrement fatigués, comme enfin débarrassés de cette rage de faire, trahissent une émotion. Elle s'arrête, lance un dernier regard sur son œuvre, cette pièce unique à partager à deux ou plus, si affinités. Puis elle sourit.
L'artiste sera à Beyrouth du 27 décembre au 13 janvier.

La pièce est propre, nickel, lumineuse. Au sol, des toiles où l'on reconnaît sa touche minutieuse et sa prédilection pour les animaux qui deviennent très vite des personnages de contes modernes. Et des tatouages. Dans cette vieille maison libanaise, Karen Klink a déposé ses bagages, ses instruments de travail, sa chaise longue médicale et son talent pour s'adonner, durant quelques jours...

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