Chaque mardi, au terme de la réunion hebdomadaire du bloc du Changement et de la Réforme, les journalistes réunis à Rabieh guettent la personne qui se présentera devant eux pour donner lecture du communiqué final.
En règle générale, quand c'est le général Michel Aoun en personne qui se présente devant la presse, tout le monde s'attend à un effet d'annonce et, le plus souvent, à une matière politique dense à se mettre sous la dent, voire une nouvelle bataille.
Le chef du Courant patriotique libre s'est donc exprimé hier à la tribune de Rabieh pour jeter une sorte d'anathème parlementaire sur la personne du ministre de la Défense (et vice-président du Conseil), Samir Mokbel, qu'il soupçonne manifestement de préparer la voie à une mise à l'écart de facto de son poulain (et par ailleurs gendre), le général Chamel Roukoz, auquel il souhaiterait un avenir prometteur aux premiers rangs de l'institution militaire.
Usant de raccourcis constitutionnels, le général Aoun a affirmé avoir « retiré la confiance » de son bloc au ministre Mokbel, sachant que la procédure ordinaire, dans une démocratie normale, requiert de se présenter devant la Chambre des députés pour déposer une motion de censure à l'encontre d'un ministre ou du gouvernement dans son ensemble. Mais passons, vu que le Liban n'est pas vraiment aujourd'hui ce qu'on peut appeler une démocratie normale, que la culture du blocage y est généralisée et que la plupart des institutions, y compris le Parlement, y sont la plupart du temps paralysées.
M. Mokbel se fonde dans son action sur un texte législatif qui lui permet de décider seul de retarder le départ à la retraite d'officiers de l'armée. Le général Aoun le soupçonnerait de vouloir en faire de même avec l'actuel commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, brisant ainsi les espoirs du général Roukoz de lui succéder, ce dernier étant lui-même à quelques mois de l'âge de la retraite. Or le bloc aouniste conteste que le texte législatif mis en avant par le ministre de la Défense puisse s'appliquer au commandant en chef.
Ce nouvel épisode dans la lutte qui oppose le chef du CPL notamment à l'ex-président de la République Michel Sleiman – M. Mokbel est un proche de ce dernier – devra être aujourd'hui au centre d'un entretien entre le chef du gouvernement, Tammam Salam, et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, avant le départ de ce dernier pour... Cuba.
On ne sait pas comment ils seront en mesure de régler cette nouvelle querelle, sachant que le cabinet est à présent menacé lui-même de paralysie totale, son chef étant déterminé à ne plus réunir le Conseil des ministres avant qu'un mécanisme alternatif de prise des décisions ne soit adopté.
Tammam Salam, sans doute l'un des hommes politiques les plus consensuels du Liban, ne veut pourtant plus entendre parler de la règle de l'unanimité qui, du fait de la vacance présidentielle, fait de chacun des vingt-quatre ministres un roitelet disposant d'un droit de veto sur toutes les décisions du gouvernement, même ordinaires.
Or cette vacance semble appelée à se prolonger encore. À ce stade, on ne décèle, en effet, aucun indice sérieux, susceptible de remettre en question le blocage en cours. La dix-neuvième séance électorale de la Chambre prévue ce mercredi va donc ressembler aux précédentes, même s'il est d'ores et déjà question que, plus tard dans la journée, la crise présidentielle soit pour la première fois abordée lors de la réunion de dialogue prévue entre le courant du Futur et le Hezbollah.
Cependant, au lendemain des prestations de Saad Hariri et de Hassan Nasrallah, qui ont illustré une fois de plus l'énorme fossé non seulement politique, mais aussi culturel, qui les sépare, le dialogue entre les deux formations apparaît plus que jamais comme une formalité destinée à faire passer le temps en attendant que les choses sérieuses se décident sur le plan régionalo-international.
L'attention est naturellement braquée sur les négociations irano-américaines, et d'aucuns, notamment au sein du 8 Mars, se délectent déjà à l'idée de voir les États-Unis concéder à l'Iran une influence et un rôle dans la région en échange d'un abandon de facto du rêve (cauchemar) de la bombe atomique.
Mais cet optimisme peut paraître un peu hâtif, d'autant qu'à ce stade, la République islamique est loin d'être parvenue à des résultats brillants dans les pays arabes où son influence est en jeu. Et si le Liban reste moins à plaindre à cet égard que la Syrie, l'Irak et le Yémen, ce n'est guère de la faute de Téhéran, mais bien plutôt à cause du facteur sunnite libanais, lequel s'est montré quasi totalement sourd aux sirènes du jihadisme.
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commentaires (9)
C'est normal ...car le souffleur est aussi au repos pendant l'entracte...!
M.V.
17 h 08, le 18 février 2015