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Économie - Focus

Malgré la mode des indicateurs privés, l’économie libanaise reste en manque de données

De plus en plus d'organismes privés publient des statistiques disparates sur l'évolution de certaines activités du pays. Un palliatif aux carences des statistiques officielles.

La multiplication des indices publiés par le secteur privé répond à un besoin de données statistiques que l’État peine à satisfaire. Photo Dolgachov/Bigstock

Notoirement réputée pour son absence de statistiques fiables, l'économie libanaise voit déferler depuis quelques années de plus en plus d'indicateurs issus d'officines privées et permettant de mesurer l'évolution de certaines composantes de l'offre ou de la demande. « On peut même parler d'un véritable phénomène de mode », lâche le directeur du département de recherche du groupe Byblos Bank, Nassib Ghobril. Dernière initiative en date : le lancement, début octobre, d'un indice mesurant l'évolution des ventes de détail depuis 2012 par la Lebanese Franchise Association (LFA) et la Chambre de commerce de Beyrouth et du Mont-Liban (CCIAB). « Cet outil a vocation de mesurer le rythme de l'activité commerciale de plus d'un millier d'enseignes réparties sur tout le territoire afin de déduire une tendance à l'échelle nationale », indique Albert Nasr, économiste et fondateur de QuantAnalysts, la société de conseil qui est chargée de l'élaboration de cet indice.

« Naviguer à vue »
En 2011, Byblos Bank a été le premier établissement financier libanais à s'essayer à l'exercice en lançant en partenariat avec l'Université américaine de Beyrouth (AUB) un indice de confiance des consommateurs. « Le projet a démarré en 2007, mais plusieurs années ont été nécessaires pour vérifier la fiabilité des résultats obtenus à partir d'enquêtes réalisées auprès de 1 200 ménages », relate M. Ghobril au sujet de cette initiative, la première du genre au Moyen-Orient.

En 2012, c'est au tour de l'Association des commerçants de Beyrouth (ACB) et de Fransabank de franchir le pas en lançant ensuite un indicateur mesurant le niveau des ventes dans plus de 800 commerces de détail et de gros membres de l'association. « L'ACB est également à l'origine de la publication en 2014 d'un autre indice trimestriel, conçu en partenariat avec BankMed et destiné à mesurer le climat d'investissement à travers l'évolution du chiffre d'affaires des commerces de gros dans la capitale », rappelle son président, Nicolas Chammas. Blom Bank, enfin, a choisi en 2013 de s'associer avec le cabinet Markit afin de mettre en place un indice PMI des directeurs d'achat. « Il s'agit d'un indicateur composite de l'activité manufacturière d'un pays basé sur des questionnaires adressés à près de 450 sociétés libanaises », explique Marwan Mikhaël, directeur du département de recherche économique de Blom Bank. « L'intérêt de cet outil est qu'il permet de comparer l'activité économique au Liban avec celle de plus d'une trentaine de pays pour lesquels Markit réalise ce type d'études », précise-t-il.

S'ils diffèrent par leurs approches et leurs méthodologies respectives, tous ces indicateurs privés répondent au besoin de combler le retard du secteur public dans ce domaine. « Rien n'interdit au secteur privé de s'investir dans l'élaboration d'indices sectoriels tant que la publication régulière des données macroéconomiques est assurée par l'État », rappelle M. Mikhaël. Or en la matière, « le manque de détails dans les statistiques nationales oblige l'économie libanaise à naviguer à vue », se désole le conseiller du ministre de l'Économie Jassem Ajaka, qui pointe notamment du doigt les carences de l'Administration centrale de la statistique (ACS).

Manque de moyens
Instituée par une loi de 1979 pour prendre en charge l'élaboration des statistiques nationales, dont celles relatives à la comptabilité nationale, l'ACS avait dû interrompre ses travaux pendant la guerre civile avant de les reprendre à la fin des années 1990. Mais il a par exemple fallu attendre l'année 2013 pour qu'elle publie sa première mouture des comptes nationaux (pour l'année 2011). Pendant dix ans, c'est une commission spéciale rattachée au Sérail qui assurait leur publication.

Or depuis, « l'ACS n'a toujours pas rattrapé son retard en ce qui concerne la publication des comptes nationaux et les derniers chiffres du PIB disponibles datent de 2013 », déplore M. Mikhaël. Un retard qui s'explique d'abord par la dépendance de l'institution aux différents ministères qui lui fournissent leurs données. « L'ACS doit attendre la fin de l'année pour que les ministères valident leurs chiffres officiels », confirme la responsable des rapports statistiques, Nisrine Tannis. Une dépendance renforcée par le fait que le droit de regard de l'ACS sur ces publications se limite à un simple contrôle technique.

Autre problème majeur : la précision et l'exhaustivité des données publiées. « Il manque de nombreux détails permettant de déterminer des données essentielles, comme la balance des paiements ou les flux d'investissements », souligne M. Ghobril. Des manques que l'administration reconnaît du reste volontiers, soulignant par exemple que l'indisponibilité des estimations directes d'agrégats tels que les revenus des salariés ou les profits des entreprises ne lui permet pas d'estimer ces flux.

Des lacunes en grande partie liées au manque flagrant de ressources humaines et matérielles auquel l'ACS doit faire face. Un article du Commerce du Levant de février 2014 révélait à ce propos que sur les 256 postes prévus à son organigramme, l'ACS ne comptait, à l'époque, que 84 employés, administratifs pour la moitié d'entre eux. Une pénurie qui frappe surtout les postes de statisticiens, dont le recrutement est compliqué par l'absence de formation spécialisée au Liban. Le travail de l'ACS est également rendu difficile par le fait qu'elle doit en grande partie compter sur des financements étrangers pour pouvoir réaliser ses onéreuses enquêtes par sondage.

L'institution reste enfin à la merci des interférences politiques. Exemple parmi tant d'autres, l'interruption de la publication de l'indice des prix à la consommation (IPC) entre janvier et mai 2013. La raison ? Alors que les négociations sur la grille des salaires des fonctionnaires battaient leur plein, le Sérail – autorité de tutelle de l'ACS – n'avait pas autorisé les enquêteurs de l'ACS à mener leur travail, officiellement en raison de divergences de vues méthodologiques. L'administration avait alors dû attendre plusieurs mois et l'aide d'un expert du Fonds monétaire international (FMI) pour procéder à l'intrapolarisation de ces données manquantes.

Notoirement réputée pour son absence de statistiques fiables, l'économie libanaise voit déferler depuis quelques années de plus en plus d'indicateurs issus d'officines privées et permettant de mesurer l'évolution de certaines composantes de l'offre ou de la demande. « On peut même parler d'un véritable phénomène de mode », lâche le directeur du département de recherche...

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