Il a suffi d'une odeur. Une seule et unique odeur, celle du jasmin, pour que reviennent à la pelle les souvenirs... sans les regrets. Il a suffi d'une fragrance pour revoir en fermant les yeux les photos de son enfance. Les photos des étés libanais bercés par le parfum des jasmins. Ces étés si doux malgré les événements, malgré la haine et le sang. Ces doux étés où l'on profitait des accalmies pour jouer dans les vagues, prendre le chemin des villages où ont grandi nos parents, nos grands-parents. Ces doux étés où on s'écorchait les genoux en courant dans le 7erech, où on faisait du vélo sans casque sur les petites routes rocailleuses qui nous amenaient de la maison d'une téta à l'autre.
Ce sont ces étés-là que les enfants devraient revivre. Profiter des odeurs et des 7erech. Même si la mer est impraticable, les rivières polluées, les montagnes salies, il y aura toujours quelque chose de doux dans les étés libanais. Il y aura toujours le goût des amandes vertes, le fourmillement des lèvres après les avoir brisées avec les dents. Il y aura toujours le goût des mechmoch ajami, ces abricots blancs au goût de miel qui ne viennent qu'au début de l'été. Le goût des festo2 halabi et le noir sur nos doigts après en avoir mangé des dizaines. Le goût des tout, ces mûres noires qu'on a cueillies avec nos cousins et qui ont dabbigh nos tee-shirts. Le goût des charabs. Charab el-tout, el-ward ou du jellab avec les pignons qui se coincent inlassablement dans le chalumeauné. Il y aura toujours le goût de la tamriyyé et des ouweymét sur les stands lors des fêtes de village, et la langue qui brûle parce qu'on n'a pas attendu qu'ils refroidissent un peu et que le 2ater était encore bouillant. Il y aura toujours quelque chose de doux dans les étés libanais. Il y aura toujours l'odeur des fer2e3 tirés devant sa maison pour célébrer une énième fête. Les jabal nar plus grands les uns que les autres et que les hommes de la famille allumaient en détalant ensuite. Les parachutes qu'on s'obstinait à chercher dans les buissons. Il y aura toujours une 2abboulé quelque part dans un jardin, avec des bougies plantées dans du sable à l'intérieur de sacs en papier et qui décorent les marches de la maison familiale que se disputent des quinzaines de cousins aujourd'hui. Il y aura toujours le mouvement de la hézézé sur la «véranda» de cette maison familiale.
Il y aura toujours quelque chose de doux dans les étés libanais. Doux comme ces grands déjeuners de famille du dimanche où l'on mange une mloukhiyyé (parce que c'est un légume d'été) et qu'on transpire à grosses gouttes (parce que c'est bien plus logique de la manger en hiver). Ces grands déjeuners arrosés d'arak (tellet bi tellten) et qui se terminent par les siestes des aînés dans leurs chambres où, allongés sur un l7aff molletonné, ils ronflent au rythme du chant des ziz. Pendant que les petits s'amusent à ramasser des pommes de pin qu'ils casseront avec leur 3ammo pour en récolter les pignons.
Et il y aura toujours le mariage de quelqu'un qu'on aime, les zmamir quand on va chercher la 3arouss, le riz qu'on jette du balcon. Les fêtes qui finissent à pas d'heure, les soirées sur les rooftops, les concerts, les spectacles des festivals, les kesskon par-ci et les kesskon par-là ; les expats qui débarquent et les expats qui s'en vont, les Allah ma3ak ya mama, Allah ma3ik ya baba dans la chaleur insupportable du mois d'août de l'aéroport de Beyrouth.
Il y aura toujours quelque chose de doux dans les étés libanais. Ces étés qui ne refroidissent jamais.
Dommage! Des souvenirs, rien que des souvenirs.....Pauvre Liban!
21 h 35, le 06 juin 2016