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Liban - Enquête

Internet illégal : tout ce que vous avez toujours voulu savoir

Une connexion Internet lente et de mauvaise qualité, à des prix bien trop élevés, face à une demande qui explose. Des tiraillements entre un secteur public jaloux de ses prérogatives et un secteur privé soucieux de se développer. Et des lois obsolètes qui freinent l'avancée du pays dans l'ère de l'Internet à très haut débit. C'est dans ce contexte qu'a éclaté le scandale de l'Internet illégal en mars dernier. Enquête en trois épisodes sur un scandale politisé à outrance, provoqué par deux incidents isolés. Aujourd'hui, le premier volet : l'état des lieux.

Illustration Ivan Debs.

I - Le secteur d'Internet régi par des lois obsolètes

Le 8 mars 2016 éclatait le scandale de l'Internet illégal. Six mois plus tard, mis à part les promesses du ministre des Télécommunications, Boutros Harb, de faire éclater toute la vérité, et les appels répétés du président de la commission parlementaire des Télécoms, Hassan Fadlallah, pour que les coupables soient sanctionnés, l'affaire demeure dans le flou le plus total. Seule certitude, cette affaire, combinée à celle des communications téléphoniques internationales, représente un important manque à gagner pour le trésor public, près d'un demi-milliard de dollars par an, selon un expert en télécoms.

Quelques noms circulent, toutefois, dans ce cadre, parmi lesquels celui de Abdel Menhem Youssef, à la fois PDG d'Ogero (fournisseur étatique exclusif et distributeur détaillant) et directeur général de l'exploitation et de la maintenance au ministère des Télécoms, celui aussi de Michel Gabriel Murr, patron de la chaîne télévisée MTV et de la compagnie Studio Vision, ceux enfin de Toufic Hisso et de Toufic Chbaro (directeur du département IT à Ogero), révélés dans une affaire parallèle, celle de Google Cache. Des poursuites judiciaires ont même été engagées, le mois dernier, par le procureur financier Ali Ibrahim contre MM. Murr et Youssef, deux personnalités opposées dans le dossier. Mais rien n'indique vraiment si l'affaire aboutira. Que comporte le dossier qui se trouve entre les mains de la justice ? Qui est vraiment impliqué ? Quelles sont les charges retenues contre ces personnes ? Des têtes sauteront-elles ? Ce dossier est-il politisé, comme l'ensemble des dossiers brûlants ? Les réponses se font attendre en cette période de crise prolongée. Un match nul n'étant pas à exclure.

(Lire aussi : Poursuites judiciaires contre Michel Gabriel Murr et Abdel Menhem Youssef)

Autre certitude. Même si Abdel Menhem Youssef est blanchi de tout soupçon, son cumul des deux fonctions est désormais compromis. La double casquette, voire la toute-puissance de ce proche de l'ancien Premier ministre Fouad Siniora dérange, et pas seulement les adversaires politiques du 14 Mars. Trop jaloux de ses prérogatives et de celles du ministère, il est accusé par certains d'empêcher le développement du réseau Internet et par les abonnés de fournir de piètres connexions à des prix bien trop élevés. « Nous payons trop cher à Ogero le prix du mégabit par seconde (Mbit/s), 125 dollars par mois, pour le revendre aux abonnés à 20 dollars, alors que l'État l'achemine à moins de 10 dollars par le câble sous-marin », révèle un chef d'entreprise, fournisseur de services Internet. « Nous sommes aussi limités dans le développement du réseau par une liste d'interdits », ajoute-t-il, précisant que « les restrictions étatiques n'ont permis de développer que 5 % du secteur environ ». Pire encore, « les équipements que nous importons sont parfois bloqués dix-huit mois à la douane, sans explication aucune », poursuit-il, dénonçant les vexations de l'État au secteur privé. La nomination d'un autre PDG à la tête d'Ogero est donc aujourd'hui envisagée, probablement un proche de l'ancien Premier ministre Saad Hariri, considéré comme étant l'aile plus libérale du courant du Futur.
Mais indépendamment de ces considérations, et avant de se livrer à un décryptage du fonctionnement et des dessous de l'Internet illégal, un état des lieux du secteur s'impose.

Entre l'État et le secteur privé, des relations complexes

« Près de la moitié des utilisateurs d'Internet au Liban sont aujourd'hui connectés de manière illégale, sans passer par Ogero », révèle une source proche du dossier. C'est dire l'ampleur du phénomène révélé début 2016 au grand public. Loin d'être récent, « il sévit depuis l'implantation d'Internet au Liban, dans les années quatre-vingt-dix », précise cette source. Sans compter que près de 150 fournisseurs d'accès à Internet (FAI ou ISP, nous adopterons le terme ISP, ndlr) détiennent aujourd'hui une licence, dans une volonté déclarée du ministre actuel des Télécoms, Boutros Harb, de réorganiser le secteur. « Ce qui est énorme pour un pays aussi petit. »

Le « chaos » est tel que les six grands fournisseurs de services Internet (ISP) (IDM, Sodetel, Cyberia, Wise, Terranet, Broadband plus) ont multiplié les appels à « réformer ce secteur moribond qui freine le développement économique », et à « mettre fin au piratage ». Des appels officiels par courrier, relayés depuis 2010 par l'Association libanaise des télécoms aux ministres successifs des Télécoms, d'abord Charbel Nahas puis Boutros Harb. Et qui sont une preuve de la complexité des relations entre un secteur privé grandement frustré d'avoir les mains liées, car il n'a pas l'autorisation de développer comme il l'entend le marché d'Internet, d'implanter la fibre optique notamment, et un ministère jaloux de ses prérogatives.
Fier d'être « le troisième plus important pourvoyeur de l'État, auquel il verse 2 milliards de dollars par an », comme l'affirme à L'Orient-Le Jour le ministre des Télécoms, Boutros Harb, ce ministère demeure soucieux de préserver le monopole qu'il exerce sur les télécommunications, au point d'en ignorer les besoins des consommateurs et des deux compagnies de téléphonie mobile en Internet à très haut débit. Résultat : le coût du service Internet demeure très élevé et les connexions lentes et de mauvaise qualité, sans oublier que de trop nombreuses régions ne sont pas reliées au réseau Internet. Quant à la fibre optique, ce n'est qu'en 2020 qu'elle « sera assurée à l'ensemble du pays et à chaque foyer, jusqu'aux régions les plus reculées », promet M. Harb. Encore faut-il que les citoyens acceptent de patienter quatre bonnes années. D'où le développement d'un marché parallèle illégal qui vient combler le vide, à des prix concurrentiels.

Une législation désuète qui freine le développement

« Le problème découle essentiellement de la législation », explique à L'Orient-Le Jour un expert en télécoms, qui requiert l'anonymat. « Le ministère des Télécoms se base sur un décret-loi datant de 1967, adopté bien avant le développement du téléphone cellulaire et d'Internet. Loi qui impose un monopole étatique absolu sur les services du ministère des Télécoms », précise-t-il. Selon cette loi, la téléphonie fixe, le télégraphe, la poste et le télex sont exclusivement gérés par l'administration publique. Nulle mention n'est faite, bien entendu, des nouvelles technologies, de l'Internet ou de la téléphonie mobile. À cette loi obsolète, s'ajoute la loi du général Sarrail remontant à 1925, qui empêche les compagnies privées d'installer leurs équipements sur les biens-fonds publics. « À cause de ces deux lois cumulées, dont une date d'un siècle, nous ne pouvons développer le secteur, ni procurer la fibre optique aux habitations », déplore ce responsable, évoquant « les entourloupes nécessaires pour faire passer des câbles sur une voie publique ».

(Pour mémoire : La commission des Télécoms presse la justice d'agir )

Réalisant qu'il a raté le coche durant la guerre libanaise, l'État avait pourtant adopté en 2002 une loi moderne, la loi 431 calquée sur le modèle français, qui venait combler le vide juridique. Avec pour objectif principal « la privatisation et la déréglementation » des télécommunications. Les besoins ayant évolué, la priorité des autorités était d'agir avec davantage de souplesse pour permettre au secteur privé d'intervenir, ce secteur étant connu pour son dynamisme. Pour ce faire, elles ont mis en place l'Autorité de régulation des télécoms (ART) censée faire appliquer la nouvelle législation et créer la société Liban Télécom qui devait gérer Internet et la téléphonie mobile. D'abord publique, cette société devait ensuite s'ouvrir au secteur privé.

Vers un partenariat public-privé

Sauf que les autorités « n'ont jamais réussi à imposer cette loi », explique à L'OLJ une source juridique proche du dossier. « La politique s'en est mêlée et deux clans opposés ont émergé, créant une véritable pagaille », vu le nombre important de dossiers conflictuels entre l'ART et le ministère des Télécoms, « 34 au total ». La situation était « pour le moins ubuesque ». Élue pour cinq ans, l'ART n'a pas été reconduite. Quant à Liban Telecom, elle n'a jamais vu le jour. Le Conseil d'État a alors tranché en faveur du ministère des Télécoms... et d'un retour à la loi de 1967. « Selon l'article 51 de la loi 431, toutes les dispositions légales et les réglementations en vigueur avant la mise en application de cette loi demeureront en vigueur jusqu'à l'application totale de cette loi », explique la source à ce propos. Or la loi de 1967 est jugée « bancale » par un secteur privé convaincu que « les choses ne peuvent fonctionner de la sorte », qui brandit pour preuves « les arrangements foireux des sociétés de téléphonie mobile ». Mais les autorités persistent et signent.

Le projet de libéralisation et de privatisation du secteur des Télécoms fait désormais partie du passé. Il faut dire qu'une série de personnalités d'envergure ont fait un forcing dans ce sens, plus particulièrement pour ce qui est de la téléphonie mobile, vu l'important apport annuel du ministère des Télécoms au trésor public. Parmi ces personnalités, le gouverneur de la Banque centrale, Riyad Salamé, mais aussi l'ancien ministre Michel Eddé, qui a occupé notamment la fonction de ministre des Postes et des Télécommunications au sein du gouvernement de Rachid Karamé, entre 1966 et 1968. Aujourd'hui, « c'est plutôt un partenariat public-privé qui semble privilégié, sous forme de contrat BOT », révèle la source judiciaire, arguant du fait qu'il serait « illogique de priver l'État de ce revenu substantiel annuel ». Un projet de loi serait même à l'étude. Mais les choses étant ce qu'elles sont au Liban, son adoption ne serait certainement pas pour demain. Alors, en attendant, l'État se dépêtre dans le complexe dossier de l'Internet jugé illégal sur base de la loi de 1967... et de ses nombreuses ramifications.

Prochain article : Comment fonctionne l'Internet illégal

Pour mémoire

Boutros Harb fait part des réalisations de son ministère

I - Le secteur d'Internet régi par des lois obsolètes
Le 8 mars 2016 éclatait le scandale de l'Internet illégal. Six mois plus tard, mis à part les promesses du ministre des Télécommunications, Boutros Harb, de faire éclater toute la vérité, et les appels répétés du président de la commission parlementaire des Télécoms, Hassan Fadlallah, pour que les coupables soient...

commentaires (2)

c'est a ne rien comprendre je ne sais meme pas si celle qui a ecrit cet article a compris elle meme si oui ECLAIREZ NOUS svp oui ou non cette affaire est une corruption oui ou non des millions vont dans la poche des "serviteurs " de l'Etat ou TOUT va a l'Etat?? ECLAREZ NOUS dans votre deuxieme article svp

LA VERITE

22 h 16, le 17 octobre 2016

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Commentaires (2)

  • c'est a ne rien comprendre je ne sais meme pas si celle qui a ecrit cet article a compris elle meme si oui ECLAIREZ NOUS svp oui ou non cette affaire est une corruption oui ou non des millions vont dans la poche des "serviteurs " de l'Etat ou TOUT va a l'Etat?? ECLAREZ NOUS dans votre deuxieme article svp

    LA VERITE

    22 h 16, le 17 octobre 2016

  • OUI... MAIS AVEC CET ARTICLE NOUS SORTONS ENCORE PLUS IGNORANTS... ON NOUS DIT LE POUR ET LE CONTRAIRE EN MEME TEMPS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 06, le 17 octobre 2016

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