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À la soupe !

Pour un peu on les plaindrait, allez. Annonçant la semaine dernière son ralliement à une présidence Aoun, Saad Hariri ne manquait pas de souligner l'énorme sacrifice qu'un aussi spectaculaire revirement représentait pour lui. Lui répondant du tac au tac, Hassan Nasrallah disait aussitôt combien il lui en coûtait de voir revenir aux affaires le chef du courant du Futur. Toute gêne ravalée, ils ont de bonnes raisons pourtant, l'un et l'autre, de se frotter les mains. Le premier rentre enfin d'un long et ruineux exil forcé et récupère une place de choix au chaud soleil du pouvoir. Et le second peut se targuer d'avoir réussi à placer, au sommet de l'État, son champion de la première heure, même si en réalité, il ne lui aurait pas trop déplu, malgré ses dénégations, de voir se prolonger quelque peu la vacance présidentielle et la déliquescence des autres institutions.


En définitive, le sacrifié c'est qui ? Pour peu que demeure inchangée la façon de gérer les affaires publiques, le citoyen ordinaire n'aura aucun mal hélas à trouver la réponse tout seul. C'est à une phénoménale majorité certes que l'Assemblée qui a élu Michel Aoun à la présidence s'est acquittée aussi du second terme du troc en portant triomphalement au Sérail Saad Hariri. Même l'exigence d'un consensus intercommunautaire, désormais érigée en règle, a été satisfaite, avec le vote positif consenti par la moitié modérée du tandem chiite Amal-Hezbollah. Mais malgré l'optimisme de rigueur marquant tout début de règne, malgré l'évidente volonté du président Aoun d'aller vite en besogne, un éventuel retour aux vieilles pratiques ne pourra – une fois de plus, une fois de trop – que produire les mêmes et désastreux effets dont souffre le pays depuis des années.


L'union fait la force, dit l'adage. Erreur : pas toujours au Liban, du moins pas pour ce qui est de ces gouvernements dits d'union nationale ; au stade de leur formation avant même que de leur fonctionnement, ceux-ci donnent invariablement en effet les plus grands signes de désunion, dès lors qu'on en vient au partage du gâteau. Déjà la compétition est serrée pour l'attribution des ministères régaliens : Intérieur, Défense, Affaires étrangères et Finances. Mais non moins prisés par certaines Excellences sont les départements dits de services, à forte teneur en jus, qui roulent aux adjudications. Conformément à la triste tradition, on s'est longtemps sucré à l'asphalte des routes, au ciment des ouvrages publics, ou à ces kilowatts qu'on importe pour vous à prix d'or mais qu'il vous faut chercher à la bougie. Comme on n'arrête pas le progrès, pétrole et gaz offshore se sont mis de la partie, apportant un nouvel et puissant arôme à la bonne soupe.


Que par miracle chacun s'estime convenablement servi, et il restera encore à s'assurer que l'on a, dans cet assemblage hétéroclite, un cabinet homogène, solidaire, capable d'apporter des solutions valables aux innombrables problèmes en suspens : tout cela à l'abri des hérésies constitutionnelles telles que le tiers de blocage, du chantage, des sabordages à l'aide de démissions massives, comme cela s'est trop vu dans le passé. À l'aube d'une ère que l'on veut nouvelle, celle de la réactivation des institutions, la classe politique libanaise est tenue de renouer avec la règle du jeu démocratique. C'est là le seul sacrifice qui mériterait d'être salué.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Pour un peu on les plaindrait, allez. Annonçant la semaine dernière son ralliement à une présidence Aoun, Saad Hariri ne manquait pas de souligner l'énorme sacrifice qu'un aussi spectaculaire revirement représentait pour lui. Lui répondant du tac au tac, Hassan Nasrallah disait aussitôt combien il lui en coûtait de voir revenir aux affaires le chef du courant du Futur. Toute...