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Culture - Théâtre

Anbara, une femme d’hier... Et de demain ?

C'est à travers une mise en scène en images et en émotions pétrie d'intelligence et de finesse, que Aliya Khalidi raconte l'histoire d'une jeune fille rebelle, pionnière de l'émancipation féminine au Liban.

Photo Mohammad Khayata

Anbara est née en 1897 au cœur d'une fratrie de dix enfants, dont Saëb Salam, futur Premier ministre. Papa : « Abou Ali » Salim Salam, notable beyrouthin avant-gardiste. Maman : Kalthoum Barbir, issue d'une famille de religieux traditionalistes. Une enfance mi-figue, mi-raisin, entre la permissivité indulgente et visionnaire de l'un et l'attachement quasi viscéral aux coutumes ancestrales de l'autre.
Une telle dichotomie familiale engendre-t-elle un esprit déboussolé ? Dans ce cas-là, pas du tout. Volontaire, têtue, opiniâtre, ambitieuse, assoiffée de connaissances et de culture, Anbara Salim Salam était une engagée. Une militante. Une fille « qui y va », comme on dit. Une fille qui a défié tout à la fois l'establishment, le cercle de la bourgeoisie beyrouthine sunnite, l'occupation ottomane... Bref, qui a tordu le cou aux conventions sociales de son époque. Le tout s'est résumé par un geste, un seul, mais ô combien symbolique : arracher le voile en public, lors d'une conférence qu'elle donnait à l'Université américaine de Beyrouth, en 1927. Un geste courageux et libérateur faisant malheureusement écho aujourd'hui à une réalité amère qui ramène les femmes musulmanes à se cloisonner et à se couvrir sous les niqabs de tous poils.

Sans doute Anbara incarne-t-elle une sorte de moment auroral du féminisme libanais. En voulant raconter son histoire à travers une pièce de théâtre présentée au théâtre Babel jusqu'à dimanche soir, Aliya Khalidi a dû probablement penser à toutes ces femmes qui luttent pour exister comme « femme ». Qui revendiquent leur statut d'« être humain » à part entière, leur désir de vivre, de penser et d'agir selon leur propre volonté. Elle a probablement pensé aussi au désir de liberté des jeunes générations fuyant les diktats parentaux, sociaux, politiques. À ceux-là pour qui le verbe « être » est synonyme de sortir, de partir à l'étranger pour poursuivre ses études, de lire et d'écrire des manifestes sociaux et politiques....

Née dans un huis clos
« Notre périple avec la biographie d'Anbara a débuté il y a quelques mois dans un bureau où ni le soleil ni l'inspiration n'avaient accès. Mais cette isolation était nécessaire », racontent la scénariste et réalisatrice Aliya Khalidi et la dramaturge Nora Sakkaf. Et cette dernière d'ajouter : « À travers ses écrits, ses discours, des photos et des documents d'époque, nous avons imaginé la construction dramaturgique. Les scènes successives prenaient forme, Aliya écrivait sans arrêt, nous discutions ensemble du texte. Et la pièce a ainsi vu le jour. »

Si cette Anbara* (avec Nazha Harb dans le rôle titre) est appréhendée comme un plaidoyer théâtral en faveur de l'émancipation de la femme, la mise en scène d'Aliya Khalidi pourrait, néanmoins, être perçue comme un touchant témoignage d'amour. Elle y convie des fantômes (familiaux puisque Anbara a épousé un certain Ahmad Samih Khalidi) au cœur d'un triptyque d'écrans où s'alternent d'admirables projections d'ombres et d'images mises en abîme (la touche de la talentueuse réalisatrice Muriel Aboulrouss est reconnaissable d'emblée). Dans ce théâtre de paroles et de personnages historiques ; de chuchotements et d'ombres entraperçues derrière les moucharabiehs ; d'hommes qui se triturent la moustache en critiquant tout ce qui passe devant les volutes du narguilé, se noue le destin d'une jeune fille insoumise et rebelle, caustique et ambitieuse. Elle découvre (et prône) une liberté tout à la fois du corps, de la parole, de l'esprit... mais combat aussi l'inégalité sociale et provoque quelque chose qui ressemble à un début de révolution.

Forte par son message, par la vivacité de ses acteurs (la distribution est sans fausse note), par son rythme soutenu (90 minutes sans aucun temps mort) et par sa mise en scène (qui met à contribution un collectif de professionnels allant du cinéma à la création de costumes en passant par la musique), la pièce aurait un seul hic, l'accent beyrouthin adopté par les acteurs, que nombre de spectateurs ont critiqué, l'ayant trouvé trop « caricatural ». Que le parler de Mousseitbé soit aussi prononcé ou pas, cette plongée au cœur d'une famille de la haute bourgeoisie beyrouthine, au sein d'une société patriarcale et misogyne a de quoi faire réfléchir. Et interroger notre présent, en ces temps où le fanatisme religieux fait son lit sur une forme de faillite morale, de perte de substance généralisée.

Qu'est-ce qu'il est beau, le théâtre, lorsqu'il est ainsi engagé et conçu comme un moyen de dire le monde, de mettre au jour nos zones d'ombre.
Et qu'il nous invite, en dépit de tout, à poursuivre le chemin.

*Au théâtre Babel, centre Marignan, Hamra, près de l'AUBMC. Jusqu'au 15 mai, à 20h30. Tél. : 01/744033.

Anbara est née en 1897 au cœur d'une fratrie de dix enfants, dont Saëb Salam, futur Premier ministre. Papa : « Abou Ali » Salim Salam, notable beyrouthin avant-gardiste. Maman : Kalthoum Barbir, issue d'une famille de religieux traditionalistes. Une enfance mi-figue, mi-raisin, entre la permissivité indulgente et visionnaire de l'un et l'attachement quasi viscéral aux coutumes...

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