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Moyen Orient et Monde - Reportage

Du Liban à Calais : deux Palestiniens dans « la Jungle »

Cela fait un mois qu'Ali vit dans l'immense bidonville du nord de la France, en attendant de pouvoir se rendre en Angleterre. Il partage son abri avec le jeune Fathi, un autre Palestinien du Liban. « L'Orient-Le Jour » est allé à leur rencontre.

Fathi (à gauche) et Ali, deux Palestiniens du Liban, dans la « jungle » de Calais. Photo Mehdi Drissi

Une route boueuse, presque marécageuse, et une rangée d'échoppes marquent l'entrée de la « Jungle » de Calais en cette fin d'hiver. Au premier croisement, un abri de fortune dont le toit est surmonté d'un drapeau palestinien.
S'ils en avaient trouvé un, Ali, 42 ans, et Fathi, 25 ans, les deux habitants de cet abri auraient aimé ajouter le drapeau libanais. Car c'est du Liban, et plus précisément du camp de Bourj Chémali, près de Tyr, où ils sont nés et ont grandi, que ces deux Palestiniens sont venus. Calais et sa Jungle, nom donné à ce camp de fortune pour migrants, ne sont qu'une étape de leur long périple, dont l'objectif final est l'Angleterre.
Ali est arrivé dans le grand bidonville du nord de la France il y a un mois. Il a laissé derrière lui, au Liban-Sud, une épouse et quatre enfants qui attendent le jour des retrouvailles de l'autre côté de la Manche. Fathi, le neveu de son épouse, est arrivé deux mois avant lui. Il souffre d'une surdité légère. Alors, souvent, Ali doit élever la voix pour l'extirper de ses pensées.
« C'est toujours moi qui cuisine et qui mets de l'ordre dans notre tente, raconte Ali, un brin taquin mais toujours affectueux. Fathi est bordélique. On se dispute souvent. N'est-ce pas Fathi ? » « Au Liban, j'étais habitué à être chouchouté », répond le jeune homme avec un sourire un peu triste.

 

(Reportage : À Calais, les Syriens reforment un peuple)

 

Du Liban à Calais
Fathi quitte le Liban le 26 octobre 2015, Ali le 20 décembre. Le jeune plombier prend l'avion pour la Jordanie puis pour l'Égypte. À partir de là, il rejoint la Libye, écrasé avec 50 autres passagers dans une camionnette. Puis c'est par la mer, à bord d'une barque surchargée d'une centaine de passagers, que Fathi rejoint l'Italie. « Le voyage a duré toute la nuit, car nous nous sommes perdus. J'étouffais, c'était traumatisant », se souvient-il. Leur salut, Fathi et les autres passagers le doivent à la marine italienne qui finit par repérer la barque en perdition. Fathi passe une semaine « sur une île italienne qui ressemble à une immense prison », avant de prendre le bus pour Nice, puis Paris, pour enfin arriver à Calais. Un périple qui lui a coûté 7 000 dollars.


Deux mois plus tard, Ali opte pour un itinéraire totalement différent dans lequel toutes ses économies, soit 9 000 dollars, passeront. Son voyage commence à l'Aéroport de Beyrouth où il embarque pour Ankara. De là, il se rend dans un port turc dont il a oublié le nom et achète à un passeur libanais une place dans une barque pouvant accueillir un maximum de 20 personnes. 50 personnes embarquent. Après une nuit en mer, les migrants arrivent en Grèce où la police les escorte jusqu'à la frontière. Une longue marche débute alors pour Ali : il traverse la Macédoine, la Serbie et la Hongrie à pied. « Nous dormions dans la rue, il faisait un froid glacial, raconte-t-il. Tout au long du chemin, je me répétais qu'il fallait que je tienne, parce que je faisais tout ça pour mes enfants. » En Hongrie, Ali prend un bus pour l'Allemagne où il passe quelques jours avec son frère installé à Berlin depuis une quinzaine d'années. Et c'est en train qu'Ali arrivera à Calais.


« Une partie de moi regrette d'avoir quitté le Liban, j'y ai laissé ma famille et mes amis, confie Ali. Mais j'espère pouvoir au moins rembourser mes dettes et envoyer de l'argent à mes proches. » Dans son portefeuille, Ali a conservé un billet de 20 000 livres libanaises. « Le Liban, c'est mon pays, et si j'avais un salaire décent, j'y serais resté », insiste-t-il. Ali était chauffeur de grue. Lorsqu'au bout de huit ans de travail pour le même employeur, il décide de démissionner pour prendre la route, il n'obtient aucune indemnité de fin de service. « En tant que Palestinien, je n'ai aucun droit au Liban. Pour cela, je ne blâme pas l'État libanais mais (le président de l'Autorité palestinienne) Mahmoud Abbas », s'emporte-t-il. Son téléphone bipe, Ali se calme. « C'est mon épouse. Elle m'écrit toutes les cinq minutes et là elle me demande où je suis! Mais où veut-elle que je me promène ? » lâche-t-il en riant.

 

(Lire aussi : Le démantèlement de la « jungle » des migrants de Calais engagé)

 

Une minorité arabe
Dans la « Jungle », Ali se sent bien seul. « Lorsque je regarde autour de moi je me sens étranger, nous sommes, Fathi et moi, les seuls Palestiniens du camp. D'ailleurs, les Arabes ici sont minoritaires, il y a seulement 150 Syriens », affirme-t-il. Dans son coin de jungle se trouvaient surtout des Égyptiens, des Kurdes et des Koweïtiens. Mais depuis le début du démantèlement de la partie sud du bidonville, lancé il y a deux semaines par les autorités françaises, Ali note l'arrivée de nouveaux migrants, des Afghans en majorité. La partie sud abritait entre 800 et 1 000 migrants, selon le gouvernement français, mais près de 3 500 d'après les associations. Sur l'ensemble du bidonville, entre 3 700 et 7 000 migrants, surtout afghans, soudanais et syriens, survivent dans des conditions précaires, selon différentes sources.


« Quand je suis arrivé à Calais, j'ai eu l'impression de recevoir une gifle, se souvient Ali. Les camps palestiniens au Liban sont en meilleur état ! Les tentes à moitié détruites, ces réfugiés qui affluent par milliers de tous les coins du monde... tout m'a choqué ici ! »
De temps en temps, Ali partage un thé, des souvenirs et des rêves avec d'autres réfugiés, souvent des Égyptiens et des Syriens. Tous les jours, il va prier à la mosquée construite derrière son abri. Parfois, il monte sur une dune pour voir les camions blancs dans lesquels les migrants embarquent illégalement pour passer en Angleterre. « Les voir passer me rappelle que ce pays est juste à côté. » Mais Ali n'aime pas trop se déplacer dans le camp. Ce labyrinthe boueux, où il est rare de croiser des femmes et des enfants, est pour lui « bien plus qu'une jungle. C'est le chaos ».
En un mois, Ali et Fathi ont appris tant bien que mal à cohabiter dans cet espace étroit devenu leur maison. Cette tente montée à l'aide de planches de bois et de bâches noires, Ali l'a achetée 60 euros à des Soudanais qui vivent dans le camp. Au sol, plusieurs épaisses couvertures se gorgent d'eau dès qu'il pleut sur la Jungle. Sur une façade, des vestes sont suspendues, comme des fantômes. « Elles appartenaient à Ali, Mohsen, Omar et Mohammad. » Ils sont tous partis en Angleterre.

 

L'Angleterre, cette obsession
« Toute la journée, je pense à Londres et à comment m'y rendre », confie Ali. « Il paraît que certains vont jusqu'à payer 10 000 livres sterling (environ 14 000 dollars) à un chauffeur de camion et à un passeur pour pouvoir partir, raconte-t-il. Moi si j'avais cette somme, je n'aurais pas quitté le Liban ! » « Mais en payant cette somme, nous sommes assurés d'arriver en Angleterre », rétorque Fathi, qui se noie dans un grand anorak rouge.


En un mois, Ali a tenté sa chance à trois reprises. Mais il n'a réussi qu'une seule fois à se faufiler avec sept autres migrants à l'intérieur d'un camion. « Lorsqu'il a démarré, j'ai regardé le GPS et j'ai vu qu'il se dirigeait vers la Belgique. Nous avons frappé fort pour que le chauffeur s'arrête. Il nous a alors crié dessus en français, je n'ai rien compris. » Lors d'une autre tentative, après 30 minutes de marche, Ali et son groupe ont été repérés par la police. « Roués de coups, nous avons rebroussé chemin vers le camp. J'en ai un peu marre », lâche-t-il en allumant une cigarette. Dans son « paquet » en aluminium acheté 1 euro, il n'en reste plus que neuf.
Mais Ali ne perd pas espoir. « Un jour, je travaillerai en Angleterre, je toucherai un salaire décent et je pourrai assurer un avenir digne de ce nom à mes enfants, affirme-t-il. Et lorsque j'aurai une carte de séjour anglaise, je visiterai le Liban. La corniche me manque tellement... »

 

(Lire aussi : Dans un entrepôt de Calais, une logistique intense et fragile pour les dons aux migrants)

 

Un sentiment d'humiliation
Un jeune Égyptien fait irruption dans sa baraque de fortune. « Tu as un miroir, toi! » lance-t-il à Ali. « Même dans la Jungle, je prends soin de mon apparence », répond le Palestinien, le sourire aux lèvres.
Maintenir un minimum d'hygiène, dans la Jungle, n'est pas chose aisée. Plutôt que faire la queue pendant trois heures pour une douche de cinq minutes dans les toilettes publiques, Ali paie trois euros à des Afghans pour se doucher dans un cabanon construit à cet effet. À Calais, les Afghans qui, d'après l'association Auberge des migrants, constituent 25 % de la population du camp sont un peu « les rois ». Ils ont des supérettes et des cafés, et souvent Ali va boire un thé chez eux. « Je passe trois à quatre heures à regarder des films indiens le temps que la batterie de mon téléphone se recharge. »


Mais le plus difficile, confie Ali, c'est ce sentiment d'humiliation qui le ronge. « Il suffit que je regarde autour de moi, que je marche dans la boue, que je sois trempé de la tête aux pieds quand il pleut, pour que je me sente humilié. Hier, le vent soufflait, la tente tanguait, la pluie s'infiltrait... Parfois, l'eau qui s'infiltre est mélangée à l'urine de ceux qui viennent faire leurs besoins à côté. »
« La vie est très difficile ici et encore plus quand il fait froid », murmure Ali. En prenant un paquet contenant du café moulu, il retrouve le sourire. « Un ami me l'a donné avant de quitter le camp, il sent le Liban, ça fait du bien! » affirme-t-il en concoctant son café turc dans une théière.
Quelques jours après notre visite dans la Jungle, Ali est seul dans sa tente. Fathi a réussi à se rendre en Angleterre.

 

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Une route boueuse, presque marécageuse, et une rangée d'échoppes marquent l'entrée de la « Jungle » de Calais en cette fin d'hiver. Au premier croisement, un abri de fortune dont le toit est surmonté d'un drapeau palestinien.S'ils en avaient trouvé un, Ali, 42 ans, et Fathi, 25 ans, les deux habitants de cet abri auraient aimé ajouter le drapeau libanais. Car c'est du Liban, et plus...

commentaires (1)

On leur souhaite toute la bonne chance du monde , pour eux comme pour nous , libanais qui n'en pouvant plus de supporter les erreurs des occicons chez nous . Mais en lisant bien , des 7000 usd ou des 9000 usd c'est beaucoup d'argent ! ok c'est vrai que pour la liberté rien n'a de prix , mais on est pas si malheureux que ça avec des sommes pareilles . Peut on savoir d'où vient cet argent ? Pour pouvoir répondre à la question de savoir qui les envoie .

FRIK-A-FRAK

10 h 55, le 09 mars 2016

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Commentaires (1)

  • On leur souhaite toute la bonne chance du monde , pour eux comme pour nous , libanais qui n'en pouvant plus de supporter les erreurs des occicons chez nous . Mais en lisant bien , des 7000 usd ou des 9000 usd c'est beaucoup d'argent ! ok c'est vrai que pour la liberté rien n'a de prix , mais on est pas si malheureux que ça avec des sommes pareilles . Peut on savoir d'où vient cet argent ? Pour pouvoir répondre à la question de savoir qui les envoie .

    FRIK-A-FRAK

    10 h 55, le 09 mars 2016

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