En décidant d'ouvrir les archives du régime de Vichy, la France fait tomber les derniers tabous sur la collaboration avec l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale qui ont empoisonné le débat national pendant des décennies.
« On en finit avec la crainte du scandale. On assume. On va pouvoir mieux comprendre », se félicite le président de l'Association des archives nationales, Gilles Morin, alors que le gouvernement a décidé d'ouvrir quasiment toutes les archives de la police et de la justice datant de juin 1940 à juillet 1944.
Pendant cette période, l'Allemagne nazie occupe le nord de la France et le maréchal Philippe Pétain dirige la zone « libre » depuis Vichy, une ville du centre du pays, d'où il instaure une politique de collaboration avec l'occupant, se livrant notamment à des rafles massives dans la population juive.
Cette politique fit de 10 000 à 15 000 morts et 80 000 déportés civils, dont une petite moitié à peine revint en vie d'outre-Rhin. Mais, à la sortie de la guerre, forte des actions des résistants menés par le général de Gaulle, la France s'impose du côté des vainqueurs, obtient un siège au Conseil de sécurité de l'Onu, participe au partage de l'Allemagne...
Et le régime de Vichy est présenté comme une « parenthèse », un régime déconnecté de la République française. Ce n'est qu'en 1995 que le président Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l'État français dans la déportation de 76 000 juifs vers les camps de la mort. Né en 1932, Jacques Chirac était enfant pendant la guerre, contrairement à son prédécesseur, le socialiste François Mitterrand, qui fut rattrapé pendant son mandat (1981-1995) par son rôle controversé sous Vichy. Fonctionnaire, il avait été décoré en 1943 par le régime de Pétain, tout en participant à la Résistance.
« Aujourd'hui, le temps a passé. Les générations qui ont été impliquées dans la Seconde Guerre mondiale ne sont plus là. Ce n'est plus un objet politique chaud. On peut le rouvrir sans risque », observe l'historienne Annette Wieviorka.
C'est d'ailleurs l'actuel chef de l'État François Hollande, né après-guerre, qui, pour le 70e anniversaire de la fin du conflit, le 8 mai dernier, avait annoncé l'ouverture des archives afin de lutter contre « ces fléaux qui nous menacent : le révisionnisme, l'altération de la mémoire, l'oubli, l'effacement ».
Un Américain brise le mythe
Jusqu'alors, les archives étaient accessibles après obtention d'une dérogation, une procédure non automatique qui pouvait prendre « de quinze jours à six mois », selon Annette Wieviorka. Désormais, « seul un tout petit nombre de dossiers, ayant vraisemblablement trait à la vie privée », resteront inaccessibles, se félicite-t-elle. « Il ne faut toutefois pas construire l'image d'une France aux archives bloquées, tempère Denis Peschanski, directeur de recherche au centre CNRS. Grâce à elles, on a déjà écrit des dizaines de livres sur la France des années noires ».
L'un des plus emblématiques d'entre eux, La France de Vichy de Robert Paxton, fut néanmoins réalisé sur la base d'archives... allemandes saisies par l'armée américaine. Sa sortie, en 1973, fit l'effet d'une bombe. L'ouvrage dévoila la collaboration étatique avec l'occupant, aux antipodes du mythe d'un pays uni dans la Résistance. Aujourd'hui, de nombreuses recherches plus tard, peu de révélations sont à attendre sur le régime de Vichy, « l'essentiel » ayant « déjà été écrit », selon les historiens interrogés.
Outre l'État français, entre 150 000 et 200 000 Français furent aussi « collaborationnistes » et des centaines de milliers d'autres s' « accommodèrent » de la situation, tel l'auteur Jean Cocteau, « qui était de tous les pince-fesses avec les autorités allemandes », note Denis Peschanski.
Reste à expliquer pourquoi l'ouverture des archives est circonscrite à Vichy et exclut les guerres d'Indochine ou d'Algérie, pourtant largement étudiées. « La déclassification systématique est la règle aux États-Unis et au Royaume-Uni. Dans les pays de l'Est, on a rapidement ouvert les archives après la chute du mur, souligne Gilles Morin. Mais en France, on a peur de notre ombre. »
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IL Y A TROP À DIRE... ET À REDIRE DANS CETTE HISTOIRE !
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 58, le 02 janvier 2016