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Liban - Tribune

La colère comme antidépresseur

L'automne est là. Et la mélancolie avec. Le ciel n'hésite plus : les premières pluies qui servent habituellement à laver l'atmosphère pesante de l'été nous désemparent : les monticules d'immondices résisteront-ils aux premières averses ?
Churchill avait prédit aux Britanniques du sang et de la sueur. Au Liban, c'est de l'eau et des larmes qui coulent, provoquées par les grenades lacrymogènes tirées dans un centre-ville métallisé. Cadenassé. Le cœur de la capitale est cerné de barricades. Les soldats sont aux avant-postes, pris au piège de la portion assiégée : celle des centres pleutres du législatif et de l'exécutif unis dans la même peur des manifestants.
Qu'exigent donc ces derniers ? Il suffit de lire leur programme sur les murs de béton, érigés comme murs de séparation entre eux et ces pseudos-élus, autoprorogés, qui se repaissent de la manne des ordures (entre autres) et dont la boulimie n'est même pas limitée par la grogne populaire qui veut « mettre fin au règne de la mafia ».
Ce qui agrège le mouvement, c'est une colère. Un refus. Le refus de l'indignité dans laquelle nous sommes forcés de vivre. Et cette colère est salutaire. Son expression encore plus. La parole se libère, se crie, s'affiche, se poursuit. Elle recouvre les cris des masses bêlantes, asservies qui continuent de jurer allégeance : Bel rou7, bel damm !
Les mots dits signifient que le refoulement se lève petit à petit. Les politiciens véreux sont nommés sur la place publique. On ne pourra plus dire lors des prochaines élections que l'on ne savait pas ! Que l'on ne sait pas qu'ils sont corrompus, qu'ils vampirisent les finances publiques pour financer leur clientélisme, cage dorée du citoyen qui y participe.
Il y a sans doute le risque que cette colère horizontale qui dresse les classes sociales entre elles ne soit détournée en conflits verticaux interconfessionnels. Les exemples pullulent dans l'histoire du Liban. Depuis la révolte de Tanios Chahine qui a dégénéré en conflit confessionnel alimenté par les féodaux soucieux de préserver les rapports sociaux traditionnels, en passant par les événements de 1958 et ceux de 1975 dont la dimension grogne sociale reste trop souvent occultée.
Aujourd'hui, la colère est là. Manifeste.
La colère est signe que la société civile n'est pas totalement résignée à son sort. Que sa pulsion de mort n'a pas pris le dessus sur sa pulsion de vie. Que face à des conditions de vie indignes, chaque manifestant refuse de rester passif : d'être maf3oul bihi pour se prendre en main et redevenir acteur de son destin : devenir fa3él. Ce passage de maf3oul bihi à fa3él est par ailleurs la quintessence du travail psychanalytique.
Il se passe en ce moment, incontestablement, quelque chose de salutaire bien qu'inquiétant. Et tant que la parole des manifestants ne sera pas entendue, il n'y aura pas de raison objective pour que cesse leur mouvement. Avant le 29 août, nous vivions dans une sorte de léthargie douce, de résignation sous couvert de résilience. Mais depuis, l'amoncellement des déchets a dynamité l'apathie de quelques-uns. Le mouvement est désordonné ? Sa feuille de route n'est pas claire ? Peut-être !
Mais si, face à l'autisme des « dirigeants », la colère s'essoufflait, qu'elle était ravalée, alors elle ne laisserait plus place qu'à une dépression grave, lourde de conséquences.
C'est le refoulement de la colère et non pas l'expression du courroux qui déliterait le lien social.
Alors pour le bien de chacun et de la collectivité, pour préserver le vivre-ensemble, il vaut mieux que le ras-le bol s'exprime, mais il est surtout urgent qu'il soit entendu.

Carla YARED
Psychanalyste

L'automne est là. Et la mélancolie avec. Le ciel n'hésite plus : les premières pluies qui servent habituellement à laver l'atmosphère pesante de l'été nous désemparent : les monticules d'immondices résisteront-ils aux premières averses ?Churchill avait prédit aux Britanniques du sang et de la sueur. Au Liban, c'est de l'eau et des larmes qui coulent, provoquées par les grenades...

commentaires (2)

SLOGANS FAUX... ET PARTISANS...

LA LIBRE EXPRESSION

20 h 54, le 11 octobre 2015

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • SLOGANS FAUX... ET PARTISANS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 54, le 11 octobre 2015

  • Vous feriez bien de valoriser le politique et votre Constitution car la colère fait place à l'anarchie...qui fait place à la dictature....

    Beauchard Jacques

    11 h 21, le 11 octobre 2015

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