Rechercher
Rechercher

Liban - Lecture

Lutte des places et autres tyrannies de la vie ordinaire

Le Prix de la Fondation Templeton, à Londres, l'une des plus importantes distinctions honorifiques au monde, a été accordé cette année à Jean Vanier, « pour sa découverte innovatrice sur le rôle central des personnes les plus vulnérables dans la création d'une société plus juste, inclusive et humaine ». Déjà attribué à des grandes figures telles que Mère Teresa, Desmond Tutu et le dalaï-lama, le prix est doté d'un montant de 1,7 million de dollars.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Jean Vanier a fondé L'Arche, une fédération de communautés qui regroupe aujourd'hui 147 foyers répartis sur les cinq continents. Ces communautés sont des lieux de vie uniques où les personnes ayant une déficience intellectuelle, comme les trisomiques, et ceux qui les accompagnent, partagent un quotidien riche en relations mutuelles et proposent un projet de société innovateur. Il a également cofondé avec Marie-Hélène Mathieu Foi et Lumière, un extraordinaire réseau de communautés de rencontre, de partage et de soutien à l'intention des personnes ayant une déficience intellectuelle et leur entourage. On en compte aujourd'hui 1 500 dans 82 pays, dont le Liban.
Dans le discours qu'il a prononcé lors de la cérémonie de remise du prix, Jean Vanier a déclaré : « Les enfants nés avec une déficience étaient traditionnellement cachés dans de grandes institutions, ou, lorsqu'il n'existait pas d'institution, ils étaient enfermés dans un placard dans la maison, ou envoyés comme mendiants dans la rue. Ces personnes étaient à peine considérées comme des êtres humains et en tous les cas perçues comme une honte et un déshonneur pour leurs parents. Elles ont été terriblement humiliées et rejetées. Aujourd'hui, nous découvrons que ces personnes possèdent une richesse de qualités humaines qui peuvent changer les cœurs de ceux pris dans une culture de succès et de pouvoir. Il y a aussi un changement dans la manière de découvrir les qualités d'une personne, cachées sous leurs capacités de connaissance et de pouvoir. »
Un peu plus loin, Jean Vanier propose : « N'est-il pas essentiel que la culture de compétition, si présente dans nos sociétés aujourd'hui, soit transformée ? Cette culture de compétition implique qu'il y a peu de gagnants et beaucoup de perdants. »
Le processus d'humanisation que le côtoiement de personnes souffrant de déficiences intellectuelles permet, tel que mis en évidence par Jean Vanier à travers sa vie dans les communautés de l'Arche et ses écrits, est une découverte à portée universelle.
La « tyrannie de la normalité » dont il parle dans ses nombreux écrits rejoint la « tyrannie de la performance » que Jean-Claude Guillebaud, grand essayiste contemporain, décrit dans un récent ouvrage Je n'ai plus peur (éd. L'Iconoclaste).
Caractéristique de l'âge moderne, cette tyrannie se manifeste pratiquement partout : dans la vie professionnelle où le management compétitif fait loi, dans la vie privée, notamment sur le plan sexuel (la tyrannie du « bon coup » ) ; dans le monde sportif, dans la production intellectuelle.
Tirant les exemples de sa vie privée, Guillebaud en parle avec un doigté qui est sa marque propre. Les citations abondent. Relevons : « Le plaisir obligatoire a remplacé le plaisir interdit » ; « Jean Beaudrillard se méfiait de l'insidieux remplacement de l'interdit par l'injonction et du concept de faute par celui de mauvaise performance » ; « Jean Guitton a confessé sa crainte de voir notre société moderne imposer une immense corvée de plaisir » ;
« Songeons à la cruauté des nouvelles méthodes de management dites "par objectif" qui, sous le couvert de donner plus d'initiative au salarié, contraignent ce dernier à intérioriser en permanence la menace de l'échec au point de devenir son propre contremaître » (le sociologue Vincent de Gaulejac l'appelle d'une expression qui dit tout : la lutte des places) ; « Pensons aux enfants livrés aux manipulations du marché publicitaire » ; « Plus rapidement que prévu, une nouvelle mesure "globale" de la réussite ou de l'échec a vu le jour : la notion de notoriété numérique (...) Quiconque attache du prix à ces sornettes se fabrique un esclavage d'un type nouveau (...) Un jour ou l'autre, nous nous réveillerons de ce cauchemar mimétique ».
« La paix universelle peut advenir uniquement si nous éveillons et développons ces qualités humaines profondes cachées derrière nos besoins superficiels de pouvoir et de succès (...). Ces qualités sont liées au cœur – la capacité d'aimer, de respecter, de vivre d'authentiques relations avec les autres, d'aspirer à la vérité et à la justice dans la grande famille humaine, les qualités d'humilité, de pardon et de compassion pour ceux qui sont vulnérables et dans le besoin, en résumé de chercher la sagesse du cœur », propose Jean Vanier.
Guillebaud exprime ainsi cette même conviction : « Les échecs qui me tourmentent vraiment (...) n'ont rien à voir avec tout cela. J'ai souvent échoué en trahissant l'amitié, en manquant d'attention à l'autre, en étant trop avare de mon temps – y compris au détriment des miens –, en trichant avec un confrère ou en oubliant une promesse (...) en laissant sans réponse un appel à l'aide, en négligeant de fortifier une amitié offerte (...) Je sais bien qu'il s'agit là de mes échecs véritables. Ils sont infiniment plus importants que tous ces faux challenges que le discours dominant nous invite du matin au soir à relever. »

Le Prix de la Fondation Templeton, à Londres, l'une des plus importantes distinctions honorifiques au monde, a été accordé cette année à Jean Vanier, « pour sa découverte innovatrice sur le rôle central des personnes les plus vulnérables dans la création d'une société plus juste, inclusive et humaine ». Déjà attribué à des grandes figures telles que Mère Teresa,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut