Barack Obama et Vladimir Poutine lors d’un déjeuner à l’Onu le 28 septembre 2015. Photo AFP
La Russie se rêve à nouveau en superpuissance. Elle parle en tête à tête avec les Américains de l'avenir de la Syrie. Elle déploie des missiles antiaériens S-300 à Tartous et menace de les utiliser en cas d'intervention militaire américaine contre Bachar el-Assad. Elle évoque la possible réouverture de ses bases militaires au Vietnam et à Cuba. Elle encaisse les critiques des Occidentaux qui l'accusent de commettre des « crimes de guerre » à Alep, balaie d'un revers de main cette « rhétorique politique » et poursuit son opération visant à détruire toute forme d'opposition armée dans la deuxième plus grande ville de Syrie.
Il n'en faut pas davantage pour éveiller le spectre d'un retour de la guerre froide. À en croire certains grands titres de la presse occidentale, l'histoire serait en train de se rejouer entre une Russie « humiliée » et « revancharde » et une Amérique « impériale » et « provocatrice ». Les conflits ukrainien et syrien seraient la confirmation de cette nouvelle donne géopolitique.
Si elle peut apparaître rassurante, parce qu'elle fait référence à une période connue de tous et à une époque marquée par une certaine angoisse de l'avenir, la thèse d'un retour à la guerre ne sert pas à grand-chose si l'on veut comprendre ce qui se joue actuellement. La guerre froide était, entre autres, une opposition idéologique entre deux blocs clairement distincts dans un monde bipolaire, qui s'affrontaient militairement de façon indirecte sur plusieurs théâtres extra-européens. Rien de tout cela actuellement. Les blocs n'existent plus. Les frontières idéologiques ne sont pas toujours claires. Le monde n'est plus bipolaire, mais plutôt en voie de multipolarisation. Et malgré de fortes tensions sur plusieurs dossiers, Moscou et Washington ont essayé à plusieurs reprises de surmonter leurs divergences, notamment sur le dossier syrien, pour renforcer leur coopération.
Les partisans de la thèse d'un retour à la guerre froide ont tendance à surestimer la réalité de la puissance russe. Moscou a su profiter des atermoiements des Occidentaux pour marquer des points en Syrie et en Ukraine. Mais cela relève de la tactique davantage que de la stratégie et la Russie aura du mal à en tirer les dividendes à moyen et long terme. En enfreignant le droit international, elle prend plutôt le risque d'être mise au banc de la communauté internationale, en témoigne le seul soutien du Venezuela au Conseil de sécurité pour contrer la résolution française concernant la Syrie, le samedi 8 octobre.
(Lire aussi : À la télévision russe, la Troisième Guerre mondiale a déjà commencé)
Le côté obscur
L'ours russe n'a ni les moyens économiques (ultradépendants de ses ressources énergétiques) ni les capacités humaines (avec une démographie en baisse constante) pour rivaliser avec les États-Unis, ni même avec la Chine. Les médias russes ont beau évoquer ces derniers jours l'imminence d'une Troisième Guerre mondiale, l'idée d'une confrontation directe entre Russes et Occidentaux semble aujourd'hui assez improbable.
Cela ne veut pas pour autant dire que la menace n'existe pas. Les tensions actuelles sont bien réelles et la Russie donne l'impression de vouloir tester les limites de l'inaction américaine. Moscou en profite, comme il profite de l'anti-américanisme, toujours ambiant, notamment en Europe et dans le monde arabe, pour essayer d'imposer sa vision des relations internationales.
Vladimir Poutine l'a dit très clairement : il rêve d'un nouveau concert des nations, référence à une époque où les grandes puissances se partageaient des zones d'influence en Europe au mépris des plus petites. Il veut parler d'égal à égal avec les Américains. Mais surtout, il se veut le chantre des valeurs conservatrices opposées à la décadence occidentale. Et c'est peut-être là sa meilleure carte. La révolution conservatrice gagne du terrain, un peu partout, particulièrement en Europe, à l'Est comme à l'Ouest. Elle remet en question les valeurs, pas toujours respectées, de démocratie ou de respect des droits de l'homme, entre autres, sur lesquelles était fondé l'ordre international depuis la fin de la guerre froide. Pour lui substituer le culte de l'homme fort, de la nation et de la religion.
« Le côté obscur est en train de se réveiller », résume Kunihiko Myake, directeur de recherches à l'institut Canon pour les études internationales, et ancien conseiller du Premier ministre Shinzo Abe. Cela ne signifie pas un retour aux années 1930, ni à la guerre froide, mais plutôt un contre-projet à la mondialisation actuelle, né de ses propres excès. Et qui en déstabilisant le monde occidental – en permettant la possibilité d'une arrivée au pouvoir d'un Donald Trump par exemple – fait le jeu de Vladimir Poutine.
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commentaires (7)
Beaucoup de baratins autour de la Russie et des USA Pendant ce temps, Alep est lourdement bombardée, des civils innocents meurent et ces deux blocs font des réunions pour nous faire croire qu'ils ont une solution pour la Syrie Il faudra bien rendre compte de ces crimes un jour. Nous sommes en face de Hitler (Damas) et de Staline (Moscou). Nous, les libanais, nous sommes coincés entre ces deux blocs mais aussi l'Iran fortement installé dans le sud. Nous n'avons que faire de ces pays belliqueux.
FAKHOURI
13 h 45, le 17 octobre 2016