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Moyen Orient et Monde - Arabie saoudite

Pourquoi l’union sacrée sunnite-chiite contre l’EI est presque impossible

La communauté minoritaire dans le royaume est depuis longtemps « instrumentalisée » et « discriminée », d'où sa méfiance envers le pouvoir wahhabite, estime Olivier Arvisais, spécialiste des pays du Golfe.

Lors des funérailles des victimes de l’attentat antichiite de Dammam le 29 mai, nombreux étaient ceux qui demandaient l’abolition de la discrimination confessionnelle dans le royaume. AFP

Les récentes attaques contre des mosquées chiites en Arabie saoudite étaient certes inédites, mais pas surprenantes. À vrai dire, il est presque étonnant que les forces de sécurité n'aient pas anticipé des attaques de ce genre en prenant des précautions supplémentaires en matière de sécurité. En attendant, la communauté chiite, minoritaire dans le royaume, réclame une protection accrue. D'ailleurs, depuis des années, elle dénonce des discriminations de toutes sortes dont elle serait victime de la part des autorités.
En 2011 et 2012, dans un contexte tendu pour les pays arabes en pleines révoltes populaires, la communauté chiite de la province orientale a manifesté à plusieurs reprises pour obtenir plus de droits et de libertés. De même, les chiites saoudiens n'ont pas accepté le soutien de Riyad à la répression par le pouvoir sunnite de Bahreïn contre sa population chiite, qui manifeste aussi depuis début 2011. Sans être aussi important et violent que d'autres mouvements de contestation, comme en Égypte, en Libye, en Tunisie, etc., le soulèvement des chiites d'Arabie a néanmoins été marqué par des affrontements entre les forces de l'ordre et les manifestants. Selon certaines sources, il y aurait eu au total une quinzaine de victimes dans les violences.

Les discriminations auxquelles cette communauté fait face au quotidien sont nombreuses. Tout d'abord, sur le plan de la religion et de la liberté de culte, « tolérée face à la religion officielle, l'islam wahhabite sunnite », des vexations se produisent régulièrement contre les chiites dans la pratique de certaines cérémonies religieuses.
« Ce qui est surtout important, et c'est un aspect auquel on ne pense pas souvent, c'est la discrimination au niveau de l'emploi », explique Olivier Arvisais, chargé de cours à l'Université du Québec à Montréal (Uqam) et spécialiste des pays du Golfe. « Il est excessivement rare de voir des chiites arriver à des postes de cadres, par exemple, qui leur permettrait d'acquérir un certain niveau d'influence. Dans le milieu académique, très peu de professeurs chiites sont embauchés ; c'est la même chose pour les forces militaires et sécuritaires, ainsi que pour la diplomatie. Je crois qu'il y a un seul exemple dans l'histoire du royaume d'un diplomate chiite », détaille l'expert.



(Lire aussi : Khamenei appelle à l'unité)


Paradoxalement, souligne-t-il, la région dans laquelle cette communauté est la plus nombreuse est celle où se trouvent les plus grandes réserves pétrolières du pays (près de 99 %), ce qui souligne encore plus l'aspect cuisant de cette différence de traitement. « Dans les dernières décennies, il y a eu des développements fulgurants aux niveaux industriel, économique et de l'infrastructure, mais les communautés chiites, pourtant majoritaires dans ces régions, ont très peu réussi en termes d'emploi, en tout ce qui aurait permis un certain pouvoir, une certaine représentation au sein des institutions administratives du royaume. »

Et d'ajouter que l'unique secteur où cette communauté s'est en quelque sorte réfugiée en termes d'emploi est Aramco (compagnie pétrolière majeure), qui, au départ, était gérée par les États-Unis, qui n'exerçaient pas de ségrégation ou de discrimination entre sunnites et chiites. « Il y avait donc énormément de techniciens et d'ouvriers chiites, mais pratiquement aucun cadre ; et ces dernières années, c'est de plus en plus difficile pour eux de trouver un emploi, même au sein de cette compagnie. »
La province orientale reste de facto la région la plus pauvre du royaume, la communauté chiite n'arrivant pas à participer à la vie de la région. Et si, officiellement, les chiites sont considérés comme musulmans par les autorités, il semble qu'ils soient d'abord et surtout traités selon leur confession et non leur nationalité, ce qui transparaît à travers les contraintes, administratives notamment, qu'ils subissent.

Mesures gouvernementales
C'est pour combattre cette différenciation que, parallèlement au printemps arabe qui commençait un peu partout dans la région, la communauté chiite saoudienne a manifesté, et ce pendant plus d'un an. Dans le courant de l'année 2012, afin d'apaiser les tensions et de calmer la grogne chiite, le gouvernement a mis en place un centre de dialogue interconfessionnel. « Cela n'a pas donné grand-chose », déplore M. Arvisais. « La situation s'est calmée au début, mais quelques semaines plus tard, le leader des manifestants chiites (cheikh Nimr al-Nimr) a été arrêté, avant d'être condamné à mort en octobre 2014, ce qui a ravivé les tensions. »
Par la suite, les Conseils des ulémas, la monarchie, le gouvernement ont fortement condamné les attentats qui ont visé la communauté, autant celui de novembre 2014 que ceux revendiqués par l'organisation État islamique (EI) au cours des dernières semaines. Mais, pour le spécialiste, il ne s'agissait là que de mots. La sécurité autour des mosquées avait effectivement été accrue au cours des dernières années, mais les attaques récentes ont montré que ces mesures n'étaient pas entièrement efficaces. Il rappelle également qu'en 2014 toujours, les autorités avaient demandé aux chiites de beaucoup moins s'afficher que par le passé lors de leurs célébrations religieuses, ne serait-ce que pour éviter les risques inutiles.

 

(Pour mémoire : « Riyad a transmis un message très important à la communauté chiite »)


Si le terme « apartheid » ne s'applique pas ici, car traduisant une volonté politique manifeste, assumée, ce que ne fait pas le pouvoir saoudien, la ségrégation – professionnelle, clanique, sociale – est bel et bien réelle, palpable. Elle a toujours été présente ; mais ces dernières années, relève M. Arvisais, « on assiste à une recrudescence de haine de la part de certains individus radicalisés, comme l'EI, et d'une certaine partie de la population saoudienne envers la communauté chiite (...) les actes de violence se multiplient, notamment depuis l'intervention militaire saoudienne au Yémen, et très peu sont rapportés à la justice ». Il a été dit plus tôt que ces tensions interconfessionnelles ont toujours été présentes au royaume. Aujourd'hui, un élément nouveau, en l'occurrence l'EI, a fait son apparition. Sera-t-il l'occasion idéale pour les sunnites et les chiites saoudiens de s'unifier pour faire face à un ennemi commun ou bien, au contraire, mènera-t-il à plus de divisions encore ? « Il y a déjà assez de dissensions comme ça pour que personne ne veuille jeter de l'huile sur le feu, mais assurément, je ne pense pas que ce combat commun créerait un rapprochement entre les deux communautés », estime Olivier Arvisais. « Il y a très peu de confiance, je dirais même une absence totale de confiance, entre sunnites et chiites en Arabie saoudite. Les chiites ont été trop souvent instrumentalisés, à l'échelle locale et régionale (dans les relations hostiles qui opposent le royaume à l'Iran), pour ne pas être excessivement méfiants envers le royaume ».

 

Chiites saoudiens : chiffres et répartition géographique

Minoritaires en Arabie saoudite, les chiites sont estimés de 12 % à 15 % de la population du royaume, explique Olivier Arvisais, expert des pays du Golfe. Selon lui, beaucoup d'organisations indépendantes et de spécialistes estiment cependant que ces proportions sont plutôt de l'ordre de 20 %, donc environ le double des chiffres globalement admis. « Il est très difficile d'avoir des chiffres exacts, mais les estimations varient entre 1,75 million et 4 millions de chiites dans le royaume, ce qui est un spectre assez large quand même », indique-t-il.
En ce qui concerne la répartition géographique de la communauté, les deux tiers de la communauté chiite saoudienne, donc la très grande majorité, se trouvent dans la province orientale. Toutefois, tempère M. Arvisais, « il y a eu un léger mouvement migratoire chez les jeunes les dernières années vers les grandes villes, comme Djeddah et Riyad, notamment pour trouver un emploi ».

 

Arabie saoudite : trois attaques antichiites en images

 

3 novembre 2014 : fusillade de Dalwa


Photo AFP


Le 3 novembre 2014, une attaque contre la communauté chiite en Arabie saoudite a fait huit morts et neuf blessés, en pleines commémorations de Achoura, date particulièrement importante du calendrier chiite. Plusieurs hommes masqués ont tiré sur une mosquée dans le village de Dalwa, dans la province d'al-Ihsa, abattant sept habitants après avoir tué un homme dont ils avaient volé la voiture pour perpétrer l'attaque. L'attaque inédite, qui n'a pas été revendiquée, a eu lieu alors que l'Arabie saoudite est engagée dans la coalition internationale contre l'État islamique (EI). La piste jihadiste a donc été privilégiée par les forces de sécurité qui ont arrêté, les jours suivants, de nombreux suspects liés à ces milieux. Le 7 novembre, des milliers de personnes ont assisté aux funérailles des huit victimes (photo), tandis que les autorités condamnaient à l'unanimité un « acte terroriste ».

 

22 mai 2015 : attentat de Koudeih


Photo AFP


Dans la province de Qatif, un attentat-suicide a visé le 22 mai 2015 la mosquée Ali ben Abi Taleb à Koudeih (photo), localité de l'Est saoudien, en pleine prière hebdomadaire, faisant 21 morts et des dizaines de blessés. Pour la première fois, l'État islamique (EI) a revendiqué l'attaque dans un communiqué, en louant « les soldats du califat dans la province de Najd (Arabie saoudite) ». Le communiqué promet également aux chiites « des jours sombres » jusqu'à ce que « les soldats de l'EI » les « chassent de la péninsule Arabique ». Juste avant la diffusion de ce communiqué sur des sites islamistes, le mufti d'Arabie saoudite, plus haut dignitaire de l'establishment religieux sunnite, cheikh Abdel Aziz ben Abdallah al-Cheikh, avait qualifié l'attentat d'« acte criminel destiné à creuser un fossé entre les fils de la nation (...) et à propager les troubles dans notre pays ». Plusieurs pays, dont l'Iran et les États-Unis, ont vivement dénoncé l'attaque.

 

29 mai 2015 : attaque de Dammam


Photo AFP


Une semaine après l'attaque de Koudeih, ce fut au tour de Dammam, capitale de la Province orientale de l'Arabie saoudite, d'être visée le 29 mai 2015. Perpétrée un vendredi également, l'attaque a fait trois morts et quatre blessés. L'attaque aurait toutefois été bien plus grave si les autorités ne l'avaient déjouée, selon des sources sécuritaires. Le kamikaze, qui serait d'origine saoudienne, tentait de garer sa voiture dans le parking à proximité de la mosquée, et « a détoné sa ceinture d'explosifs quand les responsables de la sécurité se sont dirigés vers lui », d'après le ministère saoudien de l'Intérieur (photo). Cette fois encore, l'État islamique (EI) a revendiqué l'attentat sur Twitter, accusant les « Rafida » (en référence aux chiites) d'avoir construit « un monument du polythéisme sur une zone sunnite ».


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« Maintenant, nous, les chiites, sommes unis pour nous défendre contre le terrorisme »
Le reportage d'Ian Geoffrey TIMBERLAKE/AFP

 


Des milliers de personnes ont participé aux funérailles collectives des quatre « héros », dont deux frères, tués en tentant d’empêcher le kamikaze d’atteindre la mosquée al-Anoud, à Dammam. Photo AFP

 

Des barricades sont montées à la hâte pour protéger la mosquée dans la ville saoudienne de Dammam, où les chiites craignent un nouvel attentat du groupe sunnite État islamique (EI) après deux attaques ayant ensanglanté la prière hebdomadaire du vendredi.
À l'aide de grues, des volontaires s'activent à placer les barricades en béton autour de la mosquée al-Anoud dans cette ville de l'est du royaume, à l'entrée de laquelle un kamikaze de l'EI déguisé en femme s'est fait exploser le 29 mai faisant quatre morts. En revendiquant cette attaque et une autre particulièrement sanglante le 22 mai (21 morts), ses deux premiers attentats en Arabie saoudite, l'EI avait menacé de « chasser » les chiites qu'il considère comme des hérétiques, de la péninsule Arabique. Les barricades sont donc destinées à protéger une place devant la mosquée al-Anoud à Dammam, dans la province orientale où se concentre la communauté chiite, minoritaire dans le royaume à majorité sunnite.
Des milliers de personnes ont participé à Saihat, une banlieue proche de Dammam, aux funérailles collectives des quatre « héros », dont deux frères, tués en tentant d'empêcher le kamikaze d'atteindre la mosquée.

« Héros »
« Nous avons peur que quelque chose se produise, alors nous nous organisons en conséquence », a déclaré l'un des volontaires, Ibrahim Abou Ahmad, près de la mosquée à Dammam, où cohabitent chiites et sunnites. Des traces noires étaient encore visibles sur une partie du parking devant la mosquée, où le kamikaze a détoné sa ceinture d'explosifs, projetant, selon M. Abou Ahmad, les restes d'une des victimes 100 mètres plus loin. Selon des habitants, trois des victimes étaient des volontaires mobilisés pour protéger la mosquée et la quatrième un civil. « Ce sont des héros », a déclaré un étudiant de 21 ans en procédant à une fouille systématique des fidèles arrivant pour la prière de midi. « C'est une mosquée et nous devons la protéger », a lancé l'étudiant, qui a requis l'anonymat. « Maintenant, nous, les chiites, sommes unis pour nous défendre contre le terrorisme. Nous nous attendons à ce qu'il y ait d'autres attaques, renchérit Radi Turaiki, un enseignant de 45 ans venu assister aux funérailles, comme des milliers de compatriotes. Dans chaque mosquée, des personnes se chargent de la protection. » « Mais je pense que les gens n'ont pas peur » et les fidèles continuent de fréquenter les lieux de culte.

Le pouvoir ne fait pas assez
M. Turaiki a estimé que le gouvernement ne faisait pas assez pour prévenir les attentats. « Ils n'ont entrepris aucune action après ce qu'il s'est passé (...). Le gouvernement est censé nous protéger. » Des voitures de police patrouillaient mercredi le secteur, mais ce sont des volontaires qui ont assuré aussi les fouilles sur quatre points menant au lieu des funérailles. « Nous sommes menacés, très sérieusement menacés », a estimé Hussein al-Nemr, un organisateur de la cérémonie. Pour rappel, le ministère de l'Intérieur a annoncé mercredi rechercher 16 personnes pour leur présumée implication dans les attentats et proposé des primes pour ceux qui aideraient à leur arrestation.
Pour tenter d'apaiser la communauté chiite qui se plaint de discriminations depuis des années, les autorités ont avalisé, selon les organisateurs des funérailles, la création du premier cimetière chiite de Dammam. La minorité chiite se concentre dans la province orientale, riche en pétrole, qui avait été secouée par un mouvement de contestation, dans le sillage du printemps arabe en 2011, ayant fait une vingtaine de morts. Les autorités saoudiennes, qui ont multiplié ces derniers mois les arrestations d'extrémistes sunnites soupçonnés de planifier des attaques, ont dénoncé les attentats antichiites comme contraires à l'islam.
Connu pour sa brutalité, l'EI qui a proclamé un « califat » sur les régions qu'il contrôle à cheval entre l'Irak et la Syrie est redouté en Arabie saoudite qui craint que ces attentats n'attisent les tensions confessionnelles.

 

Pour mémoire
De quoi l'islamisme est-il encore le nom ?

Les fous de Riyad et de Téhéran

Les récentes attaques contre des mosquées chiites en Arabie saoudite étaient certes inédites, mais pas surprenantes. À vrai dire, il est presque étonnant que les forces de sécurité n'aient pas anticipé des attaques de ce genre en prenant des précautions supplémentaires en matière de sécurité. En attendant, la communauté chiite, minoritaire dans le royaume, réclame une protection...

commentaires (3)

Le régime théocratique wahhabite d'Arabie saoudite discrimine et persécute les chiites de la province orientale du royaume. Le régime théocratique khomeyniste des mollahs d'Iran discrimine les sunnites de la province d'al-Ahwaz, de l'Irak, de la Syrie, du Liban etc. Bref, de toutes les provinces de son empire islamique perse. La rivalité fanatique et morbide entre ces deux théocraties est devenue le cancer du Moyen-Orient. Elle a même, hélas, ses répercussions au Liban. Mais ne perdons pas espoir. Ces théocraties évolueront et changeront de comportement au 30e siècle. On n'est qu'au 21e.

Halim Abou Chacra

12 h 36, le 05 juin 2015

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Commentaires (3)

  • Le régime théocratique wahhabite d'Arabie saoudite discrimine et persécute les chiites de la province orientale du royaume. Le régime théocratique khomeyniste des mollahs d'Iran discrimine les sunnites de la province d'al-Ahwaz, de l'Irak, de la Syrie, du Liban etc. Bref, de toutes les provinces de son empire islamique perse. La rivalité fanatique et morbide entre ces deux théocraties est devenue le cancer du Moyen-Orient. Elle a même, hélas, ses répercussions au Liban. Mais ne perdons pas espoir. Ces théocraties évolueront et changeront de comportement au 30e siècle. On n'est qu'au 21e.

    Halim Abou Chacra

    12 h 36, le 05 juin 2015

  • Pourquoi ? Mais, parce-qu’ils aiment et ont voulu de tout temps s'écraser mutuellement !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 27, le 05 juin 2015

  • QUESTION SUPERFLUE... ILS S'AIMENT JUSQU'À LA MORT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 11, le 05 juin 2015

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