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Culture - Vient de paraître

Tout est là, dans ses toiles, en toute discrétion et tendresse...

En librairie, une monographie*, avec de belles planches illustratives, sur la peinture de Leila Abi-Saleh Nasr.

À quelle aune se mesurent une vie, un amour, une passion, une fidélité, une créativité ? Leila Abi-Saleh Nasr est de ces êtres qui laissent perplexe. Tant son attachement à la raison, aux mathématiques est viscéral, mais, face cachée et aujourd'hui révélée, la peinture et l'émotion n'en sont pas moins l'épicentre de son parcours humain.
Peu importe si en une longue existence, marquée par tant d'histoires, de guerres, de joies et de deuils, ne restent qu'une centaine de toiles et de dessins. L'essence des sentiments et des impressions s'épanouit dans ces images nées de la fusion du labeur, de la ténacité, de la volonté, de l'exaltation et de la maîtrise de soi et des pinceaux. Et de l'architecture d'un espace toujours rebelle à être facilement dompté, morcelé, domestiqué, habité. « La peinture, c'est un regard sur le monde », confesse-t-elle en posant ses yeux sur l'une de ses toiles. Dans ce fouillis faussement sage et méticuleux de son coup de brosse, d'approche amicale du chevalet et de maniement d'étuis de couleurs vidés et patiemment mélangés, réside, non comme un volcan assoupi, mais comme une fleur offerte au soleil, une carte du cœur. De ce qu'il cache et révèle à la fois. En un jeu subtil, élégant et réservé, où la guerre n'a pas sa place, et où les êtres, les visages, les sourires, les fleurs, les arbres et les paysages sont des ombrelles de consolation, des moments d'élévation, un retrait de prière et des promesses de bonheur.
La poésie et la peinture lui étaient toujours des amies bienveillantes quand on songe que dans son sang coule celui de son frère Hani Abi Saleh. En veilleuse, depuis des lustres, était par conséquent cet élan pour l'univers des térébenthines, du fusain, de l'aquarelle, de la gouache et des huiles qui reconstruisent en silence des jardins secrets, apaisants et lumineux. Les mots ne lui venaient pas. Les chiffres la laissaient dans une planète différente entre enseignement et cogitation pour des équations qui ne lui tenaient pas longtemps tête. Mais la peinture, elle, elle lui parlait. Depuis longtemps. Lui réchauffait et lui brûlait les mains et les artères, lui en mettait plein la vue et cravachait ses humeurs indolentes.

Orchidées agressives
Au départ, Leila Abi-Saleh Nasr, qui abhorre tout amateurisme, se désolait de ne pouvoir dessiner un verre. Qu'à cela ne tienne, à l'âge où les gens abandonnent tout projet, elle se lance dans l'aventure des perspectives, des lignes droites, courbes, convexes, concaves et des volumes, décidée à triompher de toute ignorance des fondements du monde pictural. C'était en 1975, l'année fracas et charnière du pays du Cèdre. Comme un besoin d'occulter l'horreur, l'insoutenable réalité, de faire taire l'aboiement des armes et de transcender une humanité soudain déchaînée et proche de la putrescence.
« Je me fais plaisir quand je peins », avoue-t-elle en toute pudeur, sans ajouter que la peinture, comme un reflet de miroir, se fait plaisir sous ses doigts. Loin de toute agitation sociale, tout mercantilisme ou toute course concurrentielle dans les galeries, elle fait son bonhomme de chemin. Solitaire et portée par un étroit cercle d'amis. À deux reprises, elle est retenue pour être aux cimaises du Salon d'automne à Paris.
En toute belle impassibilité, mais non indifférence, c'est ainsi que se sont alignées les toiles au fil du temps, comme les mots dans un journal intime. Sans cris ni déchirements. Chronique simple et radieuse où sont épinglés, en une palpitante douceur, les moments de rêverie, de joie, d'affection, de ferveur, d'harmonie, de solitude, de méditation, de contemplation. Avec cette part de tourmente et de vague tristesse, soigneusement voilée, qu'on ne détecte pas de prime abord à l'œil nu.
Un bouquet d'amaryllis, des coquelicots en effervescence, des orchidées agressives, des giroflées suaves, des lilas odoriférants, des chrysanthèmes vivaces, une femme au kimono grillant une cigarette, un nu de femme sans tapage, des touffes d'arbres feuillus ou décharnés, des immeubles comme envahis par des plantes carnivores, scènes familiales entre un mari qui écrit sur un bureau ou un fils qui joue au piano, tout est là. En toute discrétion. Par le biais d'un regard qui scanne avec amour, sans complaisance.
Tout cela est dit et reproduit dans ces pages en toute tendresse. Comme des mots proférés à voix basse, presque étranglée. Avec une émotion touchante et contenue. Pour un frémissement qui en dit long sur toutes les étincelles de vie.

*« Regard sur le monde », Anis Commercial Printing Press, 109 pages.

À quelle aune se mesurent une vie, un amour, une passion, une fidélité, une créativité ? Leila Abi-Saleh Nasr est de ces êtres qui laissent perplexe. Tant son attachement à la raison, aux mathématiques est viscéral, mais, face cachée et aujourd'hui révélée, la peinture et l'émotion n'en sont pas moins l'épicentre de son parcours humain.Peu importe si en une longue existence,...

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