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Santé - Maladies chroniques

Cancer : des blessures physiques, mais aussi psychologiques

Malgré les avancées médicales dans le traitement du cancer, la prise en charge psychologique fait encore défaut. Or le diagnostic d'un cancer induit chez le patient un bouleversement émotionnel et psychique aux répercussions lourdes. Un soutien psychologique est conseillé pour l'aider à franchir cette étape douloureuse.

Le stress et la détresse psychologique sont au premier plan chez une personne souffrant d’un cancer. Séquence tirée du film « Wit »

Associé aux notions de chronicité, de douleur et de mort, le cancer n'est pas une maladie facile à annoncer, encore moins à vivre avec. Si la médecine a fait des progrès en termes de diagnostics et de traitements, la prise en charge des répercussions psychiques de la maladie sur la vie des patients et de leur entourage reste encore limitée. Le patient est souvent laissé seul face à de nombreuses interrogations, notamment lorsqu'il s'agit d'un cancer qui touche à son identité et à son corps, comme le cancer du sein, celui des ovaires ou de la prostate. Le point avec Karine Nassar, psychologue clinicienne et psychothérapeute.

Les bouleversements commencent lors du diagnostic. Comment le cancer doit-il être annoncé ?
Il n'est pas évident d'annoncer le cancer à un patient, parce que la maladie est en soi porteuse de plusieurs notions liées à la mort, à la souffrance, à la castration, etc. De ce fait, il n'existe pas de bonnes manières de le faire, dans le sens où il n'y a pas de formule magique. Bien sûr, le médecin peut faire preuve d'empathie, être à l'écoute du patient, essayer de lui transmettre le message de la manière la plus calme possible et répondre à ses questions.

Que se passe-t-il au moment du diagnostic ?
L'annonce de la maladie cause généralement un traumatisme émotionnel et psychique qui va se répercuter sur la vie du patient et de son entourage. En d'autres termes, le diagnostic est synonyme d'un choc, parce qu'on ne s'y attend pas. Il est porteur d'une effraction intimement liée à la maladie et à la mort. L'être humain se considère en général comme étant immortel. Il ne pense à sa mort que lors d'une situation pathologique. Or le diagnostic d'un cancer le met face à sa mortalité. Il y a un glissement identitaire d'une personne indépendante, saine et bien portante, vers une personne dépendante et malade, qui doit subir des traitements de longue durée, selon le stade du cancer.
Le diagnostic est donc accompagné d'un chamboulement émotionnel au niveau de l'identité, de l'image corporelle, de l'image de soi, de la confiance en soi. Dans le cas du cancer du sein, il y a aussi un retentissement émotionnel au niveau de la sexualité, de la fécondité, de la maternité et du devenir de la femme en soi.

Quelle attitude le médecin doit-il adopter ?
Il ne doit pas se limiter à l'annonce de la maladie, laissant le patient dans le flou. Il est de son devoir de lui expliquer la stratégie à adopter. Si le patient décide de ne pas écouter, le spécialiste doit comprendre qu'il s'agit là d'une réaction normale et humaine due au trauma émotionnel, parce que le patient est incapable d'intégrer l'information à ce moment-là. Il est donc du devoir du spécialiste de lui expliquer de nouveau.
Le médecin doit aussi offrir au patient une possibilité de soutien dans son entourage (un membre de la famille, des amis...), parce que la manière dont le patient est entouré va jouer un très grand rôle dans la lutte contre la maladie, mais aussi la possibilité d'un soutien psychologique.

Dans certains cas, le patient n'est pas au courant de sa maladie...
Au Liban, malheureusement, il est courant de cacher au patient la réalité de sa maladie. On lui dit qu'il a une infection et qu'il doit suivre un traitement. Or, en cachant la vérité, la famille n'aide pas le patient. Elle ne fait que retarder l'heure H. Le patient ne tardera pas à comprendre qu'il y a un non-dit. D'aucuns se réfugient dans cela. Il n'en reste pas moins qu'en cachant la maladie, on ne donne pas au patient la possibilité de mettre en place des mécanismes de défense adaptés. Il risque d'être dans une somatisation et une anxiété plus importante. Ce patient a été forcé au déni. Il est exclu de tout ce qui le concerne : son corps, ses états émotionnels, physiques, psychiques, somatiques... Il ne trouve pas de réponses à ses questions, le fait de savoir les raisons pour lesquelles il a les cheveux qui tombent, à titre d'exemple, ou encore les raisons pour lesquelles son état de santé se dégrade. Le plus souvent, il va finir par le deviner tout seul. Il ne faut pas donc plonger le patient dans un non-dit ou dans un « faux » processus de prise en charge. Il est conseillé de lui dire la vérité et de lui offrir tout le soutien nécessaire pour qu'il puisse l'affronter.

Comment le patient réussit-il à gérer sa maladie ?
Le stress et la détresse psychologique sont au premier plan. Pour que le patient puisse gérer sa maladie, il faudrait l'aider à mettre en place des stratégies d'ajustement adaptées et un espace de parole où il pourrait exprimer ses angoisses. La prise en charge multidisciplinaire est donc cruciale. On va aider le patient qui est au courant de sa maladie à ajuster ses mécanismes lui permettant de faire face à la situation. De ce fait, il va pouvoir mieux contrôler les symptômes par lesquels il va passer. Il va pouvoir mettre des mots là où ça fait mal, verbaliser ses émotions, parler de son corps, de l'image qu'il a de lui-même, de sa sexualité, de sa souffrance et de ses doutes.
Quant aux patientes, elles vont finir par évoquer le problème de la fécondité, d'autant que le traitement chimiothérapique entraîne une ménopause forcée. Malheureusement toutes les patientes n'en sont pas averties. Déjà la ménopause nécessite un remaniement psychologique et émotionnel par rapport au corps et à la perception de la féminité. Que serait-ce alors le cas d'une femme de 35 ans qui se trouve face à une ménopause forcée qui va la renvoyer à un vieillissement prématuré du cops fécond ou du corps qui va devenir stérile. Il va y avoir également une blessure narcissique liée à la féminité de la femme ou à la virilité de l'homme.

Quel est le rôle de la famille ?
Un patient atteint d'un cancer va beaucoup culpabiliser. S'il est soutenu, il va pouvoir acquérir de meilleures stratégies adaptatives que celui qui ne l'est pas. Un patient isolé est plus à risque de développer une dépression majeure. La famille a un rôle essentiel de soutien psychologique. Néanmoins, la famille peut souvent souffrir elle-même d'un épuisement psychique face à cette situation psychologiquement éprouvante et stressante. D'où l'importance d'une prise en charge psychologique pour le patient et sa famille.

Quels sont les défis à relever au niveau de la prise en charge ?
Les mentalités sont en voie de changement au Liban, mais le besoin du suivi psychologique des patients se fait toujours ressentir. Certains praticiens n'annoncent toujours pas le diagnostic du cancer. Ce sont les mécanismes de défense du corps soignant. Toutefois, il est important d'annoncer le diagnostic d'une manière simple et accessible au patient, mais aussi de mettre en place un suivi psychologique dans le cadre d'une prise en charge multidisciplinaire.
Certains hôpitaux se sont déjà dotés de structures pareilles, d'autant que la présence d'un psychologue est importante non seulement pour le patient, mais aussi pour le corps professionnel infirmier. Il y a une détresse psychologique au niveau de l'équipe soignante également. Il faut travailler sur soi pour pouvoir véhiculer tout ce qui est vécu dans un étage d'oncologie. Il y a l'espérance, le positivisme, les soins palliatifs... On est en constant contact avec la vie et la mort. Il est important donc de mettre en place des structures plus complètes pour cadrer les patients, leurs familles et le corps soignant.

Associé aux notions de chronicité, de douleur et de mort, le cancer n'est pas une maladie facile à annoncer, encore moins à vivre avec. Si la médecine a fait des progrès en termes de diagnostics et de traitements, la prise en charge des répercussions psychiques de la maladie sur la vie des patients et de leur entourage reste encore limitée. Le patient est souvent laissé seul face à de...

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