Quinze millions d'oiseaux sont victimes de la chasse sauvage au Liban chaque année. Ce chiffre, c'est l'ornithologue Ghassan Jaradi qui l'a calculé, au terme d'une étude qui a duré trois ans. Bien que la chasse soit interdite depuis 1995 dans le pays, cette activité est toujours pratiquée par un demi-million de « tireurs ». Le spécialiste des oiseaux préfère ce terme à celui de « chasseur » parce que, dit-il, « ces gens n'ont pas l'éthique de la chasse ». « Ils chassent à n'importe quelle saison, y compris pendant celle de la reproduction », s'indigne-t-il.
« Ils tirent n'importe quoi avec n'importe quelles armes », déplore Ghassan Jaradi. Les oiseaux sont les premières victimes de cette distraction cruelle, et plus particulièrement les oiseaux planeurs, dont font partie les rapaces, les cigognes ou encore les pélicans. Huit espèces menacées d'extinction à l'échelle mondiale sont activement braconnées au Liban, qui compte 399 espèces d'oiseaux en tout. Alouettes, pinsons, cailles, grives, canards, étourneaux, pigeons sauvages, fauvettes, moineaux domestiques et des rochers sont les plus présents dans tout le pays. Faire respecter la prohibition et évaluer les dégâts est difficile parce qu'il n'y a pas de police pour contrôler la chasse sur tout le territoire. Et aussi parce que les agents de l'ordre préfèrent parfois fermer les yeux sur les abus commis. On a bien vu sur les réseaux sociaux des braconniers exhiber fièrement comme des trophées des dizaines de cigognes abattues sans états d'âme, pendant la période de migration en septembre, juste pour le plaisir de tuer et pavoiser.
Une réglementation sérieuse de la chasse n'est pas, légitimement, une priorité pour le pays, qui laisse librement le commerce des fusils de chasse prospérer.
Réglementer pour préserver aussi les écosystèmes
Pourtant, il y a urgence à réglementer. Si, d'un point de vue scientifique, l'impact de la chasse aux oiseaux sur les écosystèmes est difficile à évaluer, du moins à court et à moyen terme, certains dommages sont clairement imputables à cette pratique. « Le plomb contenu par les cartouches est une matière toxique qui est déversée dans l'eau des étangs et des rivières, ainsi que dans les terres », relève ainsi l'ornithologue. De nombreux canards meurent chaque année intoxiqués au plomb. « Il faudrait que les cartouches soient en fer, comme en Europe », note l'expert.
Le manque d'oiseaux permet aussi à certains insectes nuisibles de proliférer et de détruite la flore. Ghassan Jaradi raconte ainsi que la population de Cephalcia tannourinensis, un insecte qui détruit les cèdres à Tannourine (Nord-Liban), profite de la diminution du nombre de ses prédateurs pour prospérer et décimer la forêt. Les prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire, comme les aigles, busards, vautours, faucons ou encore les éperviers maintiennent la balance à l'équilibre, mais ils sont chassés à outrance. « Tous les oiseaux jouent un rôle positif pour les cultures. C'est le déséquilibre entre les espèces, causé par l'homme et l'absence des prédateurs naturels, qui aboutit à l'épanouissement de certaines espèces au détriment des autres. Trop nombreux, ces oiseaux deviennent nuisibles à l'agriculture », rappelle l'ornithologue. Ainsi, ces oiseaux se neutralisent les uns les autres. Mais lorsqu'ils prolifèrent au point de se constituer en bandes nombreuses, comme les cailles des blés, les étourneaux sansonnet et les alouettes calandre, ils sont redoutables pour les cultures. Une seule espèce manque, et c'est l'équilibre de l'écosystème tout entier qui est affecté. Exemple, les coucous dont une réduction très importante de la population a causé une explosion du nombre de chenilles processionnaires qui attaquent les pinèdes et tuent des hectares de sapins, menaçant l'habitat.
Un impact économique
Ce braconnage a donc un impact également économique puisque les autorités, notamment le ministère de l'Agriculture, se voit dans l'obligation de prévoir ou de débloquer des fonds pour combattre des insectes comme la chenille processionnaire ou des maladies agricoles qu'on aurait pu éviter pour peu qu'on veille à la préservation de l'écosystème.
Par ailleurs, les oiseaux sont des pollinisateurs dont l'absence a des effets sur l'agriculture. Une forme de fertilisation des plantes est partiellement perdue. Par ailleurs, ils mangent les insectes derrière les tracteurs qui labourent : « Les agriculteurs qui chassent les oiseaux pour les éloigner de leurs fermes ne savent pas qu'ils les débarrassent des graines infectées par les insectes », regrette le scientifique.
Quelle solution pour satisfaire les cynégètes et les ornithophiles ? Faute d'un contrôle à l'échelle nationale, pour Ghassan Jaradi, « la meilleure solution serait de limiter la chasse à des réserves de chasse, une dans chaque mohafazat pendant l'automne seulement ». Les municipalités situées dans ces réserves pourraient contrôler la chasse.
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commentaires (9)
S'il y a bien un plat de la cuisine libanaise qu'il faudra rayer des menus c'est les petits oiseaux frits ou en bbq servis en brochettes . C'est degueulasse de s'en delecter ...
FRIK-A-FRAK
15 h 27, le 28 décembre 2014