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Moyen Orient et Monde - Reportage

Les Kurdes de Nusaybin ont peur d’être « sacrifiés » par les Occidentaux

Manifestation contre la construction d’un mur à la frontière entre la Turquie et la Syrie, le 7 novembre 2013 à Nusaybin. Photo AFP

L'an dernier, ils pensaient faire l'admiration de la communauté internationale pour le combat des leurs contre les jihadistes en Syrie. Aujourd'hui, les Kurdes de Nusaybin, une ville turque toute proche de la frontière syrienne, sont amers : ils se sentent abandonnés par l'Occident au nom de cette même lutte antijihadiste et se préparent au pire. « Que s'est-il passé en un an pour que le monde entier nous oublie ? » s'interroge Vedat, un serveur de 45 ans, qui rend visite à des proches pour prendre de leurs nouvelles. Il est persuadé que, dans leur lutte contre l'organisation État islamique (EI), les dirigeants occidentaux sont prêts à « sacrifier » les Kurdes. « Sommes-nous des sous-hommes à ce point-là ? » s'insurge Ismet Alp, 70 ans, le maire d'un quartier de la ville.
Les rues poussiéreuses, aux trottoirs défoncés, sont désertées par les habitants, accablés par la chaleur et inquiets de l'avenir. Ismet Alp se souvient parfaitement des « enlèvements, tortures, et arrestations arbitraires » qui étaient le lot quotidien dans les années 1990, au pic de la lutte armée entre le pouvoir central d'Ankara et la guérilla kurde. Le feu vert implicite accordé selon lui par les Occidentaux au président turc Recep Tayyip Erdogan pour frapper les militants kurdes lui fait un craindre un retour à cette époque noire, dans l'indifférence générale. La vie des Kurdes « ne vaut rien, ni pour les Turcs ni pour l'Occident », dit-il.

Affrontements avec la police
Depuis le début de l'offensive turque, les habitants de Nusaybin vivent au rythme des opérations militaires et voient l'horizon s'obscurcir. Installés à portée de vue de la grande ville syrienne de Qamishli, dont on distingue les immeubles, les habitants peinent à fermer l'œil la nuit. Tenus en éveil par « les affrontements entre jeunes kurdes et forces de l'ordre dans les rues », raconte Idris Sarikaya, 32 ans. Il assure que les jeunes sont « révoltés » et n'hésitent plus à viser la police avec les armes en leur possession, fusils à pompe ou pistolets, afin d'exprimer leur colère contre des forces de l'ordre jugées hostiles. « Cinq de nos adolescents sont morts ces derniers jours » dans des affrontements avec la police, assure Ismet Alp, les larmes aux yeux, sans que ce bilan ne soit immédiatement vérifiable. « Si c'est nécessaire, on sera obligé d'organiser nous-mêmes notre sécurité » et « ça passera forcément par les armes », lance son fils de 26 ans, Mehmet.
Idris Sarikaya, un jeune père de famille, explique que la menace est partout : « À 25 kilomètres d'ici les combattants de l'EI sont en nombre et de notre côté à nous, en Turquie, c'est l'armée turque qui nous encercle », explique ce maçon, qui ne veut plus faire confiance à « personne ». Sa priorité à lui, c'est d'éviter qu'un attentat jihadiste ne survienne à Nusaybin, comme celui du 20 juillet qui a tué 32 jeunes Kurdes dans la ville turque de Suruç. « Lorsque les effectifs de police sont insuffisants, il faut que nos jeunes, dans toutes les rues, tous les quartiers, contrôlent les gens et les véhicules, qu'ils créent des barrages filtrants partout, si possible sans utiliser les armes », explique-t-il. Mais « à chaque fois qu'on a mis en place des barrages, la police est venue les démanteler », se désole-t-il. Lassé par des années d'espoir de paix avortée, Ismet Alp est fatigué, et ne croit plus en l'avenir. « Pour nous les Kurdes, la mort est peut-être mieux encore que la vie telle que nous la menons ici. »

Ambre TOSUNOGLU/AFP

L'an dernier, ils pensaient faire l'admiration de la communauté internationale pour le combat des leurs contre les jihadistes en Syrie. Aujourd'hui, les Kurdes de Nusaybin, une ville turque toute proche de la frontière syrienne, sont amers : ils se sentent abandonnés par l'Occident au nom de cette même lutte antijihadiste et se préparent au pire. « Que s'est-il passé en un an pour que le...

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