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Moyen Orient et Monde - Interview express

Réfugiés ou migrants ? Ne pas opposer des « bons » et des « mauvais »

Hier, à la frontière slovéno-croate. Jure Makovec/AFP

La distinction entre réfugiés et migrants économiques, un pilier de la réponse de l'UE à la crise migratoire, induit une opposition entre de « bons » et de « mauvais » migrants, déplore la sociologue française Jocelyne Streiff-Fénart dans un entretien à l'AFP. Fluctuante selon l'époque, cette distinction conduit « à n'aborder les migrations qu'en termes de contrôles et de répression », regrette par ailleurs cette spécialiste des migrations, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Pourquoi critiquez-vous la distinction entre réfugiés et migrants économiques ?

Il s'agit plutôt de réfléchir à ses usages et à leur fonction. C'est une distinction récurrente de manière rhétorique, mais il y a un chevauchement des catégories dans la réalité parce ce que c'est une distinction liée au contexte et saturée par le politique.
Il ne faut pas la prendre pour argent comptant, c'est une distinction qui fluctue en fonction des conjonctures de l'époque. Des historiens ont montré que dans les années 1920, la gestion des réfugiés s'organisait autant selon une perspective économique que selon une perspective d'asile.

Cette distinction a-t-elle beaucoup évolué ?
Pendant la guerre froide, on a encore une autre façon de configurer cette opposition, avec d'un côté les communistes et de l'autre les pays libres. La grande figure du réfugié, ce n'était pas celui qui fuyait la guerre, mais celui qui fuyait le communisme. Inversement, les pires régimes autoritaires n'étaient pas déclarés dictatoriaux parce qu'ils étaient des alliés du monde libre.
Dans un texte datant de 1943, Hannah Arendt considère que le terme d'« immigrés » est moins stigmatisant que celui de « réfugiés », alors réservé à ceux qui fuient les persécutions, notamment les Juifs. Ils ne sont pas réfugiés en vertu de leur combat pour la liberté, mais en tant que victimes. Ils arrivent démunis et sont obligés de recourir à l'aide de comités de réfugiés. On disait alors les « pauvres réfugiés », alors que les immigrants, dans le contexte américain de l'époque, restaient auréolés de l'héroïsme des pionniers.
Actuellement, on considère à l'inverse que les bonnes raisons de migrer sont celles qui relèvent de la contrainte: la fuite de l'oppression, de la guerre, des catastrophes. Et qu'elles justifient un accueil au nom de l'humanité. Les mauvaises raisons sont celles qui relèvent du choix : c'est le migrant économique qui veut améliorer sa situation. Et en vertu de ces raisons illégitimes, ces migrants doivent être contrôlés et repoussés avec fermeté.

Cela a-t-il des implications dans la perception de ces personnes ?
Ce qui est grave avec cette idée qu'il y a de bonnes et de mauvaises raisons de migrer, c'est que ses implications morales s'attachent de plus en plus aux acteurs : il y aurait de bons migrants, les réfugiés, et de mauvais migrants, les migrants économiques.
Cela discrédite le migrant économique. Pourtant, les migrants peuvent aussi fuir des situations de désespérance sociale, pas forcément la guerre : c'est aussi digne de considération qu'une autre situation.
En même temps, cela porte aussi atteinte à l'image du réfugié en alimentant la rhétorique du vrai-faux réfugié. Dans la mesure où il y a de bons et de mauvais migrants, il y a la suspicion que le mauvais cherche à se faire passer pour le bon.

Propos recueillis par Cédric SIMON/AFP

La distinction entre réfugiés et migrants économiques, un pilier de la réponse de l'UE à la crise migratoire, induit une opposition entre de « bons » et de « mauvais » migrants, déplore la sociologue française Jocelyne Streiff-Fénart dans un entretien à l'AFP. Fluctuante selon l'époque, cette distinction conduit « à n'aborder les migrations qu'en termes de...

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