La mission, objectif principal du journaliste, quel que soit le média, reste d'informer le téléspectateur, l'auditeur ou le lecteur sans pour autant porter préjudice à l'informateur, souvent parachuté dans ce rôle à son propre insu et dont certains journaleux ne cherchent même pas à obtenir le consentement ou à respecter la vie privée.
Kevin Metlej est mort noyé lundi. Il n'avait que 6 ans. Six ans d'amour, de sacrifices, de veillées et d'insomnies pour ses parents. Six ans de pur bonheur et de fierté affichés partout sur des réseaux sociaux accessibles à tous à n'importe quel moment. Les journalistes entrent par effraction, choisissent des photos de Kevin ou de toute autre victime, de ses parents, de la maison parentale, des amis et des cousins. Ils les publient et brodent une histoire mélodramatique à coups de spéculations appuyées par des suggestions diverses et variées, sans aucune information précise. Surtout qu'une fois que cette info – ou intox, cela arrive souvent – a circulé un peu partout sur le Web, les caméras, profitant de la petite superficie du pays, se jettent dessus comme la misère sur le peuple, partant à la recherche effrénée des parents éplorés, toujours sous le choc, et qui ne voudront presque jamais croire à la nouvelle qui a transformé leur vie d'une façon dramatique et à jamais.
Une caméra se plante et campe, ainsi, devant une maman qui vient de perdre son petit qui n'avait que six ans. Elle avait peur pour lui mais, maintenant, elle n'y peut plus rien. Elle se sent seule, et surtout elle ne sent plus rien. Terrassée, effondrée, amputée, comment imaginer qu'elle puisse avoir la force physique ou mentale de s'improviser héroïne d'une téléréalité qui vient violer le cercle-cocon d'une famille censée être à l'abri des regards curieux et des jugements malveillants.
C'est que les télévisions libanaises ne connaissent plus de limites, que ce soit celles des maisons, des salons d'églises ou des salles d'urgences, annexées sans état d'âme à la recherche d'un scoop là où il n'y en a pas. Et voilà les caméras presque collées au-dessus de la tête du défunt ou devant le visage des parents, en attente de ces larmes ou de quelque crise d'hystérie à jeter en pâture à des téléspectateurs qui ne comprennent pas très bien à quoi tout cela rime, ou quelle information ces médias entendent communiquer dans ce cas très précis...
Que pouvait dire la maman de Kevin qu'aucune autre mère affligée n'aurait pu dire et qui aurait pu constituer un scoop ? La caméra a permis certes aux parents de l'enfant de s'exprimer et de se défouler dans un moment de malheur extrême, où ils ne se rendaient probablement pas compte de ce qu'ils disaient – piégés par la porte de leur maison, naturellement ouverte, tradition libanaise oblige – à ceux qui voulaient leur présenter leurs condoléances ou leur prêter une épaule.
Et voilà cette peine indicible, cette peine contre-nature transformée en un spectacle de télévision désolant, foulant aux pieds éthique professionnelle et, encore une fois, sacro-saint droit à la vie privée. Il aurait fallu que les télévisions laissent les Metlej à leur solitude dans le malheur... même si un malheur, on le sait, ne vient jamais seul...
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