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Culture - Théâtre

Tuer, pourquoi et au nom de quoi ?

Au Madina, « revival » d'idéologies des années 70, avec le verbe affûté et caustique d'Issam Mahfouz, sous la férule de Lina Khoury. Un souvenir amer aux allures de fête débridée. Depuis, rien n'a changé, si ce n'est en pire...

Dans un « night-club » beyrouthin, aux années 70 d’avant-guerre, les noctambules parodient les grands courants de l’idéologie arabe contre le sionisme.

Pour la dixième année de la disparition d'Issam Mahfouz, un hommage lui est rendu par Lina Khoury, au théâtre al-Madina. À travers une œuvre dramaturgique ressuscitée, portée avec virulence et pour un questionnement serré sous les sunlights: Limaza rafada Sarhan Sarhan ma kalahou al-zaïm 3an Farjallah al-Helou fi Stéréo 71 (Pourquoi Sarhan Sarhan a refusé ce qu'a dit le Zaïm à propos de Farjallah al-Helou au Stéréo 71). Ouf, un titre bien long pour une sombre histoire de tueries et de morts, enrobée d'un grinçant et épais humour noir...
Une œuvre qui ne fut pas un énorme succès lors de sa création, avec à l'époque, une superbe affiche signée Hrair, d'un coup de brosse folle dégoulinant de peinture sanguinolente! Dans un Liban où jaillissaient encore les pétrodollars comme une fontaine sinistrement enchantée, l'air du temps était à l'insouciance et on prenait ces ergoteries et discutailleries politico-sociales de la cause palestinienne et de l'entité arabe, véhémentes et ultrapassionnées, pour des lubies d'intellectuels de gauche...

Bouts de hasch et luxure
Comme pour un effet de miroir, une complicité tacite ou une prolongation de situation d'indifférence et de détachement qui n'a guère changé, le public s'installe en jacassant et les acteurs sont sur scène, à se trémousser sur le damier d'une piste de danse.
Sur fond de musique «seventies» speedée, génération «hippy» avec des robes à motifs fleuris ou microjupes flanquées de bottines jusqu'à la rotule pour les femmes, et pantalons pattes d'éléphant, chemises cintrées et favoris longs sur les joues pour les hommes.
Boissons à gogo, bouts de hasch et licence des corps et de l'esprit pour un moment de luxure dans une boîte de nuit où les filles sont des chattes en chaleur et les mecs exercent leur macho en roulant des épaules et bombant le torse... Dans une effarante vulgarité gestuelle et verbale !
Derrière cette façade de nouba, dans une société frivole, grisée, éméchée et bien mal élevée (la preuve par cinq notre déplorable réalité !), il y a cependant un drame qui va surgir.
Monté de toutes pièces, par-delà rires, déhanchements et débauche de pacotille, en ce lieu voué à l'amusement, s'improvise le procès de Sarhan Sarhan, assassin de Robert F. Kennedy. Un jeu parodique, cynique et insolent, dénonciateur et analytique, théâtre dans le théâtre, pour témoigner de la grave succession d'événements qui s'emparent du Proche-Orient. C'est-à-dire l'écho délétère et morcelé du monde arabe. Oui, déjà...
Un monde en prise avec ses démons, ses schizophrénies, sa duplicité, ses trahisons, son goût de l'argent facile, ses mensonges, sa corruption atavique et ses idéologies naissantes face à un sionisme expansionniste. Et les fêtards, à tour de rôle, se transforment en un tribunal d'honneur et d'intention pour juger trois têtes qui ont été réduites au silence par la suite. Et qui sont l'embryon et le moteur déclencheur du mouvement propalestinien et panarabe.
Et on nomme Sarhan Sarhan, né à Jérusalem, Américain d'origine transjordanienne, toujours sous les verrous, Farjallah Helou, chef de file du Parti communiste libanais, et le zaïm Antoun Saadé, fondateur du Parti populaire syrien (aujourd'hui Parti social national syrien).
Une quinzaine d'acteurs pour habiter cette fresque historique où revivent trois figures différentes du militantisme arabe. Et toutes les trois bâillonnées, torturées, emprisonnées, tuées.

Le combat sempiternel de la liberté
C'est ce principe de liberté et de combat que met sur les planches Issam Mahfouz. Dont le verbe – sans prendre beaucoup de rides mais qui a perdu quand même quelque peu de sa modernité – est toujours opérant. Pour le traduire, la mise en scène, usant avec sagesse de l'aire scénique, musclée mais n'évitant pas quelques poncifs, criailleries et écueils de Lina Khoury.
Les acteurs sont bien dirigés dans l'ensemble mais les figures de proue (campées par Oussama al-Ali, Tarek Tamim et Ali Saïd) restent de petits rôles figés qu'ils n'éclaboussent pas de leur talent...
Un décor (Hassan Sadek) en deux plans. Simple mais efficace pour un théâtre, par-delà l'artifice et le réalisme des dialogues, qui se pose en défenseur d'un monde juste et libre. En ces jours sombres et obscurantistes, un rai de lumière, même si les souvenirs n'illuminent plus les cœurs.
Pour plus de clarté (quand on tue aujourd'hui pour une conjugalité branlante, un droit de priorité de passage, un trottoir qu'on prend pour un urinoir – et personne pour vous défendre!), il fallait avoir le courage de dire tout cela...
Devant la mort, il n'y a pas d'infiniment grand, pas plus que d'infiniment petit ! En rappel péremptoire pour des consciences vives et agissantes, ce théâtre, sous le label d'engagé.
Quand s'éteignent les lumières sur les noceurs ivres morts, les trois bonhommes enfoncés pour leurs idéaux politiques sont pétrifiés dans le cadre en bois de trois portes aux allures de potences.
Mais secouez-vous, réveillez-vous donc les Arabes, avant qu'il ne soit trop tard...

*La pièce « Limaza... » d'Issam Mahfouz, mise en scène par Lina Khoury, se prolonge au Madina jusqu'au 3 avril prochain. Tous les jeudis, vendredis, samedis et dimanches à 20h30.

Pour la dixième année de la disparition d'Issam Mahfouz, un hommage lui est rendu par Lina Khoury, au théâtre al-Madina. À travers une œuvre dramaturgique ressuscitée, portée avec virulence et pour un questionnement serré sous les sunlights: Limaza rafada Sarhan Sarhan ma kalahou al-zaïm 3an Farjallah al-Helou fi Stéréo 71 (Pourquoi Sarhan Sarhan a refusé ce qu'a dit le...

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