« Mia Khalifa n’est pas plus douée que vous, Mme K. »

Je me suis levée d'un très mauvais pied. J'avais commencé la nuit avec un jeune et sculptural Boudi rencontré le soir même dans ce gentil Memory Lane où j'avais emmené Benjamin Biolay et Vanessa Paradis, en visite incognito à Beyrouth pour décompresser un tantinet, boire quelques coupettes de Veuve Clicquot, picorer des wasabi salmon tartar et des burgers (pour eux), quelques grains de quinoa à la marmelade de grenadine (pour moi – oui, j'ai toujours un minipot, dans mon sac, que Fauchon m'expédie gracieusement chaque semaine de Paris). Boudi, c'est ainsi qu'il s'est présenté à nous, est serveur dans ce restaurant. Ce qu'il faut savoir, c'est que s'il avait été à Londres, New York, Paris ou Berlin, ce Boudi-là aurait été alpagué, un pied à peine posé sur un trottoir, par des responsables de castings pour le mannequinat, le cinéma, la télévision, le théâtre, la danse, le cirque, le mime, peu importe; qu'il aurait été une star planétaire : Boudi est l'un des rares chefs-d'œuvre que la nature ait pu créer. Il m'a retrouvée après son service. Il s'est douché. J'ai failli m'évanouir. Il m'a honorée. Je me suis évanouie. Quelques microsecondes. C'est cela le bonheur : la fulgurance de l'éphémère. Je m'apprêtais à entamer l'Ontologie herméneutique de la factivité de Martin Heidegger dans une traduction d'Alain Boutot quand Boudi s'est vautré, en tenue d'Adam, sur mon corps encore tout traversé d'ondes telluriques : You are hotter than Mia Khalifa, you would rock as a senior pornstar. Plaît-il ? Senior ? Moi ? Quel mufle. Je l'ai giflé. En aller-retour. Il a éclaté de rire, s'est rhabillé et il est parti en me disant : See you soon. Grrr. Je rageais. J'ai peut-être cinq fois dix-huit ans, mais je ne vais pas me laisser traiter de senior impunément. Le seul problème, c'est qu'il est parti avant que je ne lui demande qui diantre est Mia Khalifa. Au petit déjeuner je raconte ma mésaventure à Benji, pendant que ma petite Vanessa gloussait comme une dinde. J'ai appris que Benji, sous ses dehors de chanteur intello dandyssime, est un grand spécialiste de cette catégorie de cinéma. Hyperemballé, il appelle son ami Marc Dorcel et nous fixe un rendez-vous Skype en début de soirée. J'ai souri. J'ai décidé de jouer le jeu. Je téléphone à mon styliste chéri, Mak. B., qui accourt avec un tailleur pantalon blanc virginal Vika Gazinskaya broché d'une rose jaune et flanqué d'un immense turban natté rouge fraise, ainsi que de somptueuses Delpozo dorées enrubannées pour mes petits pieds. Vanessa débouche le champagne en riant aux éclats, Benji allume son ordinateur portable et je découvre un M. Dorcel, octogénaire et charmant, qui m'explique qu'il n'y a aucune raison que je fasse moins bien que ma jeune compatriote (j'ai 25 % de sang libanais) et qu'il est prêt à m'offrir un scénario, une direction artistique, des décors et des costumes genre Games of Thrones. Qu'il envisage même Mlle Khalifa au générique. Je glapis : Mais qui est cette dame? Benjamin pianote sur sa machine et nous regardons, en duplex avec M. Dorcel, moi éberluée, une des scènes phares de l'actrice. Quelle amatrice, je vais lui apprendre son métier, persiflais-je en silence. J'accepte votre proposition, hurlais-je à destination du Skype en question tandis que les Biolay-Paradis applaudissaient comme deux hurluberlus et que j'appelais au téléphone la délicieuse Émilie Sueur, patronne à L'Orient-Le Jour, pour lui proposer tout cela en Bonne Nouvelle du Lundi. Merci mon Boudi. J'entends déjà son miam-miam.

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