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Diaspora - Distinction

Le prix Élissa/Didon décerné à une Espagnole et une Yéménite

Pour la remise du prix organisé par la Fondation Tyr, l'ancienne maire de Cadix et la militante des droits de la femme étaient à l'honneur au Parlement européen, à Bruxelles.

L’archéologue belge Éric Gubel, qui participe régulièrement aux fouilles à Tyr, raconte l’histoire d’Élissa/Didon.

Loin des crises régionales, la voix des femmes méditerranéennes a retenti à Bruxelles, le 5 avril, avec le prix Élissa/Didon organisé par la Fondation Tyr. La présidente de la fondation, Maha el-Khalil Chalabi, avait elle-même été nommée deux mois plus tôt ambassadrice de bonne volonté de l'Unesco. Elle poursuit inlassablement, depuis 35 ans, son combat pour la réhabilitation de la ville de Tyr et de son patrimoine universel.
Le prix Élissa/Didon, du nom de la fondatrice de Carthage, originaire de Tyr, récompense des femmes méditerranéennes qui se sont illustrées lors de parcours peu communs. Les deux lauréates, l'ancienne maire de Cadix en Espagne Teófila Martínez et la Yéménite Khadija al-Salami, militante pour les droits de la femme dans son pays en particulier, se sont vu remettre les trophées par le président du Parlement européen, Martin Schultz.
La cérémonie était chargée d'émotion, d'autant plus que tous les voyageurs prévus à partir du Liban et un grand nombre de ceux conviés de l'étranger n'avaient pas pu se rendre en Belgique: en effet, l'aéroport de Bruxelles n'a été rouvert que le jour même de la célébration, soit deux semaines exactement après les attentats meurtriers qui avaient endeuillé la Belgique. Les intervenants ont exprimé leur solidarité avec les victimes et leurs parents, avant de s'engager dans des discours qui devaient passionner la centaine de participants présents au Parlement européen.

Cadix, phénicienne
Les deux lauréates, de nationalités espagnole et yéménite, ont été saluées comme des «femmes contribuant à la promotion de la condition féminine dans la Méditerranée, dans un contexte difficile».
«Je suis honoré de remettre le prix Élissa/Didon à deux lauréates d'exception», a déclaré Martin Schultz, qui venait de sortir d'une réunion d'urgence sur les réfugiés en Grèce. Il a souligné que le Parlement européen, en collaboration avec les Nations unies, avait initié en 2014 une action portant sur «le printemps des femmes au sud de la Méditerranée».
Cadix, en Andalousie, fait partie de la Ligue des cités cananéennes, phéniciennes et puniques, créée par la Fondation Tyr en 2009. Teófila Martínez, maire de cette ville durant 20 ans, a raconté comment Maha Chalabi «avait fait son entrée à Cadix pour sensibiliser encore plus ses habitants sur leurs origines phéniciennes et leur relation avec Tyr». Elle l'a remerciée pour avoir contribué à faire resurgir la grandeur du passé de Cadix.
Teófila Martínez a beaucoup travaillé pour une meilleure participation de la femme espagnole dans la vie politique. Elle est à l'origine de grandes transformations culturelles à Cadix visant à récupérer le contexte phénicien de cette ville.
Khadija al-Salami mène pour sa part un double combat dans son pays, le Yémen, et ses alentours: celui de la suppression des mariages forcés et celui de l'élimination de la violence contre les femmes. Ayant produit plus de 25 courts-métrages dont certains ont été primés, elle s'exprime en français et insiste sur le fait que la nouvelle guerre que subit son pays rend les femmes et les enfants encore plus vulnérables.

2 000 ans d'archives
La présidente de la Fondation Tyr a tenu à présenter le prix Élissa/Didon en ces termes: «Nous sommes heureux de vous accueillir au Parlement européen, dans ce lieu symbole de respect et de dignité humaine, de liberté, de démocratie mais surtout d'égalité entre les humains. Nous tenons à rendre hommage aux victimes des attentats de Bruxelles, nous sommes de tout cœur avec leurs familles et leurs proches.»
Elle a ajouté: «Cette remise de prix est maintenue, malgré un contexte difficile, pour affirmer notre détermination à continuer notre combat. La cérémonie de ce soir est organisée au sein du Parlement européen grâce à la bienveillance de son président Martin Schultz, sensible aux problèmes de genre, et qui a bien voulu que le Parlement parraine cet événement... J'aimerais rappeler que le Parlement européen n'en est pas à sa première action en faveur de Tyr: déjà en 1980, quand le Liban était en guerre, la résolution 1388/80 considérait que si Tyr venait à disparaître, l'humanité perdrait avec elle 2000 ans d'archives...»
Mme Chalabi a terminé son allocution en soulignant que «le prix Élissa/Didon est inspiré des traditions phéniciennes qui, d'une part, ont donné un rôle tout à fait particulier à la femme dans leur société et dans leur panthéon et, d'autre part, ont inlassablement sillonné la Méditerranée, en reliant ses deux rives et en instaurant, par le fait même, une mondialisation pacifique qui pourrait servir de modèle au monde d'aujourd'hui».

La nouvelle Carthage d'Europe
«Les Phéniciens ne savaient pas quel accueil ils allaient recevoir dans les îles face à Cadix, l'une de leurs premières villes fondées en Méditerranée occidentale. Ils accostaient et laissaient sur place leur marchandise destinée aux autochtones, puis se repliaient, attendant la contre-valeur en argent ou autres objets précieux. Si ça leur convenait, ils revenaient prendre cette contrepartie, sinon ils reprenaient tout simplement leur marchandise.» Selon Éric Gubel, la première relation commerciale de l'histoire était engagée, suivant un modèle pacifique inventé par les Phéniciens qui, ainsi, n'avaient pas recours aux armes.
Docteur en histoire de l'art et en archéologie et chef du département Antiquités des musées royaux d'art et d'histoire, le professeur belge Éric Gubel est un grand ami du Liban et de Tyr, où il séjourne régulièrement. Il relate des épisodes de l'histoire phénicienne et fait part de ses dernières découvertes, comme celle effectuée il y a deux ans dans les vestiges d'une maison d'un magicien de Tyr, datant de l'époque romaine. Ce dernier étant très sollicité pour ses oracles, sa maison contenait des inscriptions authentiques écrites en latin dans lesquelles il jette une malédiction contre «l'équipe des bleus» pour faire gagner «l'équipe des verts», participant aux jeux du célèbre hippodrome de la ville, l'un des plus grands au monde à l'époque.
Combien y a-t-il de Qart Hadasht ou «villes nouvelles» en phénicien? Le Pr Éric Gubel a commencé son allocution en qualifiant Bruxelles de «Qart Hadasht ou nouvelle Carthage de l'Europe». Abordant le sujet de la princesse de Tyr Élissa, qui a été appelée Didon en arrivant à Chypre, ce qui signifie «la réfugiée» en phénicien, il a estimé que l'on tend actuellement, avec les nouvelles découvertes, à authentifier les mythes reliés au personnage d'Élissa/ Didon. Carthage n'aurait été ainsi que la quatrième ville fondée par la célèbre fille de Tyr, précédée par Limassol ou Larnaca-Kition à Chypre, puis la Sardaigne en Italie, ensuite Cadix en Espagne. Un exposé très détaillé et passionnant a suivi, comparant en particulier Élissa et son frère le roi Pygmalion à la princesse Europe et son frère Cadmos.

Loin des crises régionales, la voix des femmes méditerranéennes a retenti à Bruxelles, le 5 avril, avec le prix Élissa/Didon organisé par la Fondation Tyr. La présidente de la fondation, Maha el-Khalil Chalabi, avait elle-même été nommée deux mois plus tôt ambassadrice de bonne volonté de l'Unesco. Elle poursuit inlassablement, depuis 35 ans, son combat pour la réhabilitation de la...