Les étudiants à l’écoute des explications des responsables de l’association Kunhadi sur la sécurité routière .Photo Collège Sainte-Famille française-Jounieh
Jouer un rôle, assumer des responsabilités, opérer des choix, s'impliquer, devenir acteur de la société, connaître ses droits, vivre ensemble, tels sont les principes du concept de la citoyenneté. Que faire cependant lorsque les droits humains sont bafoués au sein d'une société ? Comment gérer les changements rapides, les mutations des valeurs, les défis complexes à l'échelle mondiale ?
C'est à ce niveau que l'école peut intervenir et jouer un rôle afin d'inculquer le sens des valeurs, les valeurs communes aux générations montantes. Mais comment venir à bout des difficultés auxquelles celle-ci est confrontée, et qui sont principalement dues au décalage entre la réalité et le modèle offert par l'établissement scolaire ?
L'éducation citoyenne est une mission ambiguë et complexe et non « un véritable projet de société qui vise un changement profond des mentalités », affirme à ce propos la pédagogue Marie Lafontaine.
Soucieuse d'assurer l'éducation à la citoyenneté et de former des citoyens convaincus de leur appartenance à leur pays, conscients de leurs droits et de leurs devoirs, la Sainte-Famille française de Jounieh a mis en place un projet-stratégie dont la finalité est de lui permettre d'atteindre ces objectifs.
Les sermons, les théories autour de la citoyenneté s'avèrent gratuits s'ils ne conduisent point à des actions citoyennes. L'utilité de cette stratégie favorise le transfert des savoirs et rend l'apprenant acteur de son éducation.
C'est que « l'élève recherche dans l'école d'aujourd'hui un moyen de créer du lien et de le maintenir. Il est beaucoup plus sensible à l'ambiance de classe que l'étaient ses parents et s'engage plus facilement dans un projet collectif que dans une performance individuelle », selon Philippe Laurent, coach et formateur.
Le projet, dont les élèves sont acteurs, débouche sur une reconnaissance sociale et c'est leur image narcissique qui se trouve épanouie. C'est tout l'être qui est en évolution. À travers le projet, l'apprenant cherche à améliorer son comportement de façon à atteindre des niveaux d'efficacité très élevés dans des situations et des projets qui valorisent. Ceci lui permet de se construire une image de soi positive.
L'apprentissage de la vie collective est essentiel pour éduquer à la citoyenneté. Être un citoyen, c'est trouver sa place dans la cité. La citoyenneté est le rôle que doit assumer la personne au sein de la collectivité. Ce rôle s'apprend à l'école. L'appartenance au groupe amène l'élève à prendre en compte les conséquences de son comportement et de ses décisions sur la vie du groupe. Il développe ainsi son sens civique et se forme à la citoyenneté.
La parole aux élèves
Qui plus est, le projet donne la parole à l'élève. On est loin des idées reçues qui imposent à l'enseignant de monopoliser la parole. Dans une démarche active, on assiste à une certaine mutation sociale : l'enseignant devient un animateur, un accompagnateur et c'est l'apprenant qui se trouve au centre de l'éducation. Éduquer à la citoyenneté, c'est apprendre les règles du dialogue. Cela consiste à donner la parole à ceux qui ne la prennent jamais, à leur faire prendre confiance en eux, à les pousser à exprimer leurs idées, à les initier au respect mutuel. Pour Philippe Meirieu et Marc Guiraud, « c'est les former à l'exercice de la démocratie ».
En fait, la place de l'élève dans le processus d'apprentissage de la citoyenneté est actuellement abordée, au travers de la mise en place et du déroulement de conseils de classe ou de parlements des élèves. On y trouve les bases juridiques de la participation et des droits des élèves, dans les textes constitutionnels, dans les lois sur l'éducation, dans les curriculums et les programmes généraux ou dans des directives officielles. En matière d'apprentissage participatif, les approches centrées sur l'apprenant ainsi que les bonnes pratiques visent l'autonomie de l'apprenant, parmi lesquels on peut citer les pratiques d'autoévaluation.
Cette préparation à l'autonomie le conduira peu à peu au stade adulte, ce qui demeure l'un des buts principaux de l'éducation. Par ailleurs, grâce à l'éducation à la citoyenneté, on est loin des idées reçues qui accordent de l'importance à l'enseignant, et qui font de l'apprenant un simple récepteur. A contrario, il faudrait amener l'élève à s'autoévaluer, lui donner la parole et reconnaître en conséquence qu'il existe en tant qu'entité. Favoriser un climat d'actions, c'est permettre à ce citoyen en devenir de construire son identité. Monter des projets citoyens, sociaux, culturels et écologiques à l'école, c'est inculquer le sens de l'engagement aux futurs citoyens. Oui, l'engagement, c'est le milieu scolaire qui le suscite, l'engagement, c'est l'avenir de la citoyenneté.
Enfin l'engagement donne du sens à l'apprentissage. « Donner du sens aux apprentissages est devenu, aujourd'hui, un lieu commun pavé des meilleures intentions du monde, confirme Philippe Meirieu. Cependant, il ne s'agit point de "mécaniser" l'enseignement ni de l'enfermer dans l'espace restreint de l'école, mais de faire "naître" des désirs et de "mobiliser des énergies" (Meirieu), et, en conséquence, "faire du désir avec du savoir et du savoir avec du désir". »
La réussite de la mission d'un établissement scolaire se mesure, entre autres, à la qualité des engagements qu'elle fait germer dans l'esprit de ses jeunes apprenants, engagements qui condamnent l'injustice, les préjugés, la superficialité, la concurrence et qui célèbrent la justice, le respect, la solidarité, la tolérance, piliers de l'éducation citoyenne.
Le propre de la démarche du projet est de donner tout son sens à l'acte pédagogique qui parfois, aux yeux des élèves, risque d'être enfermé dans l'espace clos de la classe. Celui-ci constitue un pont entre le savoir scolaire et le savoir social, entre l'établissement et la ville. Par cette ouverture, le projet favorise la formation du citoyen, qui, un jour, pourrait agir sur la forme de l'État. Il est vrai que tout cela « n'est pas facile et les élèves continueront à résister longtemps à notre intention de les instruire, ajoute Meirieu, cela nous évite de les confondre avec des objets que l'on n'aurait qu'à façonner à notre gré ».
Force est de constater que la pédagogie active entraîne « la transformation du métier des enseignants pour le rendre plus appliqué, plus utile (...) et plus adapté à l'évolution du monde », affirme Philippe Laurent. Par conséquent, pour que cette pédagogie soit efficace il est impératif d'avoir des éducateurs formés. Alors, la pédagogie du projet incite à plus de professionnalité. La tâche de l'enseignant n'est point une mince affaire, évidemment, et la pédagogie active rend, certes, sa mission plus efficace, mais également plus laborieuse.
Ce microcosme qu'est l'école, quand il atteint sa mission citoyenne, s'avère un bâtisseur d'avenir, non plus à l'image d'une tour de Babel, symbole de stérilité, mais à l'instar d'une arche de Noé : un échantillon d'un monde fécond, un monde qui parle le même langage, celui des citoyens du monde, une langue faite de valeurs humanistes. C'est une arche conduite par des profs-leaders, occupée par des élèves-militants, véhiculant des messages de paix.
Sœur Clémence HADDAD
Directrice du collège de la Sainte-Famille française de Jounieh