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Culture - Théâtre

Saisir les ombres invisibles qui planent et dansent autour d’elle

Nadine Sures propose ses « Variations sur l'armoire des ombres » *, une performance interactive inspirée du roman éponyme de Hyam Yared, une expérience qui promet d'être étonnamment sensorielle.

Nadine Sures. Photo Bahaa Ghoussayni

Une ombre se faufile entre les accoudoirs du théâtre Monnot, vide et silencieux avant l'entrée du public. Le regard de Nadine Sures se dévoile, s'échappe et réapparaît, entre deux courants d'air. Ses confidences remplissent l'espace théâtral plongé dans la pénombre. On aperçoit des contours et des formes lointaines : le froid canadien de son pays natal, qui semble planer sur sa vie au Liban, où elle s'est mariée et installée depuis cinq ans.

Furtivement, on entrevoit le manque éprouvé pendant son enfance, « où je sens que l'on ne m'avait pas écoutée », ainsi que ce besoin impérieux de posséder la parole : « Avant, j'apprenais un texte mis en scène par quelqu'un d'autre. » Une parole qu'elle veut se réapproprier sur scène avec ses variations sur L'armoire des ombres, qu'elle joue et met en scène jusqu'à dimanche soir au Monnot. En s'inspirant du roman éponyme de Hyam Yared dans laquelle elle se retrouve elle-même: une femme, contrainte de laisser son ombre au vestiaire pour jouer un rôle qui n'existe pas, devant un public invisible et un metteur en scène absent, « qui me laisse parler ». La voilà, seule, à nu. « Je crois que l'histoire de cette femme, c'est l'histoire du théâtre. »

Devant elle, une armoire pleine d'ombres. Des récits de femmes, de sa maman, de son passé. Des histoires tristes, poignantes, qui résonnent et réveillent des cris, des larmes et des silences familiers. Elles se déploient, la traversent puis s'évaporent, avec elle, dans le néant. Dans les yeux de Nadine Sures, l'ombre de Mona, une femme enceinte. D'autres ombres se succèdent: celles des femmes prisonnières des traditions, des femmes captives de leurs conditions, des mères séparées de leurs enfants... « J'enseigne dans une école et, croyez-moi, les enfants souffrent énormément des situations familiales. » Elle fait écho à sa propre histoire, « ma perception a changé depuis que je suis devenue mère. » Et questionne le rôle de la femme dans le monde oriental. Nadine Sures y voit « tout ce qu'il y a d'injuste dans un système patriarcal ».

 

L'amnésie de la guerre
« J'ai découvert ce texte qui parlait de tout cela et j'ai senti que c'était un texte qui était écrit pour moi », confie-t-elle. Depuis deux ans, cette histoire l'habite, la travaille, la hante. Au départ, elle voulait reproduire la même expérience: créer un spectacle sans scénario, sans metteur en scène, être seule face à cette armoire pleine d'ombres, pendant un an. Cette expérience, elle la vivra finalement sur quatre jours : « Je ne sais toujours pas ce que je vais faire », lance-t-elle dans un souffle.

L'on saura au final que le spectacle mêle, en vrac, « improvisation physique théâtrale, installation vidéo et son, une immersion de corps et de lumière, de gestuelle, une vocalisation sonore, un récit physique déconstruit ». Le public est ainsi invité à se déplacer à travers le théâtre; dans l'accueil, sur la scène, les coulisses, les loges, le public.... Des séquences vidéo sont projetées simultanément dans l'aire de jeu, et les personnages des textes de Hyam Yared transmettent leurs histoires à travers une danse interactive entre le film et la comédienne.

À travers ces histoires, un sujet mis en avant ? « L'amnésie », répond Sures sans hésiter ; celle de la guerre au Liban, évoquée dans le roman. Avant de poursuivre : « J'ai vécu ma propre guerre intérieure. J'oublie mes propres histoires et je joue avec cette même amnésie. » Nadine Sures s'exprime dans le langage de l'ombre, une langue à la fois obscure et poignante : « Ce sont les anges qui viennent me parler à travers le public. » Sa manière de jouer se veut multiple et interactive, corporelle et visuelle, sonore et improvisée. « La parole est un lieu où j'ai toujours éprouvé une certaine intimidation. Je suis plus à l'aise dans un univers abstrait », explique-elle. Elle parle aussi de la responsabilité de l'artiste. « Tout acte artistique est politique », dit-elle. Au milieu de ses fragilités, se dégage une force obscure, indicible. Nadine Sures est aussi indescriptible que sa pièce de théâtre. Sa silhouette se dessine, oscille, vacille, floue et opaque ; se redresse et poursuit sa marche sans visage. Sa mise en scène ?

Un parcours fait d'images collectées autour d'elle, de maquettes et de figurines. Un peu comme si elle voulait saisir les ombres invisibles qui planent et dansent autour d'elles. « Je n'arrivais pas à imaginer prendre les mots et les redire d'une façon vivante. Je vais lâcher le texte et prendre les images. On va voir ce qui va se passer sur scène. » Entre elle et son public, le quatrième mur s'est effondré depuis longtemps. « Les gens vont vivre une expérience sensorielle », dit-elle. À présent, ces ombres entourent, enlacent, viennent crier leur passé. Ainsi que celui de Nadine Sures : « Ce sont mes histoires aussi qui vont sortir : un mélange de vérité qui vient rencontrer la fiction. »
Telle une femme qui abandonne son ombre au public pour se réapproprier par elle-même l'espace, le son et la parole.

*Au théâtre Monnot, jusqu'au 19 juin. À 20h, sauf le dimanche à 17h. Billets disponibles chez Antoine ticketing.

Une ombre se faufile entre les accoudoirs du théâtre Monnot, vide et silencieux avant l'entrée du public. Le regard de Nadine Sures se dévoile, s'échappe et réapparaît, entre deux courants d'air. Ses confidences remplissent l'espace théâtral plongé dans la pénombre. On aperçoit des contours et des formes lointaines : le froid canadien de son pays natal, qui semble planer sur sa vie...

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