Rechercher
Rechercher

Liban - Commission

Au Parlement, une réforme judiciaire d’ores et déjà critiquée

Pour des juristes, l'amendement de la procédure de nomination des magistrats ne les libère toujours pas de l'emprise du pouvoir politique.

Les artisans de l’amendement de l’article 5 de la loi sur la magistrature judiciaire réunis hier au Parlement. Photo Nasser Traboulsi

La commission parlementaire de l'Administration et de la Justice a mis hier la touche finale à un texte amendant la procédure des nominations et permutations judiciaires, clé de voûte du système de la magistrature. D'éminents juristes estiment cependant que cet amendement, censé renforcer l'indépendance des juges, n'est que de la poudre aux yeux.
Réunis pour finaliser l'amendement apporté à l'article 5 de la loi sur la magistrature judiciaire, les membres de la commission, auxquels se sont joints les représentants de l'ordre des avocats et du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), sont convenus d'une formule que le président de la commission, Robert Ghanem, a qualifiée d'avancée sur le plan de l'indépendance de la justice.
« C'est un premier pas fondamental en direction de la réforme de la justice et de son indépendance », a lancé M. Ghanem à l'issue des débats. « Il s'agit d'un équilibre judicieux entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire », a ajouté le député.


La nouveauté apportée dans la nouvelle mouture de l'article consiste à considérer la liste des nominations et permutations des magistrats proposée par le CSM « contraignante et effective » dans un délai maximal de deux mois et demi, même si le ministre en charge n'est pas d'accord, et ce « jusqu'à ce que soit adopté le décret » entérinant les nominations ou permutations. Le texte actuel ne prévoit pas de délai, ce qui donnait lieu à d'interminables marchandages politiques.
En réalité, pour certains juristes, les modifications apportées n'écorneraient que légèrement l'influence des politiques sur la justice, et notamment sur le processus de désignation et de permutation des magistrats. Pour eux, les députés n'ont fait que donner « l'illusion d'une réforme » et le pouvoir politique reste le maître absolu du jeu de ces nominations.


« C'est certes très décevant. Au XXIe siècle, nous avons tout de même droit à un Conseil supérieur de la magistrature souverain et à une juridiction indépendante et digne de ce nom. Malheureusement, c'est tout ce que nous avons pu obtenir »: c'est en ces termes que le bâtonnier de Beyrouth, Antonio el-Hachem, a commenté pour L'Orient-Le Jour les travaux de la commission, à l'issue d' « une bataille corsée qui a eu lieu avec certains des députés présents ».


Le directeur exécutif de Legal Agenda, Nizar Saghieh, lui, n'a pas mâché ses mots : « C'est le bazar le plus total, auquel est venu se greffer une hérésie juridique jamais vue auparavant. »
« C'est un bluff en quelque sorte, une manière de jouer sur les mots », a affirmé M. el-Hachem. « Pourquoi avoir ajouté la nécessité de l'adoption du décret ? » s'est interrogé le bâtonnier qui a considéré qu'on aurait dû tout simplement laisser l'exclusivité de la prérogative au CSM qui doit être le seul décideur en la matière. « Et si le pouvoir exécutif s'obstinait, pendant un an ou plus, à ne pas signer le décret » ? se demande-t-il encore en se désolant du caractère « conservateur » de cet amendement. « Les politiques ne lâcheront pas prise aussi facilement », ajoute le président de l'ordre.

 

(Lire aussi : La justice libanaise face à ses vices, ou l'art de réformer lorsque la volonté y est)

 

Les standards internationaux
C'est sur ce point que réagit également Me Saghieh. Il précise que le fait que les nominations deviennent contraignantes et définitives « en l'absence du décret ôte au juge qui veut contester sa permutation le droit de le faire ». « Tout magistrat doit avoir la possibilité d'invalider la décision de sa mutation. Or, avec cet amendement, et dans le cas de figure où le décret tarde à venir, les juges risquent de ne plus jouir de ce droit sacro-saint, qui fait partie des standards internationaux », a-t-il déploré.


Mais il y a pire. Alors que l'ancien texte prévoyait un vote des deux tiers des membres du CSM, l'amendement est venu apporter « une dose d'obstruction sournoise », selon Me Saghieh, en prévoyant un changement de majorité, soit un vote des trois quarts des membres du CSM pour l'adoption des nominations. « Il faut toujours avoir présent à l'esprit la composition du CSM, dont huit de ses dix membres sont nommés par l'exécutif. Si l'on veut réellement respecter les standards internationaux en matière d'indépendance des magistrats, ces derniers doivent être élus par leurs pairs et non appointés par les politiques. Cela contrevient d'ailleurs même aux accords de Taëf qui ont prévu l'élection des juges au sein de cette instance », indique le juriste.

 

(Lire aussi : Entre les médias et la magistrature, des tiraillements coûteux pour le citoyen)


Et de rappeler le précédent qui avait eu lieu au sein du Conseil constitutionnel lorsque « les juges qui sont dans la sphère de certains leaders politiques ont été sommés de ne pas faire acte de présence pour trancher le recours en invalidation de la prorogation de la législature, en 2013 ».

Certes, dit-il, avec ce nouvel amendement, le CSM a désormais la possibilité de « l'emporter » sur le ministre en adoptant les nominations après un certain délai, « mais il reste à savoir à quel point les huit magistrats qui vont voter ne seront pas redevables à leurs parrains politiques respectifs à qui ils doivent leur désignation ». Enfin, ajoute l'avocat, l'un des principes fondamentaux de l'indépendance de la magistrature, « la sacro-sainte inamovibilité des juges », n'a même pas été prise en compte par cet amendement.
« On oublie souvent que le juge doit être non seulement protégé du pouvoir politique mais également du CSM, qui peut user de la prérogative de la mutation à sa guise, en sanctionnant, parfois arbitrairement, un magistrat insoumis », soutient Me Saghieh.


« La justice est notre seul, voire notre dernier rempart contre la décrépitude de l'État. À condition que l'on puisse la libérer des griffes des politiques en prévoyant les procédures adéquates et en définissant clairement les critères d'une magistrature réellement indépendante », commente à son tour le bâtonnier.

 

Lire aussi
« Le tribunal militaire menace la sécurité publique »

Guide pratique pour une saine justice

 

La commission parlementaire de l'Administration et de la Justice a mis hier la touche finale à un texte amendant la procédure des nominations et permutations judiciaires, clé de voûte du système de la magistrature. D'éminents juristes estiment cependant que cet amendement, censé renforcer l'indépendance des juges, n'est que de la poudre aux yeux.Réunis pour finaliser l'amendement...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut