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Moyen Orient et Monde - entretien

« Plus de deux millions et demi de personnes dans le monde musulman seraient des esclaves »

Malek Chebel, anthropologue des religions et philosophe algérien, auteur de l'ouvrage « L'esclavage en terre d'islam », revient sur un phénomène qui n'a jamais cessé d'exister.

Jean-Louis Gérôme, « Le marché d’esclaves » (1867).

Cette image de femmes lascives immortalisée dans les tableaux d'Ingres, esclaves des harems des sultans, est désormais remplacée, dans l'imaginaire collectif, par celle des travailleuses domestiques privées de passeport et de tous les autres droits. Si l'esclavage dit « de possession » a été aboli dans le monde entier, certaines pratiques jumelles, tout aussi ignominieuses, continuent d'exister au vu de tous. Et les projecteurs sont particulièrement braqués sur les pays arabes du Moyen-Orient, alors même que l'État considéré comme étant le plus démocratique et le plus ouvert d'entre eux, le Liban, est constamment épinglé sur ce thème par les ONG.

Comme le rappelle l'anthropologue des religions et philosophe algérien Malek Chebel à L'Orient-Le Jour, l'esclavage n'a « jamais cessé d'exister ». Les nouvelles formes dites « modernes », le travail contraint, la servitude pour dettes, le mariage forcé et l'exploitation sexuelle commerciale viennent « en queue de comète de l'esclavage de traite », rappelle-t-il.

Les premiers esclaves, ces « outils animés » tels que les définissait Aristote, étaient puisés dans les rangs des prisonniers des guerres qui faisaient rage à l'époque de la Rome antique. Avant même la naissance de l'islam, la civilisation égyptienne « n'aurait jamais été aussi puissante sans ses esclaves », rappelle M. Chebel. À l'instar des pharaons, la civilisation arabe aura su tirer profit de cette manne humaine. Ses sources d'approvisionnement se feront dans le cadre des campagnes de razzias en Afrique noire et dans le sud de l'Europe, où les habitants seront capturés puis livrés au trafic d'êtres humains.

Au cours de l'histoire de l'islam, les Balkans, d'où fut issu le trafic de femmes et de jeunes éphèbes slaves vendus pour servir au « plaisir », a été un important gisement. Si l'islam n'a jamais interdit l'esclavage, il ne l'a jamais « imposé » et pas « déconseillé » non plus.
Selon Malek Chebel, « les musulmans ont trouvé cette pratique telle quelle et se sont donc servis de cette composante ». Les non-musulmans asservis avaient le choix de se convertir afin de s'affranchir, et nombre d'entre eux choisiront cette « option ».

 

(Lire aussi : La violence sexuelle, "tactique de terreur" des groupes extrémistes)

 

Vers une abolition déguisée ?
La Tunisie fut le premier pays du monde arabo-musulman à mettre fin aux pratiques esclavagistes en 1846 et la Mauritanie se classera bonne dernière de la liste, ne franchissant le pas qu'il y a tout juste 35 ans. Entre-temps, les Britanniques présents dans la péninsule arabique ont « déconseillé l'esclavage aux pays arabes alors même qu'ils continuaient d'avoir des coolies indiens (jusqu'en 1941). Ce qu'ils demandaient d'abolir aux autres, ils ne l'appliquaient pas pour eux-mêmes », constate M. Chebel.

L'esclavage contemporain « déguisé » est-il pour autant une exception arabe ? Pour le philosophe, il s'agit plutôt d'une « exception des États en déliquescence », l'asservissement d'êtres humains étant l'apanage de pays « corrompus ou défaillants ». En outre, le Moyen-Orient étant la région la plus mouvementée, elle est davantage susceptible de tomber dans un cercle vicieux où les droits fondamentaux sont aisément bafoués. Selon Malek Chebel, plus de deux millions et demi de personnes dans le monde musulman seraient des esclaves, avec pas moins de 100 000 personnes rien qu'en Mauritanie.

« Au Liban comme au Maroc, les « bonnes » sont désormais les esclaves des temps modernes » et dans les pays du Golfe « ce sont les personnels de palaces » qui vivent dans un assujettissement des plus rudes. La servitude « pour dette » constitue la forme la plus contemporaine de cette pratique. Les enfants continuent de faire les frais de cet immonde trafic, servant tantôt de jockeys lors de courses de chameaux ou de chair à canon lors des derniers jihads de Boko Haram ou du groupe État islamique.

Bien loin des plantations de canne à sucre qui coûtèrent la vie à des centaines de milliers d'esclaves issus d'Afrique noire, l'esclavage moderne, décrié par les ONG, n'a pas fini de sceller la vie des pauvres du monde entier, renonçant ainsi au plus précieux des droits, la liberté. Et l'euphémisme de « travailleur forcé » que les lèvres occidentales murmurent tout bas ne cachera pas la triste vérité sous le tapis.

 

 

Les « choses » au Qatar sont-elles « vraiment » meilleures qu'il y a un an ?

 

Le site en construction, en novembre dernier. Photo AFP

 

En 2013, The Guardian publiait une enquête sur les dessous des chantiers de construction des sites de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Selon le quotidien britannique, 44 Népalais seraient décédés dans des circonstances dramatiques. Le Qatar avait alors annoncé des réformes sur le droit du travail, mais l'ONG Human Rights Watch avait estimé, dans un rapport publié en février dernier, que celles-ci n'allaient pas « assez loin ni assez vite », malgré une pression internationale croissante sur ce petit riche émirat gazier du Golfe. Demain, ce sera au tour d'Amnesty International de publier un rapport complet sur les avancées enregistrées, notamment sur la question de l'abolition de la « kafala ». Ce système de parrainage local, qui fait des salariés des quasi-propriétés de leur employeur, est dénoncé comme de l'esclavage moderne. Abolir ce système serait la plus importante réforme du droit du travail jamais opérée au Qatar. « Nous ne nous cachons pas des problèmes au Qatar, nous les affrontons, avait déclaré la semaine dernière le ministre qatari du Travail. Nous savons que les choses ne sont pas parfaites, mais elles sont meilleures qu'il y a un an, et je vous promets qu'elles seront meilleures dans un an. »
Mustafa Qadri, chargé des recherches sur les migrants dans le Golfe pour Amnesty International, a souhaité de plus amples réformes. La Fifa (Fédération internationale de football association) devra également suivre de très près les engagements promis par le gouvernement qatari afin d'éviter que la polémique qui dure depuis maintenant 2 ans ne s'envenime.
(Source : AFP)

 

(Lire aussi : Qatar : la « kafala » supprimée avant la fin de l'année ?)

 

 

Pourquoi Walid Raad, Ashok Sukumaran et Andrew Ross ont été expulsés des Émirats arabes unis ?

 

Human Rights Watch n'a pas cessé de dénoncer les abus subis par les travailleurs étrangers lors de la construction du Louvre d'Abou Dhabi. Marwan Naamani/AFP

 

Si les Émirats arabes unis se targuent d'être en passe de supplanter les capitales culturelles occidentales avec leur « Louvre » ou leur « Guggenheim », les conditions de travail des migrants employés sur les différents chantiers suscitent bien des interrogations.
Le Gulf Labor, un collectif d'artistes internationaux, vise à s'assurer des droits des travailleurs émigrés qui participent à la construction de musées sur l'île de Saadiyat à Abou Dhabi. Depuis l'annonce en 2004 du gouvernement émirati de faire de ce lieu un hub culturel et de loisirs, l'ONG Human Rights Watch (HRW) veille au grain. La première étape a été de vérifier auprès des développeurs immobiliers que leurs employés ne soient pas victimes d'esclavagisme moderne. Dans un rapport datant de février dernier, l'ONG a épinglé certains employeurs qui « continuent de retenir les salaires et avantages de migrants, de ne pas rembourser leurs frais de recrutement, de confisquer leurs passeports et de leur fournir des logements de mauvaise qualité ».
Le collectif d'artistes a de son côté lancé en 2011 une pétition afin que la fondation Guggenheim (à New York) obtienne les garanties contractuelles qui protégeront les droits des ouvriers sur le chantier de leur nouveau musée qui devrait ouvrir ses portes en 2017. Depuis quatre ans, la direction américaine est priée d'agir en ce sens, mais il semblerait que les autorités de l'émirat la contraignent à « faire l'autruche ».
Le 11 mai, l'artiste libanais Walid Raad a été interdit de territoire à son arrivée à l'aéroport de Dubaï et expulsé manu militari pour « raisons de sécurité ». M. Raad n'a pourtant jamais eu aucun mal à se rendre aux Émirats, où il a d'ailleurs exposé en 2011, à la Biennale de Sharjah. L'artiste indien Ashok Sukumaran aurait subi le même sort début mai, de même qu'Andrew Ross, de l'université américaine NYU un mois plus tôt. Le dénominateur commun entre ces trois personnages connus de la scène culturelle internationale ? Ils sont signataires de la pétition. Dans une tribune sur le site du Gulf Labor, quelques jours après son renvoi du pays, l'artiste libanais s'est dit « consterné et triste » par cette décision, surtout que ses œuvres sont exposées dans le cadre une collection permanente du musée Guggenheim à New York, ainsi qu'au British Museum de Londres.
Le collectif d'artistes participera à la 56e Biennale de Venise, du 29 juillet au 9 août prochains, et présentera son rapport sur les conditions de travail des migrants dans le cadre de l'exposition Tous les avenirs du monde.

 

 

L'esclavage à travers les siècles

 

Le port de Délos, dans les Cyclades.

 

IIe siècle av. J.-C.
166 : Rome installe à Délos un port franc et un marché aux esclaves.

Ier siècle ap. J.-C.
4 : À Rome, la loi Lex Aelia Sentia régit l'acte privé de libération des esclaves, tandis qu'une autre loi permet de châtier les esclaves par la torture et de leur marquer le visage au fer rouge.
64 : Sénèque proclame l'égalité de tous les hommes, esclaves compris.

IIe siècle ap. J.-C.
170 : Marc Aurèle ordonne de traiter humainement chrétiens et esclaves dans l'Empire romain.

IVe siècle
316 : Édit de Constantin en faveur des esclaves : il devient interdit de les punir par la crucifixion et de les marquer au fer rouge au visage (ils peuvent être marqués ailleurs ou porter un collier inamovible).

VIIe siècle
608-631 : Le prophète Mohammad établit un statut aux esclaves. Ainsi, il est interdit de les battre sous peine de leur émancipation obligatoire. Si on les tue ou les mutile, le talion est appliqué. Il faut les vêtir et nourrir comme soi-même. Si on les charge lourdement, il faut les aider.
L'Afrique et l'Europe deviennent des bassins alimentant la traite arabe d'esclaves non musulmans.

626-680 : Bathilde, ancienne esclave, devenue reine des Francs, rachète des captifs puis interdit l'esclavage.

IXe siècle
869-883 : révolte des esclaves noirs Zandj en Perse à Bassorah.

Xe siècle
956-958 : Liutprand de Crémone, dans son ouvrage Antapodosis, rapporte les profits scandaleux des marchands d'esclaves de Verdun, et notamment le commerce d'eunuques entre Verdun et l'Espagne musulmane.

XIIIe siècle
1206 : Qutb el-Din Aibak, alors esclave de Mohammad Ghuri et gouverneur, à son service, de l'Inde du Nord, se rend indépendant et fonde la dynastie des Esclaves.

1222 : La charte du Manden est proclamée par Sundjata Keïta, premier empereur du Mali.

 

Une statue érigée sur l’île de Gorée, au large de Dakar, point de départ de très nombreux esclaves vers les Amériques. Archives AFP

 

À partir de XIIIe siècle, une activité méconnue et pourtant lucrative des ordres militaires (templiers et hospitaliers principalement) était le commerce des esclaves blancs : des prisonniers de guerre, des enfants enlevés, voire achetés à leurs parents, étaient transportés en grand nombre de l'Orient vers l'Occident. Ils participaient au fonctionnement des Maisons du Temple, principalement en Italie et en Aragon. À la fin du siècle, la plaque tournante de ce commerce florissant était le port d'Ayas du royaume arménien de Cilicie. Les Templiers y ouvrirent un comptoir vers 1270 et y firent le commerce d'esclaves turcs, grecs, russes et circassiens.

XVe siècle
1453 : la prise de Constantinople et la fermeture des détroits aux marchands chrétiens met fin à la traite d'esclaves tatares et russes de la mer Noire vers l'Italie, l'Espagne et l'Égypte mamelouke.

1462 : le pape Pie II qualifie l'esclavage de « crime énorme » (magnum scelus).

1492 : premier voyage transatlantique de Christophe Colomb. Des Noirs sont embarqués dans les caravelles dès le troisième voyage (1498).

XVIe siècle
1537 : le pape Paul III condamne à son tour toute forme d'esclavage présente et à venir, toute mise en doute de la pleine humanité des Amérindiens et toute atteinte à leurs droits à la liberté et à la propriété (2 juin 1537 (Veritas ipsa) et le 9 juin 1537 (Sublimis Deus).

XVIIe siècle
Les Hollandais marginalisent les Portugais dans l'océan Indien et les Espagnols dans l'océan Atlantique. Les Anglais plantent massivement du sucre à la Barbade puis en Jamaïque. La flambée des prix du sucre lors du blocus de la Barbade des années 1650 incite au défrichage des Antilles françaises. Alléchés, les rois de France et d'Angleterre développent la traite négrière dans les années 1670.

XVIIIe siècle
1789 : le 4 mars voit l'entrée en vigueur de la Constitution américaine, dont l'une des dispositions permet aux propriétaires d'esclaves de calculer le nombre de suffrages à partir de l'équation : 1 Noir = 3/5 d'un Blanc.

XIXe siècle
1863-1865 : abolition de l'esclavage dans l'ensemble des États-Unis (plusieurs États, dont la Pennsylvanie, l'ayant largement devancée).

XXe siècle
1948 : article 4 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, confirmée par la convention de 1956. On transfère les cendres de Victor Schoelcher, père de l'abolition de l'esclavage en France, au Panthéon en même temps que celle de l'abbé Raynal et de Félix Éboué.

1962 : abolition officielle de l'esclavage en Arabie saoudite.

1980 : abolition officielle de l'esclavage en Mauritanie.

XXIe siècle
2001 : loi Taubira instituant en France l'esclavage comme un crime contre l'humanité.

2006 : choix du 10 mai comme date de commémoration de l'abolition de l'esclavage.
(Source : Wikipédia)

 

Pour mémoire
Près de 36 millions de personnes réduites en esclavage dans le monde

Esclaves des jihadistes de l'EI, des Yazidies poussées au suicide

Cette image de femmes lascives immortalisée dans les tableaux d'Ingres, esclaves des harems des sultans, est désormais remplacée, dans l'imaginaire collectif, par celle des travailleuses domestiques privées de passeport et de tous les autres droits. Si l'esclavage dit « de possession » a été aboli dans le monde entier, certaines pratiques jumelles, tout aussi ignominieuses, continuent...

commentaires (5)

Tout comme, plus de quarante millions de personnes dans le monde européen sont des chômeurs ou kifkif "esclaves" !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

12 h 30, le 20 mai 2015

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Commentaires (5)

  • Tout comme, plus de quarante millions de personnes dans le monde européen sont des chômeurs ou kifkif "esclaves" !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 30, le 20 mai 2015

  • D'abord faut être spécifique , de quels musulmans s'agit il ? une fois qu'on aura compris cela , on comprendra qu'en fait ces musulmans, eux mêmes esclaves des sionisto/occicons , reproduisent ce qu'ils subissent ou consentent , allez savoir !

    FRIK-A-FRAK

    10 h 59, le 20 mai 2015

  • Nous attendons... une déclaration publique du ministre de l'intérieur , confirmant qu'il est interdit à un employeur dans notre pays, de séquestrer les papiers d'identité d'un/une l'employé (e) de maison ou pas...

    M.V.

    10 h 41, le 20 mai 2015

  • OU... DES TERRORISTES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 25, le 20 mai 2015

  • En 2011, une politicienne koweitienne prône une loi permettant l'achat de filles esclaves pour préserver les musulmans des "relations proscrites". Mais comment s'en procurer? C'est simple: "Certains pays, comme la Tchétchénie, sont en guerre (...)il y a forcément des prisonnières. Pourquoi ne pas les acheter? Vaut-il mieux qu'elles soient abattues là-bas ? Allez les acheter, puis revendez-les à des commerçants au Koweït!"

    Yves Prevost

    07 h 05, le 20 mai 2015

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