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Culture - Exposition

Muscadé, safrané et poivré : l’Inde et son art à Beyrouth

S'aventurer aux domaines du Biel en ce moment de chantier désordonné, c'est se fourrer dans une jungle indienne à la Mowgli. Et pourtant, au Beirut Exhibition Center, c'est de l'Inde et de son art qu'il s'agit. Non pas Anish Kapoor, mais dix-huit artistes du pays de Gandhi, Tagore et Singh, en expressions pluridisciplinaires. Artistes plasticiens qui recréent un monde non rural, mais citadin. Moderne, un peu tarabiscoté et révélateur.

Sous la chaleur écrasante et les nuages de poussière, par-delà les lisses surfaces d'eau, les rachitiques plantes en pot qui les gardent et les baies vitrées, les climatiseurs ronronnent au BEC. Sous le chapiteau d'une immense salle aux murs blancs se déploient une multitude d'œuvres. Toutes venues de l'Inde profonde. Avec des artistes émergents. De générations et références culturelles diverses. Un mélange bigarré, savoureux, tel un aromatique «masala» muscadé, safrané, poivré. Un mélange plutôt souriant, qui a pour point commun l'art dans tous ses états, toutes ses audaces et ses inventions contemporaines. Et certaines redites sous influence de l'inspiration et des techniques occidentales.
Peinture, photo, vidéo, sculpture et installation pour exprimer l'éclatement, la quête d'originalité et la liberté de la créativité indienne. Pas de pathos ou de misérabilisme, mais plutôt un air d'empathie humaine, de sympathie et de bon enfant. Dans tout le bon sens du terme. Avec un cran assez poussé d'inédit et de revigorante fantaisie, sans se départir d'un certain charme qui ne manque pas de naïveté et de fraîcheur. Et parfois, bien entendu, esprit de l'Inde oblige, de kitsch et de folklore.
La ronde s'ouvre avec trois boîtes à images (comme de mystérieux sandouk el-ferjé) avec oreillettes-écouteurs. En première étape, un panneau sombre de Chittrovanu Mazumda où luit une grappe de lumignons enchevêtrés comme du raisin opalescent. Magie de l'électricité qu'Indiens et Libanais sans doute convoquent et invoquent.

 

Musique, misère et magie
Un peu plus loin, des lattes de bois fixées au mur avec 9 clefs qui laissent s'échapper une douce musique dès qu'on les tourne dans leur serrure. Amusante partition murale qui emplit brusquement la salle de belles sonorités.
En face, comme un rappel de la condition humaine, des photos géantes, au grain remarquable de propreté: un nombril sur un ventre maigrichon, un bras replié où le doigt est couvert d'un filet de sang... Petites suggestions d'une Inde surpeuplée où fleurit quand même une misère tranquille, silencieuse et soumise...
Mais vite, l'on se détourne et l'on s'évade vers des zones plus sereines, notamment devant cette lumineuse toile aux tons verts de Manjunath Kamath. Huile bien architecturée où, dans un parc dégagé, un homme rêve en compagnie d'une meute de chiens. Pour accompagner cette rêverie, sur le mur d'à côté, des collages et surimpressions en médaillons d'oiseaux et de timbres comme une constellation d'étoiles.
En rangée sage, des «tableautins» à la Hopper de Abir Karmaker, où le moment «pornographique» est suggéré par des lits et des chambrettes pour un furtif plaisir. La ville, et ses profils de bidonville ou d'HLM, en photo ou maquette en bois à allure d'alu, de Gigi Scaria: travail fin et d'une précision bluffante. Comme une dentelle de Bruges des pauvres!

 

Bollywood sur toiles
Batman, Superman et leurs imageries à la sauce aigre-douce sont aussi bien en toiles amusantes (ou sur un couvre-lit !) qu'en bandes dessinées échappées aux mythologies hindoues. Habile mélange de genre associant comics et esprit populaire. En tons rosés, bollywoodiens, criards et festifs. Ou parfois cauchemardesques. Une femme bicéphale avec trois seins, quatre mains et une touffe pour un sexe, signée Chitra Ganesh. Dans une sensualité aux confins du répugnant est cette masse de filasse, tel un nœud de vipères sur des cordages, de Thugral et Tagra. Exécution et rembourrage soignés – sous le label, quand même, d'un déjà-vu – avec étoffes lisses ou rêches à effet de dos de serpent ou d'algues marines.
Pour rester dans l'esprit des studios de Mumbaï, criminalités et intrigues avec la photo-romance de N. Pushmapala et Ravinder Reddy. Mise en scène brillante et images qui piquent intérêt, curiosité pour une certaine émotion.
Rayonnante et surprenante est la toile de Shibu Natesan où des officiers indiens, flamboyante coiffe sur la tête et souliers blancs à clous aux pieds, émergent d'une forêt luxuriante à la Douanier Rousseau. À côté de ces soldats en kaki, des chevaux sans selle batifolent dans de hauts herbages qu'ils broutent en faisant le repos du guerrier.

 

Illusions hyperréalistes
Luminaire insolite en petits carrés, à projection d'une rondelle lumineuse ou irradiant un simple filet lumineux, tel est le concept pointu mais déjà-vu de Sakshi Giupta. On s'arrête, amusé, devant les petits écrans de dessins animés de Manjounath Kamath. Un univers charmant, malicieux et innocent qui offre la vue d'un lapin pris entre des pieds d'adultes, une chaise qui «rocke» sous l'impulsion d'un balourd à la chaussure indécise, une plante dans un pot qui fleurit et qu'on coupe comme pour une bouture...
Superbe dans son grain de netteté est la photo en giclé de Justin Ponmany, où deux visages et une nuque de garçon s'imbriquent. Avec l'illusion (ou la réalité) d'autres présences...
Pour quitter les lieux, comme dans un tour d'illusion, le tapis-jeté en bois de Sudarashan Shetty dont le rebord courbé épouse la ligne du rebord du mur. C'est en le foulant qu'on s'aperçoit que le tapis n'a aucune souplesse et qu'il est dur comme pierre!
Et pourtant, l'hyperréalisme artisanal opère et trompe. Comme toutes les magies de l'univers, au bonheur de tout visiteur qui profite de cet enrichissant dialogue entre les artistes, aux aguets de la vie, de la culture, de l'avenir, et qui sont loin d'avoir une langue de bois.

*L'exposition est conçue et présentée (avec la collaboration de Solidere) par la Galerie 1x1 (installée à Dubaï) au Beirut Exhibition Center et se prolonge jusqu'au 18 octobre courant.

 

Les artistes participants
Sont exposés au BEC : Abir Karmakar, Chitra Ganesh, Chittrovanu mazumda, gigi Scaria, Hema Upadhyay, Justin Ponmany, Manjunath Kamath, Mithu sen, N. Pushmapala, Navin Thomas, Parul Thacker, Poonam Jain, Proihakar Pachpute, Ravinder Reddy, Sakshi Giupta, Shibu Natesan, Sudarshan Shetty, Thukral & Taga.

Sous la chaleur écrasante et les nuages de poussière, par-delà les lisses surfaces d'eau, les rachitiques plantes en pot qui les gardent et les baies vitrées, les climatiseurs ronronnent au BEC. Sous le chapiteau d'une immense salle aux murs blancs se déploient une multitude d'œuvres. Toutes venues de l'Inde profonde. Avec des artistes émergents. De générations et références...

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