C'est un peuple en souffrance qui est descendu dans la rue samedi pour exprimer sa révolte. Chacun avait son problème et voulait l'exposer à sa manière. Que les raisons de la colère soient différentes pour chaque groupe ne change en rien la réalité de celle-ci, ni au fait qu'elle a atteint un stade inacceptable. Entre les jeunes chômeurs qui ne songent qu'à partir pour se trouver un avenir, le vieil homme de Tripoli venu avec toute sa famille, femmes et enfant, pour exprimer le malaise des Tripolitains, le handicapé venu dans son fauteuil roulant pour rappeler que presque rien n'a été fait pour l'inclure dans la société, l'épouse de Georges Rif venue crier sa révolte à la suite de l'assassinat de son mari, en plein jour et en pleine rue pour un conflit sur un droit de passage, les familles outrées par l'amoncellement des ordures dans les quartiers aisés comme dans les banlieues « en voie de développement », le vieux propriétaire offusqué par les loyers trop bas qui lui sont versés... C'était autant de visages libanais unis dans la même révolte contre un pouvoir incapable de résoudre les problèmes petits et grands.
Pour la première fois depuis des années, les Libanais sont donc descendus dans la rue sans y avoir été appelés par des partis politiques ou confessionnels ni par des leaders politiques ou confessionnels. Pour les pousser à participer à la manifestation, il n'y avait ni autobus loués, ni sandwiches et bouteilles d'eau distribués et encore moins des banderoles et des portraits préparés à l'avance ! Rien qu'une juste colère contre ceux qui, depuis des années, les privent de leurs droits élémentaires et surtout de la perspective d'un avenir, tant ils sont occupés soit à se disputer, soit à se partager le pouvoir et ses privilèges. Dans sa diversité et son côté hétéroclite, la foule des manifestants était unie sur un même refus d'être considérée comme un troupeau de moutons. Les plus intellectuels parmi les manifestants parlaient de l'incroyable capacité de la classe au pouvoir à transformer toutes les causes en parts de gâteau et les moins instruits parlaient des coupures d'eau et d'électricité et de l'accumulation des déchets en plein mois d'août. Chacun est venu avec son histoire, mais tous se rejoignent dans un même refus de la corruption actuelle qui se cache sous le vernis du confessionnalisme pour permettre à chaque leader confessionnel de s'approprier les ressources du pays sous prétexte de défendre une communauté face à la menace représentée par les autres. Et c'est justement cet aspect-là du mouvement de protestation populaire qui a fait peur à la classe politique, redevenue brusquement solidaire et unie face à un même danger, la colère du peuple. La peur s'est manifestée par un comportement hésitant et improvisé de la part du pouvoir, d'abord par l'instauration d'un mur qui a été rapidement enlevé, puis par des décisions aussitôt retirées, avant de décider d'une nouvelle tactique : absorber les manifestants, leur jeter quelques décisions pour les calmer, chercher à les diviser et à les discréditer pour reprendre ensuite l'initiative.
C'est ainsi qu'à peine la manifestation de samedi entamée, des chiffres ont commencé à circuler dans les médias sur le fait qu'il n'y aurait pas plus que quelques milliers de manifestants. Les sources sécuritaires ont parlé de 20 à 30 000 personnes, alors que pour les organisateurs, les manifestants étaient près de cent mille. Mais en réalité, le chiffre réel importe peu. Ce qui compte, c'est que les personnes qui sont descendues dans la rue l'ont fait de leur propre initiative pour exprimer leur ras-le-bol et s'il y avait des milliers place des Martyrs, il y en avait bien plus qui partageaient le même sentiment chez eux à travers le petit écran, ou par le biais des réseaux sociaux. C'est d'ailleurs parce qu'elle a pris conscience de l'ampleur du mouvement de protestation que la classe au pouvoir a aussitôt cherché à discréditer les figures qui en ont émergé ou à mettre l'accent sur la confusion dans les slogans. Ce n'est pas non plus un hasard si les ambassades occidentales sont intervenues pour presser le gouvernement de ne pas tirer sur les manifestants afin de ne pas radicaliser encore plus le mouvement.
L'idée aujourd'hui est donc de calmer le jeu, la priorité étant à sauver le pouvoir en place. Le ministre de l'Environnement a commencé par se retirer de la commission ministérielle chargée de traiter le dossier des déchets et le ministre de l'Intérieur avait annoncé l'ouverture d'une enquête sur les tirs dont les résultats devraient être communiqués aujourd'hui ou demain. Le président de la Chambre Nabih Berry est aussi intervenu donnant indirectement la possibilité pour la classe politique de reprendre l'initiative par le biais de la convocation d'une réunion de dialogue entre les chefs des principaux blocs parlementaires en présence du Premier ministre, avec pour ordre du jour le dossier présidentiel, le fonctionnement du gouvernement et du Parlement, le projet de loi électorale, le projet de loi sur la récupération de la nationalité et celui sur la décentralisation administrative. De la sorte, tous les mécontents seront satisfaits. Avec ce nouveau dialogue politique qui devrait commencer dans une dizaine de jours, puisque pratiquement la plupart des leaders politiques ont donné leur accord, le débat ne sera plus dans la rue, mais entre les lambris boisés du Parlement, c'est-à-dire sous le contrôle de la classe politique elle-même. Les discussions prendront leur temps, au rythme des développements régionaux, notamment le sort de l'accord sur le nucléaire iranien après le vote du Congrès américain suivi de celui du Parlement iranien. Mais les problèmes des Libanais, dus à un mélange de corruption et d'incompétence, seront-ils pour autant réglés ?
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commentaires (9)
JE REPREND AVEC REGRET MON COMMENTAIRE SUR LES ORGANISATEURS DES MANIFESTATIONS... INFILTRÉS PROVOCATEURS ET SUBVERSIFS Y SONT TOUJOURS PRÉSENTS... ON EN A VU ASSEZ AUJOURD'HUI... QUI VEUT FAIRE CHUTER LE GOUVERNEMENT ( ENTENDRE LES SUNNITES DU GOUVERNEMENT ) DANS LA RUE ? CELUI QUI A INITIÉ LES MANIFESTATIONS CONTRE L'AVIS DE TOUT LE MONDE !
LA LIBRE EXPRESSION. VERITES ! EQUITE !
19 h 12, le 01 septembre 2015