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Culture - Cimaises

Le poignard et la rose : renaissance d’une nation

Pour commémorer le centenaire du génocide arménien, une méga-exposition au Beirut Exhibition Center (Biel)* avec des artistes originaires majoritairement du pays de Sayat Nova. L'art au service de la beauté, mais aussi d'une cause, d'un témoignage, d'une mémoire collective, d'un déni, d'une agonie, d'une mort et d'une renaissance.

« Stallion’s Flight » (L’envol de l’étalon), une huile sur toile signée Vahram (145 x 195 cm; 2013).

Comme une nuée d'étoiles filantes, les toiles, les sculptures et les installations pleuvent sur cet espace blanc où brusquement vibrent l'histoire, l'âme et le cœur de l'Arménie. Pour un peuple au destin tragique et éclaté, mais qui s'est battu contre l'adversité et en a admirablement triomphé. Sans pour autant, un siècle plus tard, avoir la reconnaissance de l'injustice qui lui a été infligée.
Plus de cent cinquante œuvres d'art pour plus de cent dix artistes de toute la diaspora. Mais aussi, et surtout, de la terre-mère ainsi que du pays du Cèdre. Patrie d'exilés qui ont eu à en découdre avec leur destin. Aujourd'hui, avec ce bouleversant et riche florilège, sorte d'anthologie picturale, est groupé, en une vision certes non exhaustive mais sélective (et discutable), un ensemble de créations qui redessinent les grands axes d'un parcours qui laisse ses empreintes sur le temps, les consciences humaines et des millions de personnes... Et offre, aux regards des étrangers, découverte et témoignage.
Entre les huttes en bois de Charbel Aoun qui grillent au soleil et le Neptune en bronze unijambiste de Raffi Tokatlian, gardien-cerbère mouillant la pointe de ses pieds dans le plan d'eau de l'entrée, l'énoncé est clair : du dépouillement à la conquête des mers, le rêve et la volonté sont tenaces. Et les rêves, tout comme la volonté, sont toujours les désirs du cœur.

Mais palpitant de vie...
Reconstruire ce que les jours noirs ont semé d'horreurs et de carnage est montré du doigt. Rien qu'avec cette fabuleuse huile d'Aïvazovsky, une huile glaçante où des Arméniens, par une nuit noire, sont jetés à la mer par-dessus une embarcation.
Et la ronde s'ouvre en une myriade de couleurs, de lignes, de traits, de matériaux, de diversités d'inspiration, des plus misérabilistes aux plus éthérées, des plus sombres aux plus lumineuses, des ombres de la mort aux étincelles de la résurrection. Comment les nommer tous, ces peintres, ces sculpteurs qui rebâtissent, chacun à sa manière, un monument saccagé et mis en miettes, mais toujours palpitant de vie. Et pour reprendre la formule consacrée, tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
Longue déambulation devant ces images qui vont des familles décomposées, terrassées, aux nostalgies coriaces entre dômes d'église à flanc de montagnes ou sur hauts plateaux battus par le vent, en passant par les moments de labeur, d'angoisse et de redressement de la tête. Des déconvenues de la chair en décomposition à la plus haute des spiritualités, la palette est infinie de nuances, de diversités.
Images gravées en lettres de feu et de sang dans la mémoire de ces déportés où le passé hante le présent et l'avenir. Peintures et sculptures qui ne touchent pas seulement à la grâce, la modernité et l'innovation technique, mais frôlent l'absolue documentation d'un vécu impitoyable.

Inégalités
Dans ce flot torrentiel, on retrouve des noms prestigieux (Guiragossian, Guvder, Yuroz, Shart, Carzou, Kazandjian, Assadour, Grigorian, Minas, Elibekian, Jansem, Davtian, Abovian...) mais sans pour autant, parfois, que les tableaux exposés soient le meilleur du cru de ces maîtres, à la célébrité aujourd'hui bien assise. Inégalités aussi dans la veine d'inspiration pour exprimer une réalité douloureuse ou un dépassement pour une réinsertion sociale aux sacrifices et souffrances énormes. Trop frêles et basiques, par exemple, les fleurettes de Toros, fumiste la tache luminescente de Houri Chekerdjian, d'une élégance futile les marbres de Mazmanian. Par contre, la table basse en triangle recomposé de Karen Chekerdjian, objet de digression, est là non seulement pour un art de vivre raffiné, mais aussi pour évoquer le savoir-faire immense de l'artisanat et du design arménien.
Documentaire pictural absolu avec les travaux mi-témoignage, mi-art de peindre de Tarpinian, pour un coin de la Quarantaine livré au plus grand dénuement, à l'arrivée des déportés sur les rives
libanaises.

Retour aux racines
Toujours est-il que cette tournée atteste d'une débordante vitalité empruntant, avec panache et émotion, aux racines et origines. Force et vigueur créatives, usant avec brio des courants modernes les plus audacieux, les plus inventifs. On en sort un peu retourné par ce vertigineux tour d'horizon où il y a plus d'une révélation, plus d'une surprise, plus d'une attente comblée.
On retrouve avec plaisir les œuvres d'Edgar Chahine, un bout de la gloire défunte en icônes dorées de Hrair, la spiritualité exacerbée de Hounanian, les lignes épurées en marbre de Zaven, les paysages fabuleux d'Edik Pertian, l'arche de Noe sur Ararat en couverture d'étoffe militaire de Toutikian, les arbres chargés de fruits de Saryan, les maisons orangées de Minas, le tracé délicat de Dadérian, les sous-Mathieu de Roumelian, la rose bleue cubiste de Yuroz et surtout les éblouissantes fresques surréalistes de Vahram...
À l'école de la haine, de la barbarie et des ténèbres, les Arméniens, enfants aînés de la chrétienté, opposent dans cette exposition exceptionnelle (loin de tout mercantilisme, vouée uniquement grâce aux œuvres prêtées par les collectionneurs et les mécènes à jeter un pont entre passé et présent !) l'école de l'amour, de la culture et de la lumière.

*L'exposition « Rebirth of a nation », au Beirut Exhibition Center (Biel - sponsorisée par Solidere), se prolonge jusqu'au 31 mai.

 

Pour mémoire
Arshile Gorky, emblématique peintre de la diaspora arménienne

Comme une nuée d'étoiles filantes, les toiles, les sculptures et les installations pleuvent sur cet espace blanc où brusquement vibrent l'histoire, l'âme et le cœur de l'Arménie. Pour un peuple au destin tragique et éclaté, mais qui s'est battu contre l'adversité et en a admirablement triomphé. Sans pour autant, un siècle plus tard, avoir la reconnaissance de l'injustice qui lui a...

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