« Imaginez ce que nous aurions pu accomplir tout au long de ces années qui ont succédé au 11 septembre. » Et voilà le sénateur Barack Obama lancé dans une énumération des réalisations manquées à cause des guerres en Afghanistan et en Irak. De quoi rendre jaloux les auteurs du catalogue des 3 Suisses. Cela va de l'annihilation d'el-Qaëda à la construction de routes, ponts, centrales électriques et voies ferrées, en passant par la découverte de sources d'énergie alternative, le recrutement d'une génération entière d'enseignants et de volontaires des Peace Corps, la création de nouvelles alliances pour le progrès, l'élaboration d'un vaste programme destiné à relever les défis du XXIe siècle. Quoi encore ? Ah oui, la protection de la sécurité des États-Unis en garantissant de manière ultramoderne leurs ports, trains, aéroports...
C'était le 15 juillet 2008, et le sénateur de l'Illinois, qui prenait la parole devant les édiles démocrates réunis dans la grande salle du Reagan Building and International Trade Center de la capitale fédérale, sollicitait alors l'investiture du parti de l'âne. Je fais campagne, concluait-il, pour engager le pays dans une autre direction (que celle de son prédécesseur George W. Bush). Dans la foulée, il promettait la fin de la guerre en Irak et en Afghanistan, un rééquilibrage des rapports avec la Russie, la conclusion d'un accord de désarmement et, plus important que tout cela, un new deal avec le monde musulman. Six ans plus tard, nul besoin d'établir un état des lieux alors que le Pentagone prépare à élargir son champ d'action sur l'ordre d'un homme qui affirmait il y a peu, justifiant sa décision de ne pas punir Bachar el-Assad pour son recours aux armes chimiques : « J'ai œuvré quatre années et demie à mettre fin à la guerre ; ce n'est pas pour en lancer une. »
En mai 2013, le président américain, optant pour « la solution d'Alexandre », tranche le nœud gordien. « Cette guerre, comme toutes les guerres, doit prendre fin, dit-il. Tel est le conseil que nous prodigue l'histoire ; telle est l'exigence de la démocratie. » Elle a bon dos, l'invention des Athéniens. Après vingt-cinq siècles, en voulant donner un nouveau sens à ce concept, la Maison-Blanche et avec elle le monde libre se trouvent confrontés à une situation qu'ils n'avaient pas prévue. À une époque où l'islamisme a le vent en poupe, les mouvements rebelles en Syrie sont au nombre de 1 500 – sur un total de 1 600 dans l'ensemble du Proche-Orient –, à en croire un rapport de James Clapper Jr., directeur du renseignement national. Les effectifs de l'ex-Daech atteignent le chiffre de 31 500, selon la Central Intelligence Agency (CIA). Plus nombreuses, les multiples organisations dites modérées, oui, mais plus efficaces ? Beaucoup moins, affirment les Américains, et surtout plus divisées que par le passé. D'où les réserves formulées dans un éditorial du New York Times, le journal le plus influent de la planète, qui écrit samedi, sous le titre « A Risky Bet on Syrian Rebels » : « Des milliards de dollars ont été dépensés pour édifier une armée irakienne valable. Ce fut pour la voir s'effondrer à Mossoul. À moins de voir l'administration Obama faire mieux en Syrie, la bataille contre l'EI ne peut pas être gagnée. »
Dans ce qui paraît être l'engagement le plus délicat de sa carrière politique, Barack Obama doit tenir compte de la précarité de la coalition mise sur pied, des efforts diplomatiques sans commune mesure avec l'importance des enjeux, des dangers que vont encourir les forces spéciales et les conseillers US appelés à être présents sur le terrain pour encadrer l'armée irakienne et l'Armée syrienne libre, du rôle que ne manqueront pas de jouer l'Iran et la Syrie de Bachar el-Assad, enfin d'une opinion interne qu'indispose le retour d'une presque-guerre. Étant entendu que tout cela doit être placé dans le contexte des mid-term elections destinées à renouveler les 435 membres la Chambre des représentants, 33 sénateurs, de nombreux postes de gouverneur et la législature propre à 46 États.
Dans un livre appelé à faire date*, plaidoyer passionné pour un nouveau réalisme, Henry Kissinger se prononce pour le retour aux principes westphaliens, en allusion aux trois traités de Westphalie conclus le 24 octobre 1648 après la guerre de Trente Ans entre catholiques et protestants. À cet égard, la logique du vieux combattant de l'ère nixonienne – 91 ans au compteur et l'esprit toujours alerte, ainsi que le prouve magistralement ce dix-septième ouvrage en 60 ans – paraît imparable. Mais difficilement applicable dans le cas qui nous intéresse, ô combien. Suggestion : commençons par le reste du monde. Pour l'Orient compliqué, on verra plus tard.
*« World Order », par Henry Kissinger, 420 pages, Penguin Press.
commentaires (4)
HEUREUSEMENT QU'IL A ENCORE A SES CÔTES CES PRINCES SAÔÛDIENS SECS, QUI LUI PERMETTRONT, EUX AU MOINS CES ÉMIRS, DE RÉUSSIR !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 22, le 16 septembre 2014