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Culture - Édition

Damas, de l’an 34 jusqu’à Colette Khoury

Les chrétiens de Damas et l'histoire de la capitale syrienne sur plus de 2 000 ans dans « La rue de l'ange » de Myriam Antaki (Erik Bonnier-Encre d'Orient-315 pages). Un roman qui remet l'actualité, à travers la lorgnette du passé, en devanture des librairies et entre les mains des lecteurs...

Ode d'amour, nostalgie de l'enfance et réflexion pour les rives du Barada, mais aussi invitation à la paix et à la tolérance,
À peine sorti, le sixième roman de Myriam Antaki suscite déjà un accueil chaleureux. Pour cette histoire dédiée aux chrétiens de la « ville-reconversion » de saint Paul, à l'enfance bénie de l'auteure et à l'amour pour l'une des cités les plus immémoriales, le lecteur, souffle retenu et curiosité aiguisée, est aux aguets. Surtout lorsqu'il s'agit de l'histoire des chrétiens d'Orient, aujourd'hui sous le tranchant d'une épée de Damoclès. Sans que les grandes puissances ne s'en émeuvent ou ne s'en préoccupent outre-mesure – des grandes puissances qui se contentent de chétives aides humanitaires, de quelques couvertures, de paquets de spaghettis et de maigres médicaments quand les carnages et les dévastations sont innommables...

Roman comme une boule de cristal magique alliant histoire (un vrai don de hakawati pour l'auteur de Souviens-toi de Palmyre), lyrisme, sensualité, couleurs, parfums, poussière, soleil, clairs de lune, paysages mirifiques, Orient de rêve et de cauchemar, personnages de tous crins (saints, califes, pacifistes, guerriers, conquérants, destructeurs et bâtisseurs), connaissance et poésie. Pour présenter cet opus fraîchement sorti, déjà six radios françaises (dont France Inter et France Culture) mais aussi un passage remarqué à l'Institut du monde arabe à la rue Fossés-Saint-Bernard à Paris.
Beyrouth n'en salue pas moins une œuvre qui célèbre, en termes choisis, colorés et fascinants, termes venus en toute sincérité du cœur pour une ville qui croule aujourd'hui, tout comme ses habitants, sous les bombes et les horreurs...

Dédié à son fils Fathi, en avant-propos de son livre, Myriam Antaki a ces mots éclairants : « Ma mémoire soulève le voile de ma ville, Damas. Y naître est porteur d'une double tentation, celle de l'instinct charnel des femmes accueillant les conquérants, corps offert, celle d'une rencontre avec le divin, saint Paul y découvrant Dieu dans une lumière aveuglante. Ce passage entre l'esprit et le sens demeure l'âme de Damas, l'univers mystérieux de ses chrétiens auxquels j'appartiens. Mon témoignage est symbole de combat mais d'amour aussi. »

Le regard pervenche tendre, les mèches blondes, la silhouette fine, une écharpe ramagée Hermès jetée sur les épaules, l'auteure des Versets du pardon a la confidence qui coule claire comme eau de source : « C'est un livre retraçant vingt siècles d'histoire des chrétiens à Damas. Depuis l'an 34, c'est-à-dire un an après la mort du Christ jusqu'à Colette Khoury, femme de lettres syrienne en langue arabe (qui dit en fin d'ouvrage : "J'aurais toujours un espace vers la lumière"), à travers histoire(s) et conte(s), réalité et affinités romanesques, merveilleux et tragique, vivent les grands événements qui ont bouleversé ma ville... Art de vivre, pensée, richesse d'une culture qui a contribué à l'épanouissement de la littérature, des traductions, de la poésie et des sciences à travers la cohabitation avec divers conquérants arabes, maîtres de l'islam... Liens soutenus entre les êtres qui tissent ce texte littéraire avec des personnages, tous vrais et attachants, mais fabulent-ils ?... C'est ainsi que se dessinent les angles de la rue de l'Ange, connue sous le nom de la rue Droite et où vivent les chrétiens... ».

« Je demande l'amour »
Dans un vertigineux flot d'images, tel un œil magique ou un limonaire, se presse un étourdissant kaléidoscope de récits qui s'imbriquent. Ils se déploient en un éventail grand ouvert dominé par une luxuriante prose éminemment musicale, au français châtié dans un écrin à la saveur toute orientale.
Et déferlent dans ces pages fourmillantes de précisions historiques et de constructions de l'imaginaire les lauriers d'Athènes, l'ordre de Rome, la splendeur de Byzance ainsi que l'arrivée des Abbasides, des Omeyyades, des Mamelouks, les janissaires d'Istanbul, les brimades ottomanes, les massacres de 1860 (parfaite version « copy-paste » des dérives de Daech aujourd'hui !), la Nahda, l'arrivée de Lamartine et son éblouissement devant la ville des Verdures. Le chapelet s'égrène dans la remontée du temps pour rapporter les échos nationalistes de Michel Aflak et surtout la miraculeuse icône de la Vierge, perlant d'huile sainte en la demeure des pieux Mirna et Nicolas Zaccour, qui convoie ce message : « Je demande l'amour. » Message qui se perdra dans les violences qui pointent le nez dans une Syrie déjà en ébullition et entraînée dans l'odeur du sang...

Dans ce carrousel de mouvements historiques tumultueux et cette légion bigarrée de personnages, vrais et fictifs (dont Magdala, fille de joie immortelle et passante mythique, qui lie et relie pages, chapitres, héros et remous sociaux), la vraie héroïne de ce roman riche, puissant dans sa force d'évocation et d'invocation, touffu, palpitant, est de toute évidence Damas. El-Cham qui, dans sa beauté ravageuse, garde farouchement ses secrets et ses plans d'avenir. Après tant de vagues, de flux, reflux et ressacs, l'avenir est sans doute imprévisible et nul devin ne le dira. Mais jamais on ne coupe l'espoir...

Les derniers mots pour cette présence des chrétiens à Damas reviennent à l'auteure. En puisant dans sa narration cette phrase-clé, entre grâce, ouverture et arcane de la poésie : « La rue Droite, celle de l'Ange, ayant mis fin au paganisme, converti Paul et accueilli l'islam, cachait ses histoires dans le vécu des hommes, dans ses murs plissés recouverts de jasmins. » Phrase phare qui se prolonge et perdure dans ces temps d'errements et de quête pour la lumière. Car l'histoire n'a pas fini de s'écrire. Et elle s'écrit depuis des millénaires entre destructions et reconstructions, guerre et paix. Dans les larmes, les rires et le sang...

*Antaki signe son dernier roman La Rue de l'Ange (Erick Bonnier, Encre d'Orient, 315 pages) à la villa Audi (Achrafieh, près du Centre Sofil) le 21 avril courant à 18h30, en collaboration avec la librairie el-Bourj.

 

 

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