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Liban - Liban

Retour au calme à Roumieh... jusqu’à la prochaine mutinerie ?

Les insurgés matés, l'ordre rétabli, mais les solutions de fond restent inexistantes

Le calme est revenu, samedi à l'aube, dans le bâtiment D de la prison de Roumieh où une mutinerie violente couplée d'une prise d'otages avait transformé, une fois encore, vendredi après-midi, ce milieu carcéral en un champ de bataille. Du déjà-vu dont les effets ont été d'autant plus mal reçus cette fois que le « coup de maître » réalisé par le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, en janvier dernier, devait présager d'une solution définitive. Le scénario à caractère « répétitif » de la nouvelle émeute – matelas brûlés, portes brisées, caméras et lampes saccagées, et prises d'otages pour couronner le tout – laisse croire que le « syndrome » de Roumieh est décidément incurable.

« Oui, nous pouvons parler de retour au calme bien sûr. Mais par la force », commente le fondateur et président de l'association Justice et Miséricorde, le père Hadi Aya. Fort d'une expérience de plusieurs années dans les prisons, père Aya prêche, depuis, la nécessité d'humaniser ces milieux pour prévenir en amont ces mutineries récurrentes et contribuer également à la réinsertion sociale des détenus, une fois libérés.

L'état des lieux que dresse toutefois cet activiste n'est pas des plus rassurants.
« Les portes des cellules ont été brisées en moins d'une demi-heure par les prisonniers, leur garantissant ainsi un espace », raconte le père Aya. Ce dernier énumère les risques énormes que recèle cette tactique, puisque les détenus peuvent désormais se coaliser et constituer une force unie face aux forces de l'ordre. Exactement comme cela s'est produit dans le bâtiment B.

« À voir la facilité avec laquelle ils ont défoncé les portes, cela vous donne une idée de l'état dans lequel elles se trouvent. Il en est de même pour toutes les installations vétustes dans ce lieu de détention », dit-il.
Une grande partie des détenus de ce bâtiment – les islamistes – avaient, rappelons-le, été transférés du bâtiment B, transformé à l'époque en principauté islamique. La promesse du « plus jamais » avait été faite par le ministre Machnouk qui a réitéré vendredi le même credo : « Roumieh ne renouera plus jamais avec sa situation chaotique passée. »

Le père Hadi se demande ce qu'est d'ailleurs devenu le dossier du scandale financier qui avait éclaté au grand jour sous le mandat de l'ancien ministre de l'Intérieur, Marwan Charbel, qui effectuait un suivi des travaux de réfection du bâtiment D, confiés à une entreprise privée. M. Charbel avait fait état à l'époque d'un détournement de fonds de près de 7 millions de dollars.

« Depuis, on n'a plus jamais entendu parler de cette affaire », dit le père Aya. Ce sont ces mêmes portes qui auraient dû être rénovées par l'entreprise en question, qui se sont écroulées vendredi dernier sous les coups des prisonniers.
Une fois de plus, on se retrouve dans une situation similaire à celle qui avait prévalu dans le tristement célèbre bâtiment B où les détenus avaient réussi également à démolir les portes il y a quelques années, transformant les lieux en un espace de « souveraineté islamiste » exclusive où les détenus faisaient la loi, leur puissance dépassant celle des FSI et des geôliers.

(Pour mémoire : "Les autorités ne pouvaient ni entrer, ni contrôler ce qui se passait dans le bâtiment B de Roumieh")


Transférés vers le bâtiment D à la mi-janvier, les islamistes partagent, depuis, l'espace avec des prisonniers de droit commun. « Le plus grave, dénonce le père Aya, c'est que le transfert des islamistes au bâtiment D s'est fait au détriment des prisonniers de droit commun, désormais pris en otages en raison des conditions sécuritaires renforcées et musclées, rendues nécessaires par la présence des islamistes. »

Les visites des familles ont été réduites à néant, et lorsqu'elles sont autorisées, elles se font dans des conditions extrêmement difficiles, les parents étant acculés à marcher une distance de près de 5 km.
« Tout le monde est puni à cause de la présence des islamistes dans ce bâtiment », poursuit le père Aya, insistant sur les risques de couper le prisonnier de sa famille, ce qui accentue la rancune des autres détenus.
« L'objectif de la prison n'est pas de condamner à mort un prisonnier mais de lui permettre de purger sa peine dans un laps de temps précis. En déniant leurs droits, nous sommes en train de porter préjudice aux détenus et à la société », s'insurge le père.

Estimée à près de 7 000 dans les diverses prisons, la population carcérale atteint par an une moyenne de 15 000 entre ceux qui rentrent et ceux qui quittent les prisons. Un chiffre qu'il ne faut pas prendre à la légère, insiste le père. D'où l'action que mène son association depuis des années pour assurer un soutien social, légal, psychologique et médical aux détenus. Une mission que l'association Justice et Miséricorde ne peut toutefois assumer convenablement si elle n'a pas le soutien logistique minimal requis dans les milieux carcéraux.

Un autre danger autrement plus pernicieux guette les prisonniers de droit commun, à savoir le risque de voir certains détenus parmi les plus désespérés recrutés par les islamistes, un phénomène bien connu dans les milieux carcéraux de par le monde. Un risque que le père Hadi Aya s'abstient toutefois de commenter.

L'activiste tient toutefois à témoigner des multiples contacts déjà établis par son ONG avec quelques détenus islamistes, mettant en évidence le travail de fond effectué avec ces derniers. Une approche « concluante » à son avis, comme c'est le cas avec un cheikh sunnite du Liban-Nord, arraché aux mains d'el-Qaëda dont il était membre. Le prédicateur islamiste en question travaille, depuis, à son tour, à la réinsertion de jeunes sunnites qui seraient tentés de rejoindre les groupuscules radicaux.

« Il est temps que l'État réalise la nécessité de séparer les détenus de droit commun des islamistes qui, eux, doivent faire l'objet de mesures sécuritaires spéciales », poursuit le père Aya. Cela implique l'installation de caméras spéciales, incrustées dans les murs, et, par conséquent, résistantes, et des portes actionnées électriquement qui ne cèdent pas face à la première insurrection. En contrepartie, préconise le père Aya, il faudrait bien entendu éradiquer toute la « culture de l'humiliation » qui prévaut dans les prisons et mettre fin « aux pratiques de torture » devenues monnaie courante dans ces milieux, pour que la dignité du prisonnier soit préservée, quel que soit son crime.


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