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Culture - Portrait

La Carmen d’Elena Obraztsova, lionne rugissante, ne chantera plus...

À 85 ans, après une retentissante carrière de cantatrice, la mezzo soprane Elena Obraztsova, la plus Russe des héroïnes de l'art lyrique, s'est éteinte en Allemagne. Petit lever de rideau pour retrouver une voix et un personnage.

Elena Obraztsova.

Dans une Russie aujourd'hui où le rouble croule, où Poutine est aux aguets d'un Occident empêtré dans ses contradictions, où les oligarques en gang amoncellent les richesses et sont, pour certains, impitoyablement traqués, le monde de l'art du pays de la datcha vient de perdre une de ses plus belles figures et une de ses valeurs les plus sûres. Le Bolchoï (où elle fit une de ses premières apparitions dans Boris Goudonov) et le peuple de la terre de Tolstoï sont en deuil à la suite de la mort d'Elena Obraztsova. À ne pas confondre avec Evgenia Obraztsova, étoile prima ballerina du Bolchoï toujours sur ses pointes...
Retour sur presque un siècle de labeur et de création pour une cantatrice bien gaulée, qui avait du tempérament, du chien et surtout une voix incomparable. Non dans le timbre de La Callas ou de la Tebaldi, mais une voix particulière qui n'a pas toujours fait l'unanimité des pointilleux mélomanes chevronnés. Une voix «à la russe», ample et ductile, aux aiguës fins et aux graves profonds. Voix grasse pour certains, mais néanmoins qui a pu s'accorder à tous les personnages de la scène lyrique. Pour leur donner une saveur et une épaisseur insoupçonnées. Parfaitement dans le sillage du slogan brandi par la cantatrice: «Provoquer, innover, inspirer.»
Elena Obraztsova, née à Saint-Pétersbourg (à l'époque où on la désignait encore par Leningrad), a vécu les nombreux remous de l'URSS, à savoir le siège de sa ville, la mort de Staline et la détente avec l'Ouest. Entre-temps, de ses premiers cours au conservatoire Rimsky-Korsakov aux nombreuses récompenses qui ont auréolé sa vie (dont Prix Artiste Émérite, Lenine et Tchaïkovski), l'artiste, corps sculptural, voix unique, geste impavide et présence charismatique sous les feux de la rampe, a conquis les meilleures salles et les publics les plus exigeants, les plus capricieux.
De la salle Pleyel, où les applaudissements l'ont comblée, aux lumières du Metropolitan de New York, à la Scala de Milan, en passant par le
Covent Garden de Londres, ses prestations et ses performances ont été houleuses et ovationnées.
Si le répertoire russe lui allait comme un gant (elle fut longtemps la comtesse de la Dame de Pique de Pouchkine, de Tchaïkovski, de même qu'elle a hanté le Prince Igor et Boris Goudonov), la cantatrice n'en fut pas moins la servante zélée de l'inspiration et de l'esprit français et italien. Tout en affectionnant ce qui est allemand, notamment
Schumann...
À ce titre, on nomme ses mythiques incarnations de Dalila, Carmen, Adrienne Lecouvreur, Tosca... On lui doit deux productions
télévisuelles signées Franco Zeffirelli. Carmen, bien entendu, où elle bouscule norme et convention, physiquement et vocalement...
Face à Placido Domingo, elle sera une lionne rugissante, diront d'elle certains critiques et même audace, on parlera d'une «Carmen» ogresse...
Plus de 40 rôles marqueront son parcours, puisant dans toutes les langues qu'elle tentera toujours de parfaire avec talent et minutie. Pédagogue (ses ateliers sont une source de rayonnement musical pour les jeunes chanteurs et chanteuses) et infatigable voyageuse, elle sera applaudie aussi bien au Japon qu'en Amérique où elle taquine sans sourciller le jazz... Les maestros les plus prestigieux seront sous la coupe de sa voix. Et non des moindres. On nomme, sans que la liste soit exhaustive, Claudio Abbado, Herbert von Karajan, Muti, Prêtre, Maazel, Giulini...
À l'écouter, immortelle, en ce jour d'ultime départ, sur platine. Et surtout la revoir sur la pellicule du Florentin cinéaste de Cavalleria Rusticana, La Bohème, Pagliacci, La Traviata et Jesus de Nazareth...

Dans une Russie aujourd'hui où le rouble croule, où Poutine est aux aguets d'un Occident empêtré dans ses contradictions, où les oligarques en gang amoncellent les richesses et sont, pour certains, impitoyablement traqués, le monde de l'art du pays de la datcha vient de perdre une de ses plus belles figures et une de ses valeurs les plus sûres. Le Bolchoï (où elle fit une de...

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