« Et si demain était un jour sans travailleurs migrants ? (…) Et qui construirait nos gratte-ciels sous la chaleur étouffante alors que nous sommes assis dans nos bureaux climatisés ? » se demande Ruba Jaradat, directrice régionale du Bureau des États arabes, à l’OIT. Beawiharta/Reuters/Files
Le 18 décembre est la Journée internationale des migrants, une journée de solidarité mondiale avec les travailleurs migrants – ou les travailleurs « arrivants temporaires », comme on les nomme dans le monde arabe. En cette date de 1990, l'Organisation des Nations unies avait adopté la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles.
Comme tous les êtres humains, les travailleurs migrants sont des personnes qui ont des noms, des sentiments et de la dignité. Ils portent avec eux des histoires, des responsabilités et des aspirations – et ils ont également des droits.
En cette Journée internationale des migrants, penchons-nous sur l'histoire d'Anna, une Sri-lankaise qui fut une travailleuse domestique migrante dans un pays du Moyen-Orient pendant 20 ans. Son travail consistait à nettoyer, cuisiner et s'occuper de deux enfants qui ont grandi avec ses soins, alors que leurs parents étaient en mesure de travailler à temps plein. Heureusement, son désir et sa volonté de changer la vie de sa propre famille au Sri Lanka pour le meilleur ont été satisfaits grâce à l'accomplissement de ses employeurs de leurs obligations à son égard. Ainsi, Anna a pu envoyer ses propres enfants à l'université et assister à l'obtention de leurs diplômes, avec un sentiment de fierté et de bonheur.
Anna mérite une haute estimation, car finalement, elle œuvre actuellement à réaliser son propre rêve de créer une entreprise traiteur. Pour elle, la migration est devenue un choix, contrairement à beaucoup de ceux qui quittent leurs familles à la recherche de meilleures opportunités, souvent en risquant tout et sans aucune garantie. Pour d'autres trop nombreux, la migration est encore une « fatalité », une nécessité souvent déclenchée par un pur manque d'argent pour prendre soin de leurs bien-aimés.
Mondialement, le nombre de migrants internationaux est estimé à 232 millions de personnes, dont 25 millions vivent dans les pays arabes. Beaucoup d'entre eux travaillent dans des secteurs tels que la construction, l'agriculture et les services, y compris le travail domestique. Ces emplois sont plutôt exigeants, effectués dans des conditions difficiles.
Alors que la migration de la main-d'œuvre est généralement bien accueillie par les pays d'origine et de destination et alors que l'histoire d'Anna est une histoire de progrès et de succès malgré les nombreux sacrifices personnels qu'elle a dû faire, une histoire de souffrance existe pour d'autres travailleurs migrants, trop nombreux : un trop grand nombre de ces migrants se trouvent encore pris au piège de l'exploitation, avec des frais de recrutement lourds à payer, sans salaires appropriés, et, au pire des cas, sans liberté, dans des situations semblables au travail forcé, comme s'ils étaient des esclaves modernes.
L'Organisation internationale du travail (OIT) estime qu'il existe quelque 600 000 cas de travail forcé dans le seul Moyen-Orient, dont bon nombre sont relatifs à des travailleurs migrants.
À cette occasion donc, essayons de comprendre certains des problèmes auxquels les travailleurs migrants sont confrontés. Demandons-nous : Pourquoi ont-ils migré ? Comment ont-ils été recrutés, à quel coût, et comment ont-ils financé ces coûts ? Quelles sont les conditions de travail et de vie auxquelles ils font face ? Reçoivent-ils le salaire qui leur a été promis, et au moment dû ? Leur vie privée est-elle respectée ? À quel rythme voient-ils leurs familles ? Peuvent-ils démissionner librement – dans un délai approprié – s'ils ne sont pas satisfaits de leur travail, et à quel coût ? Ont-ils accès à des mécanismes de plainte en cas de mauvais traitement ? Et quelles modalités de compensation sont-elles en place dans leurs pays de destination ?
Ces questions ne sont pas celles que la plupart d'entre nous avons besoin de nous poser concernant nos propres vies professionnelles. Mais dans le cas des travailleurs migrants, les réponses à ces questions révèlent les défis qu'ils sont nombreux à confronter. En outre, elles impliquent qu'en fin de compte, les travailleurs migrants se trouvent toujours exploités, y compris dans les situations de travail forcé. Nous devrions méditer ici sur le fait que dans le monde arabe – comme cela est le cas, malheureusement, dans de trop nombreuses autres parties du monde – le travailleur migrant se fait confisquer son passeport ; on lui renie le droit aux congés et sa liberté de mouvement ; ces pratiques, ainsi que les retards dans le paiement des salaires, sont considérés comme normaux par beaucoup de gens.
Pensons aussi à notre propre intérêt.
Il ne fait aucun doute que nous bénéficions énormément des millions de personnes comme « Anna » dans le monde. Ils laissent derrière eux leurs bien-aimés à la recherche d'emplois dans un autre pays – des emplois qui leur valent évidemment des salaires plus élevés que dans leur pays, mais qui, néanmoins, entraînent des conditions de travail tellement difficiles et sous-payés que les ressortissants de ce pays refusent de les occuper.
Que faire si cela devait s'arrêter ? Et si demain était un jour sans travailleurs migrants ? Que faire s'il n'y avait pas des Anna pour nous « servir » ? Que faire s'il n'y avait plus d'éboueurs, s'il n'y avait plus de migrants pour récolter nos fruits ? Et qui construirait nos gratte-ciels sous la chaleur étouffante alors que nous sommes assis dans nos bureaux climatisés ?
Tout autour de nous s'arrêterait.
La migration de la main-d'œuvre contribue grandement au développement, tant des pays d'origine que des pays de destination. Ce sujet est sur l'agenda national de chaque gouvernement. Les pays membres des Nations unies ont reconnu son importance et l'ont considéré un élément essentiel des Objectifs de développement durable. Voilà donc une occasion pour formuler des politiques de migration « équitables », en ligne avec les normes internationales du travail où tous bénéficient, y compris les travailleurs migrants, et où les recruteurs malhonnêtes et les employeurs abusifs n'ont plus d'excuses.
Le 18 décembre, nous devrions apprécier hautement ce que les travailleurs migrants nous donnent – et sous quelles conditions – et réfléchir sur ce que nous leur donnons en retour.
*Dr Ruba Jaradat est la directrice régionale du Bureau des États arabes au sein de l'Organisation internationale du travail