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Moyen Orient et Monde - Tribune

Les regrets du Bundestag

Le Bundestag a reconnu la semaine dernière le génocide des Arméniens et d’autres minorités chrétiennes perpétré par l’Empire ottoman. Photo Fabrizio Bensch/Reuters

Un événement majeur s'est produit au Bundestag allemand le jeudi 2 juin, où l'on a assisté à l'adoption d'une résolution, quasi unanimement, qui reconnaît le génocide arménien (völkermord) et d'autres minorités chrétiennes affectées par les déportations et les massacres perpétrés par l'Empire ottoman en 1915. Voici l'intitulé de la résolution qui est en lui-même très évocateur : Souvenir et commémoration du génocide des Arméniens et des autres minorités chrétiennes en 1915 et 1916. Dans le texte de la résolution, qui est principalement consacrée aux Arméniens, on mentionne explicitement les Araméens, les Assyriens et les Chaldéens, victimes au même titre que les Arméniens.

Cette résolution avait été précédée par le discours du président de la République d'Allemagne Joachim Gauck, le 23 avril 2015, dans lequel il avait employé le terme de völkermord (génocide) lors d'une commémoration religieuse pour le centenaire du massacre des Arméniens à Berlin, et avait déjà mentionné le génocide assyrien ou araméen et grec pontique.
On lit dans la résolution : « Ebenso waren Angehörige anderer christlicher Volksgruppen, insbesondere aramäisch/assyrische und chaldäische Christen von Deportationen und Massakern betroffen »; ce qui veut dire que des membres d'autres communautés nationales chrétiennes, en particulier les Araméens, les Assyriens et les Chaldéens, ont également été touchés par les déportations et les massacres.
Déjà, dans une proposition de loi présentée le 16 mars 2015 par Die Linke sur le génocide arménien, ces mêmes communautés étaient citées. On constatait, se basant sur les dernières recherches scientifiques, que les populations araméennes et assyriennes sont un autre groupe victime de ce crime de génocide : « Nach dem Forschungsstand in der Wissenschaft stelle die aramäisch-assyrische Bevölkerung eine weitere Opfergruppe dieses Völkermordverbrechens dar. »


(Repère : Cinq temps forts dans les relations diplomatiques entre la Turquie et l'Allemagne, en infographie)

Lors du débat de l'examen de la résolution, plusieurs députés, toutes tendances politiques comprises, ont mentionné dans leurs interventions les massacres commis par les autorités ottomanes, bien sûr à l'encontre des Arméniens, mais aussi des Assyriens, des Chaldéens et des Araméens.
La même résolution reconnaît la responsabilité de l'Allemagne, alors principale alliée de l'Empire ottoman. Le Bundestag regrette ce rôle non glorieux du Reich allemand. En dépit des informations précises en provenance des diplomates et des missionnaires allemands sur la déportation et les massacres organisés des Arméniens, le gouvernement du Reich n'a pas essayé de stopper ces crimes contre l'humanité. Et la résolution ajoute, en rendant hommage au passé historique arménien : « L'évocation de la mémoire par le Bundestag allemand est également une expression de respect particulier pour, vraisemblablement, la plus ancienne nation chrétienne du monde. »

Il est important de remarquer que dans l'exposé des motifs, qui justifie le texte (Begründung), on évoque la mémoire d'illustres personnalités allemandes de la science, de la politique et des Églises qui, en leur temps, avaient dénoncé et attiré l'attention des autorités allemandes sur les massacres des Arméniens, comme le théologien Dr. Johannes Lepsius, notamment dans son rapport « Bericht über die Lage des Armenischen Volkes in der Türkei ». Des hommes politiques parmi lesquels Matthias Erzberger et Philipp Scheidemann, des personnalités des Églises évangélique et catholique comme Adolf von Harnack et Lorenz Werthmann firent de même. Or, malgré ces informations, le gouvernement allemand a omis de faire pression sur son allié ottoman.


(Lire aussi : L'Allemagne furieuse contre Erdogan, qui cible le « sang corrompu » d'élus d'origine turque)

 

Notons que parmi les personnalités citées, certaines avaient aussi fourni des informations détaillées sur les massacres et déportations des populations assyriennes, syriaques et chaldéennes.
Les écrits de Johannes Lepsius sont bien connus à ce sujet, mais beaucoup moins ceux de Matthias Erzberger (1875-1921), par exemple, qui fut membre du Reichstag, spécialiste des colonies (1903-1918), et qui, dans ses rapports datés de février 1916, cite l'ensemble des chrétiens persécutés en Turquie, dont les Chaldéens et les Syriaques. Il entreprit d'ailleurs un voyage dans ce pays du 5 au 13 février 1916, où il rencontra Talaat Pacha et Enver Pacha. Son premier mémorandum « Über die Lage der Katholischen Armenier in der Türkei » contient une notice (Anlage 2) sur l'assassinat (Ermordung) des chrétiens en Turquie, où M. Erzberger décrit la situation dramatique dans différentes régions comme le vilayet de Diarbakir, les villes de Severek, Mardin, Djéziret, le diocèse de Séert et Ourfa. Les 40 villages chaldéens du diocèse de Séert sont détruits, leurs prêtres et leur évêque, Addaï Scher, dépouillés et massacrés. Les 180 familles chaldéennes et 30 familles syriaques de la ville de Séert ont été tuées. À Djéziret, tous les Chaldéens et les Syriaques, avec leurs évêques et leurs prêtres, ont été massacrés ou éradiqués. 17 villages chaldéens autour de la ville ont été pillés et vidés, les hommes tués. À Ourfa, l'ancienne Édesse, « capitale du roi Abgar », écrit-il, les chrétiens ont été trois fois d'affilée pillés et torturés. Les voyageurs de ces régions, ajoute-t-il, rencontrent de village en village et de ville en ville seulement des Arméniens et des Chaldéens errants, expulsés de leurs villes et de leurs villages, exposés aux nuits brûlantes de l'été et froides de l'hiver. Tous condamnés à une mort terrible.

Ainsi, cette reconnaissance par les représentants du peuple allemand est un acte historique et courageux. Le contenu de la résolution mérite d'être plus amplement analysé pour son humanisme ainsi que les différentes mesures proposées en vue de la réconciliation.

*Professeur honoraire de l'Université catholique de Lyon, ancien titulaire de la chaire Unesco « Mémoire, cultures et interculturalité ». Spécialiste des chrétiens d'Orient, il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Qui s'en souviendra ? 1915, le génocide » assyro-chaldéo-syriaque, Ed. du Cerf, Paris, 2014.

 

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commentaires (4)

Les chrétiens "rebelles" qui combattent en Syrie et en Irak, sont alliés à ces KURDES à présent !?!

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

12 h 44, le 10 juin 2016

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Commentaires (4)

  • Les chrétiens "rebelles" qui combattent en Syrie et en Irak, sont alliés à ces KURDES à présent !?!

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 44, le 10 juin 2016

  • PRIERE LIRE SOYEZ HEUREUX... ET MERCI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 20, le 10 juin 2016

  • POURQUOI REGRETTER... SOYEUX HEUREUX QU,IL S,EST REVELE !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 59, le 10 juin 2016

  • "M. Erzberger décrit la situation dramatique dans différentes régions comme le vilayet de Diarbakir, les villes de Severek, Mardin, Djéziret, le diocèse de Séert et Ourfa. Les 40 villages chaldéens du diocèse de Séert sont détruits, leurs prêtres et leur évêque, Addaï Scher, dépouillés et massacrés. Les 180 familles chaldéennes et 30 familles syriaques de la ville de Séert ont été tuées. À Djéziret, tous les Chaldéens et les Syriaques, avec leurs évêques et leurs prêtres, ont été massacrés ou éradiqués. 17 villages chaldéens autour de la ville ont été pillés et vidés, les hommes tués. À Ourfa, l'ancienne Édesse, « capitale du roi Abgar », écrit-il, les chrétiens ont été trois fois d'affilée pillés et torturés. Les voyageurs de ces régions, ajoute-t-il, rencontrent de village en village et de ville en ville seulement des Arméniens et des Chaldéens errants, expulsés de leurs villes et de leurs villages, exposés aux nuits brûlantes de l'été et froides de l'hiver. Tous condamnés à une mort terrible." ! Juste une question : Ce ne sont pas en fait les "gentils" KURDES qui ont mis la main à la patte dans ces Massacres, qui ont pris leur places, leurs maisons et leurs villages aux Chrétiens de cet Ottoman Empire ? Juste pour l'Histoire.... N'est-ce pas ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 10, le 10 juin 2016

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