Après « le séisme judiciaire » de lundi provoqué par l'arrestation à l'aéroport d'un prince saoudien, Abdel Mohsen ben Walid ben Abdel Aziz, les milieux politiques et diplomatiques sont en émoi. Les interprétations et les pronostics vont bon train et le tapage médiatique autour de cette affaire, qui constitue une première, rend compliquée la possibilité de la régler « à la libanaise », dans la plus grande discrétion.
La visite de l'ambassadeur d'Arabie saoudite au ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, s'inscrit ainsi dans la volonté de minimiser l'impact de l'arrestation du prince, tout en affichant une attitude saoudienne sereine et respectueuse de la justice libanaise. Mais il est clair que cette affaire embarrasse tout le monde. D'autant qu'elle arrive à un moment où le Hezbollah, par la voix de son secrétaire général, Hassan Nasrallah, ne mâche plus ses mots à l'égard du royaume wahhabite et de ses dirigeants, alors que le slogan « Mort aux Saoud » est désormais clamé régulièrement par la foule dans les manifestations et les rassemblements populaires organisés par cette formation.
Dans certains milieux du 14 Mars, on commence à dire qu'il s'agit d'un piège tendu au prince pour pouvoir l'arrêter et discréditer, à travers cette affaire, la famille royale saoudienne. Ces mêmes milieux soulèvent des interrogations sur l'identité de la partie qui a remis à l'émir et ses gardes du corps les paquets contenant les pilules de Captagon pour qu'ils soient transportés à bord de l'avion privé loué par le prince à destination de l'Arabie saoudite.
Mais des sources sécuritaires affirment au contraire que la découverte du lot de pilules s'est faite tout à fait par hasard par un officier des FSI qui a été alerté par le nombre (40) de paquets bien emballés qui étaient emmenés avec les bagages de l'émir et de son escorte.
Jusqu'à présent, les sources sécuritaires refusent de révéler le nom de cet officier, assurant qu'il n'a fait que son travail, sans aucune arrière-pensée. Les mêmes sources ajoutent qu'aucune précaution n'avait été prise pour tenter de cacher la cargaison, et l'attention d'un officier consciencieux ne pouvait qu'être attirée par tous ces paquets soigneusement ficelés, portant la mention et le nom de l'émir. S'il s'était agi d'une valise ordinaire ou de deux paquets, l'officier n'y aurait sans doute pas prêté attention ou aurait pu faire semblant de ne rien voir, mais là, le coup était trop gros et ne pouvait pas passer inaperçu.
Les sources sécuritaires précitées précisent que le prince, qui avait loué le petit avion privé pour venir au Liban le 24 octobre, ne pouvait pas avoir de gros bagages pour un séjour de quelques jours, et il était clair que tous ces paquets identiques ne pouvaient que cacher un trafic quelconque. Pour se protéger d'éventuelles foudres politiques, les officiers de l'aéroport ont aussitôt alerté les autorités judiciaires, et le juge Dany Chrabieh a recueilli les premiers aveux du prince et de ses gardes du corps. En même temps, les médias ont été mis sur le coup pour éviter toute contestation ou pression politique ou diplomatique. Les sources sécuritaires précitées estiment à cet égard que ce genre de trafic doit être malheureusement courant, et ce n'est pas la première fois qu'un chargement de Captagon est découvert alors qu'il devait être envoyé dans les pays du Golfe, mais, cette fois, les convoyeurs n'avaient pas jugé bon de prendre des précautions, estimant que les bagages d'un émir saoudien ne pouvaient pas être fouillés. Manque de chance, ils sont tombés sur un officier zélé et consciencieux qui a voulu faire son travail, et, finalement, il n'était plus possible de revenir en arrière ou d'étouffer l'affaire.
Selon des sources proches de l'enquête, il y aurait beaucoup de contradictions entre les déclarations de l'émir et celles de son escorte devant le juge Chrabieh, qui devraient s'éclaircir au fur et à mesure du progrès de l'enquête. Mais les responsables sécuritaires et judiciaires connaissent l'existence de réseaux pour la fabrication et le trafic de drogue à partir du Liban. Si, jusqu'à présent, les autorités libanaises avaient surtout arrêté des personnes anonymes, cette fois-ci la prise est importante et pourrait donc leur permettre d'aller plus loin dans le démantèlement des réseaux. Concernant le sort de l'émir, qui, en dépit des affirmations contraires de l'ambassadeur d'Arabie saoudite à Beyrouth, inquiète au plus haut niveau, un avocat spécialisé dans la juridiction libanaise devrait lui être désigné et c'est lui qui devrait régler le cas avec habileté, en déclarant que les aveux faits sans la présence d'un avocat ne peuvent pas être retenus. Il y aura donc un nouvel interrogatoire dans lequel l'émir pourrait probablement affirmer qu'il n'est au courant de rien et que c'est un de ses hommes, qui, à partir d'Arabie saoudite, aurait ordonné à son escorte de prendre en charge les paquets, sans préciser leur contenu. Les sources sécuritaires et judiciaires sont d'accord pour dire qu'il n'y a ni plan ni piège, juste un « hasard » qui a poussé l'officier à faire cette prise. Cette affaire n'aurait donc aucune portée politique, puisque le Hezbollah n'a pas attendu l'arrestation de l'émir pour s'en prendre à la famille royale saoudienne. Ses griefs déclarés contre le régime saoudien vont bien au-delà des frasques d'un émir (il y a d'ailleurs d'autres exemples dans d'autres pays, où des émirs ont été arrêtés pour des implications dans des affaires différentes, et les relations entre les autorités de ces pays et le royaume wahhabite n'en ont pas pour autant été perturbées), et cette affaire n'ajoute rien à ses revendications. Elle ne peut donc pas faire l'objet d'une exploitation politique quelconque. La justice devrait donc suivre son cours, avec toutefois moins de médiatisation...
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18 h 35, le 28 octobre 2015