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Moyen Orient et Monde - commentaire

Les pitoyables de Trump

Ian Buruma est professeur de démocratie, droits de l’homme et journalisme au Bard College, et l’auteur de « Year Zero : A History of 1945 ».

Hillary Clinton, la candidate démocrate à la présidentielle américaine, a récemment qualifié de « panier de pitoyables » les partisans de son adversaire, Donald Trump. C'était une phrase sans tact ni élégance et elle a ensuite présenté ses excuses pour sa remarque. Pourtant, elle avait plus raison que tort. Trump a attiré de nombreux partisans dont les opinions sur la notion de race, entre autres, sont en effet déplorables.
Le problème est que beaucoup de ces électeurs pitoyables sont aussi relativement peu instruits, ce qui fait en sorte que la remarque de Clinton semble snob. Hélas, les États-Unis comprennent trop de gens relativement peu éduqués.
Parmi les pays développés, les États-Unis occupent le bas du classement en termes d'alphabétisation, de connaissances générales et de science. Les Japonais, les Sud-Coréens, les Néerlandais, les Canadiens et les Russes ont toujours eu de meilleures performances. Une des causes des maux américains est que les études sont trop laissées aux mains du marché : les personnes qui ont de l'argent sont très instruites et celles qui ont des moyens insuffisants ne le sont pas assez.
Jusqu'à présent, il semble clair que Clinton séduit les électeurs urbains plus instruits, tandis que Trump attire surtout les hommes blancs moins éduqués, en grande partie descendants de mineurs de charbon ou de travailleurs industriels votant démocrate. Est-ce que cela signifie qu'il y aurait un lien entre l'éducation – ou l'absence de celle-ci – et le succès d'un démagogue dangereux ?
L'une des choses les plus remarquables à propos de Trump est l'étendue de sa propre ignorance – en dépit de son niveau d'instruction élevé – et qu'en faire étalage semble lui être bénéfique. Peut-être est-il plus facile pour un ignare tapageur de convaincre un grand nombre de personnes ayant une connaissance du monde aussi faible que la sienne.
Néanmoins, cela suppose que la vérité des faits compte dans la rhétorique d'un agitateur populiste. Or beaucoup de ses partisans ne semblent pas beaucoup s'encombrer d'arguments raisonnés – qui sont laissés aux snobs libéraux. Les émotions comptent davantage, et celles que manipulent principalement les démagogues, aux États-Unis et ailleurs, sont la peur, le ressentiment et la méfiance.
Cela était également vrai en Allemagne quand Hitler est arrivé au pouvoir. Cependant, le parti nazi à ses débuts n'a pas trouvé l'essentiel de son soutien parmi les moins instruits. L'Allemagne était plus instruite que d'autres pays, en moyenne, et les nazis les plus enthousiastes se trouvaient parmi les enseignants, les ingénieurs et les médecins, ainsi que les petits entrepreneurs provinciaux, les cols blancs et les agriculteurs.
Les ouvriers d'usine dans les villes et les catholiques conservateurs étaient, dans l'ensemble, moins sensibles aux flatteries d'Hitler que les protestants beaucoup plus instruits. Ce ne sont donc pas de faibles niveaux d'éducation qui expliquent la montée d'Hitler.
La peur, le ressentiment et la méfiance étaient très forts dans l'Allemagne de Weimar, après l'humiliation de la défaite lors de la Première Guerre et au cœur d'une crise économique dévastatrice. Mais les préjugés raciaux disséminés par les propagandistes nazis n'étaient pas les mêmes que ceux des nombreux partisans de Trump aujourd'hui. Les juifs étaient considérés comme une force sinistre qui dominait les professions d'élite : banquiers, professeurs, avocats, professionnels des nouveaux médias ou divertissements. Ils étaient les soi-disant traîtres qui empêchaient l'Allemagne de redevenir un grand pays.
Les partisans de Trump font preuve d'un animus similaire contre les symboles de l'élite, tels que les banquiers de Wall Street, les médias « traditionnels » et les initiés de Washington. Par contre, leur xénophobie est dirigée contre les pauvres immigrants mexicains, les Noirs, ou les réfugiés du Moyen-Orient, qui sont perçus comme des resquilleurs privant les honnêtes (lire blancs) Américains de leur place dans la hiérarchie sociale. Il s'agit de personnes relativement défavorisées dans un monde globalisant et de plus en plus multiculturel, qui en veulent à ceux qui sont encore moins privilégiés.
Aux États-Unis aujourd'hui, comme dans la République de Weimar, les personnes qui éprouvent du ressentiment et de la peur ont tellement peu confiance dans les institutions politiques et économiques en vigueur qu'elles suivent un chef qui promet une perturbation maximale. En faisant place nette, espèrent-ils, la grandeur sera de retour. Dans l'Allemagne de Hitler, cet espoir existait dans toutes les classes, qu'il s'agisse de l'élite ou de la plèbe. Dans l'Amérique de Trump, il se développe surtout chez cette dernière.
Aux États-Unis et en Europe, le monde d'aujourd'hui semble moins effrayant pour les électeurs les plus riches et mieux éduqués, qui bénéficient de l'ouverture des frontières, de la force de travail immigrée bon marché, de la technologie de l'information et du riche mélange d'influences culturelles. De même, les immigrants et les minorités ethniques qui cherchent à améliorer leur sort n'ont aucun intérêt à se joindre à une rébellion populiste dirigée principalement contre eux, ce qui explique pourquoi ils vont voter pour Clinton.
Trump doit donc compter sur les Américains blancs mécontents qui se sentent laissés pour compte. Le fait que, pour suffisamment de gens, ce sentiment soit assez fort que pour soutenir un candidat présidentiel aussi inadapté, représente un acte d'accusation de la société américaine. Cela a quelque chose à voir avec l'éducation – non pas parce que les gens bien éduqués sont à l'abri de la démagogie, mais parce qu'un système éducatif cassé laisse trop de personnes défavorisées.
Dans le passé, il y avait suffisamment d'emplois industriels pour que les électeurs moins instruits aient une vie décente. À présent que ces emplois disparaissent progressivement dans les sociétés postindustrielles, trop de gens sentent qu'ils n'ont plus rien à perdre. Cela est vrai dans de nombreux pays, mais cela est encore plus important aux États-Unis, où un démagogue bigot se retrouvant à la tête du pays causerait de grands dommages non seulement à ce pays, mais aussi à tous les pays qui tentent de conserver leurs libertés dans un monde de plus en plus périlleux.

© Project Syndicate, 2016.
Traduit de l'anglais par Timothée Demont.

Hillary Clinton, la candidate démocrate à la présidentielle américaine, a récemment qualifié de « panier de pitoyables » les partisans de son adversaire, Donald Trump. C'était une phrase sans tact ni élégance et elle a ensuite présenté ses excuses pour sa remarque. Pourtant, elle avait plus raison que tort. Trump a attiré de nombreux partisans dont les opinions sur la notion de...

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