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Culture - Installation

Ces souvenirs de famille qui racontent le pays...

Le plasticien Alfred Tarazi a transposé à l'Institut français de Beyrouth son vide-greniers familial. Dans une œuvre insolite mais loin d'être insignifiante.

Des photos jaunies des membres d’une famille levantine…

Affiché sur la porte de la salle d'exposition de l'Institut français*, le texte d'introduction signé Alfred Tarazi prévient le visiteur qu'il va, d'une certaine manière, pénétrer dans « (...) les résidus des vies et des métiers qui ont occupé (sa) famille ». Et d'emblée, le visiteur se retrouve face à un bric-à-brac de meubles, d'objets, de dossiers, de paperasses et de photos qui dévoilent des pans de son histoire familiale. Celle du Liban aussi... À commencer par un florilège de portraits photographiques de personnages de divers âges et époques épinglés sur un panneau longitudinal. Des photos jaunies des membres de cette lignée d'ébénistes et marchands d'antiquités orientales qui, de Damas à Beyrouth, avaient établis un commerce prospère en dépit de tous les événements et les guerres traversés. Une famille « levantine » en somme, dont l'arrière petit-fils a voulu reconstituer le fil du parcours.

« À défaut de pouvoir m'attaquer au chantier de l'histoire du Liban et de la région, qui me semblait beaucoup trop ambitieux à mon échelle, je me suis attelé à celui d'une famille, la mienne en l'occurrence », confie l'artiste. Ce trentenaire né en 1980 en pleine guerre libanaise est connu pour son travail de plasticien quasi exclusivement articulé autour des conséquences de la guerre civile. Que ce soit au moyen de photomontages, de sculptures ou d'installations, Alfred Tarazi poursuit depuis une dizaine d'années son exploration de la mémoire des « événements du Liban » à la lumière des données actuelles. Son regard porté sur le rétroviseur de l'histoire remonte aussi aux « Première et Seconde Guerres mondiales desquelles découlent tous les événements et les bouleversements de la région », estime-t-il.

Pour ce jeune homme, qui affirme n'avoir « jamais voulu être un artiste », l'art n'est pas une fin en soi. « C'est juste un moyen de questionner la guerre civile, donc la violence et par conséquent l'écriture de l'histoire contemporaine », indique-t-il. Avant de confier que son « grand projet, loin d'être abouti, est de conceptualiser un mémorial pour la guerre civile ».
« En me penchant sur l'histoire de ma famille, j'ai réalisé que les histoires personnelles de ses membres s'inscrivent de manière non discontinue dans la grande histoire, mais que chaque génération qui survit aux événements violents de l'époque oublie une partie de cette histoire dans son instinct de survie », signale Alfred Tarazi. Lequel, pour alimenter ce grand travail sur la construction de la mémoire collective nationale qu'il entreprend, en a donc collecté des fragments dans « les restes en ruine de la vie de mes parents qui sont devenus avec le temps les témoins muets d'un âge désuet », dit-il.

De poussiéreux objets conservés dans les greniers, les entrepôts, les armoires et les étagères, qu'il a rassemblés dans cette installation baptisée, justement, « Monument à la poussière », composée d'une pile de dossiers empilés dans un coin et d'un amas de lampadaires en cuivre perforé dans l'autre, de boiseries damasquinées posées contre un mur, de tables de travail et bureaux art déco, d'un canapé d'époque faisant face à une vitrine rassemblant bibelots et vieilles paperasses, ainsi que des tas d'outils de fond d'ateliers.
Un assemblage d'éléments hétéroclites, plutôt inattendus dans un lieu d'exposition, qui diffusent une forte « atmosphère levantine ». D'autant que cet « ensemble visuel » est accompagné de plusieurs textes décrivant des « épisodes » des destins personnels des aïeux et des parents de l'artiste, de même que des fragments de ses propres souvenirs... Des mémoires individuelles qui, en se superposant, forment la trame d'un récit familial captivant qui renvoie, inéluctablement, à l'histoire d'un pays et d'une région aujourd'hui en déperdition... À découvrir, jusqu'au 8 décembre.

Et la francophonie dans tout cela ?
Pas question d'être plus royaliste que le roi, mais il est surprenant que l'ensemble des textes de cette installation narrative trônant à l'Institut français du Liban ne soit disponible qu'en anglais. Sauf un seul, servant d'introduction à l'exposition. L'artiste a, évidemment, l'entière liberté du choix de sa langue de prédilection et en aucun cas ce reproche ne lui est adressé. Mais qu'une version française (ajoutée à l'originale) ne soit pas disponible au sein de cet institut dont l'un des axes d'action majeurs est l'enseignement et la diffusion de la langue française, cela ne semble pas le meilleur moyen de préserver et de renforcer la francophonie.

* Institut français du Liban, rue de Damas. Tél. : 01-420200.

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Alfred Tarazi, artiste engagé

Artiste visuel avec une formation de graphic designer à l'AUB, Alfred Tarazi qui fait partie de l'Atelier Hapsitus, fondé par Nadim Karam, est aussi l'instigateur de The Feel Collective, un rassemblement d'activistes culturels dont l'objectif est de provoquer la créativité et de changer les modes de pensée.

 

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