Les cinq musiciens de Frànçois And The Atlas Mountains pendant leur sound-check. Au second plan, la chaîne de l’Anti-Liban. (B.L.)
À force d'être utilisées, certaines expressions finissent par être galvaudées. Mais impossible de ne pas souligner à quel point ce concert organisé à Zahlé est une « parenthèse enchantée » au début de la tournée estivale Orient-Occident de Frànçois And The Atlas Mountains. « Nous avons toujours adoré utiliser la musique pour explorer de nouveaux endroits. On a eu la chance d'aller en Afrique de l'Ouest et en Colombie grâce à elle », confesse François Marry, leader et chanteur du groupe français.
« On a peu de temps sur place, donc ça tombe bien que nous venions le plus long jour de l'année afin de pouvoir profiter le plus possible du Liban dans le peu de temps imparti. » C'est chose faite. Entre leur sortie de l'aéroport de Beyrouth et leur arrivée à l'hôtel Beit el-Kroum qui a accueilli leur concert avant-hier soir, les paysages libanais et les virages défilent. La banlieue sud de la capitale et ses drapeaux verts, la montée ardue de la route de Damas et ses camions en souffrance condamnés à être doublés, l'épais brouillard du Mont-Liban et la vallée de la Békaa apparaissant au loin lorsque celui-ci se dissipe. 70 minutes de voyage dans un minibus qui se transforment vite en une histoire accélérée du pays du Cèdre.
« Qui aurait dit que jouer de la musique nous emmènerait là... » ajoute, mi-heureux, mi-halluciné, le percussionniste Amaury Ranger. À côté des mûriers blancs, de la piscine à débordement, une petite place pour installer leurs instruments face à la pelouse. Derrière eux, une vue à couper le souffle : les cinq musiciens dominent la vallée de la Békaa, et on aperçoit, pas si loin que ça, la chaîne montagneuse de l'Anti-Liban, délimitant la frontière libano-syrienne.
Déjà 17h00. À peine le temps de découvrir les fattouche, kebbé, hoummous et moutabbal locaux qu'il est temps de réaliser le sound-check. Chacun d'eux s'affaire, bien discipliné. Dix ans déjà que le groupe existe et un septième album – L'Homme tranquille – sorti au début de l'année 2015. C'est l'an dernier, avec Piano Ombre, que le groupe indie pop a (enfin) connu un succès mérité. Ce soir, une centaine de personnes ont fait le chemin jusqu'à Zahlé. Avant que le quintette français n'investisse la scène, l'artiste Rabih Haddad, oudiste local talentueux, se charge de la première partie, accompagné par un jeune musicien alternant nay et percussions.
Cœurs et corps
21h00. Le soleil a entièrement disparu derrière le Mont-Liban et la température chute brusquement à cause des bourrasques de vent. Il y a à peine deux mois, il neigeait encore ici. Enroulés dans des couvertures, des plaids et des foulards, les musiciens de Frànçois And The Atlas Mountains s'activent à réchauffer les cœurs et les corps avec l'ensoleillée et chaloupée Summer Of A Heart. La voix apaisante et le regard transperçant de François Marry – qui n'hésite pas à enjamber les fleurs afin de se balader librement sur la pelouse avec sa guitare – calme momentanément les enfants turbulents du premier rang.
L'absence de pollution lumineuse citadine permet de regarder les étoiles, la lune en forme de croissant, et de rêver en écoutant la mélancolique Bien sûr. L'émouvante voix claire de Marry évoque celle du Nantais Dominique A. Le cadre idyllique ferait presque oublier qu'à moins de trente kilomètres d'ici, les combats font rage entre les jihadistes de l'État islamique, du Front al-Nosra, du Hezbollah, des soldats loyalistes et des rebelles syriens. Pendant une heure quinze, plus personne ne pense aux balles qui fusent dans les montagnes de l'Anti-Liban en face, ou aux hommes qui y meurent.
Faussement naïfs
Figé par la température, le public sort de sa léthargie grâce à Be Water (Je suis de l'eau) et Bois qui consacrent cette terre que l'on néglige trop souvent. Leur amour immodéré des Talking Heads se reconnaît avec la place proéminente des percussions dans leurs compositions. Frànçois And The Atlas Mountains n'est plus seulement un groupe pop. On les découvre capables de transpirer une énergie rock qui rappelle The Rakes et les refrains héroïques d'Arcade Fire. L'épique et progressive The Way To The Forest, puis leurs tubes faussement naïfs Soyons les plus beaux et La vérité clôturent en apothéose – avec quelques feux d'artifice – un concert généreux, intimiste et singulier. Des sourires sincères et communicatifs se lisent sur les visages des cinq musiciens. Les spectateurs sont debout, contaminés par les mélodies exaltées, avec de l'espoir à propager aux quatre coins du Liban.