La situation périclite à vue d'œil, cela commence à sentir le roussi, des effluves nauséabonds emplissent l'air, des corps sans têtes, sans mains, tordus, déchiquetés, sauvagement broyés, jonchant, tel un amoncellement de détritus, des rues aux façades éventrées, calcinées, laissés sciemment au regard du monde qui les contemple incrédule à la une des quotidiens, sur les réseaux sociaux ou les chaînes de télévision.
Non, ce n'est pas du cinéma, un film de plus sur la guerre du Vietnam, ou les prouesses de Stallone en Afghanistan. C'est une tragédie qui se passe à deux pas de chez nous. Les cadavres sont ceux de gens qui nous ressemblent, parlent notre langue, croient au même Dieu, prient, jeûnent ; il y a quelques jours à peine, ils vaquaient encore paisiblement à leurs occupations.
Ces femmes, ces filles, enlevées, ligotées l'une à l'autre, menées comme un troupeau de bétail pour être vendues sur le marché aux esclaves, ressemblent à nos mères, nos femmes, nos sœurs, nos filles. Les enfants en bas à âge, dépecés, démembrés, égorgés, abandonnés sans sépulture, laissés à la charogne, parce que bouches inutiles à nourrir, n'ayant aucune valeur marchande, sont pareils aux nôtres.
Où sont la compassion, l'humanisme, la charité, qu'elle soit chrétienne, musulmane, juive, bouddhiste ? Où sont les rassemblements monstres à l'échelle planétaire des apôtres des droits de l'homme, de la non-violence qui mobilisent les masses contre la peine de mort dès qu'il y a un criminel à pendre, et qui restent froids, impassibles, devant tant d'atrocités planifiées, commises de sang-froid ?
Ces criminels ont atteint leur but : effrayer, atterrer, frapper les imaginations, de telle sorte que les gouvernements des grandes puissances, qui pourtant disposent d'une large palette de moyens pour définitivement éradiquer ce phénomène, réfléchissent à cent fois avant d'entamer une quelconque action à leur encontre.
Avant d'aller plus loin, je voudrais saluer la délégation cléricale qui s'est rendue auprès de déracinés de Mossoul. Elle leur a mis du baume au cœur. Mais ce n'est pas suffisant tant que les grandes puissances n'auront pas pris les mesures adéquates pour sauvegarder non seulement les chrétiens de cette région, mais plus encore les musulmans modérés, s'agissant comme il apparaît très clairement d'une guerre de civilisation et non de religion.
La responsabilité de ces puissances mêmes dans ce qui advient dans notre région est énorme, elles y sont impliquées jusqu'à la moelle. Sans vouloir entrer dans les détails, il est des régimes rétrogrades, rigoristes, dirigistes qu'elles soutiennent à bout de bras, détournant un regard complice des exactions quotidiennes que subissent leurs populations, étant en retour économiquement grassement dédommagées.
Il n'y a qu'à constater la facilité avec laquelle ces mouvements appelés Daëch, al-Nosra, IIES ou autres, avec à leur tête des émirs, qu'on croyait de pacotille, ont en un tournemain envahi, grâce à un arsenal de pointe, d'immenses étendues, modifié la géographie de certains pays, pour se rendre compte qu'ils sont en fait les enfants illégitimes de quelques potentats fatigués de leurs galipettes, qui leur ont donné deux sous pour aller jouer ailleurs.
On ne devient pas une armée conquérante du jour au lendemain. Au départ il y a certainement eu encadrement, formation, discipline, exercices, hiérarchie, structuration, chaîne de commandement, même si à la base ce fut, comme on veut bien nous le faire croire, un rassemblement hétéroclite de va-nu-pieds soudés par un ressentiment religieux d'un âge antediluvien.
Nous sommes au XXIe siècle, pardi ! À l'heure de l'information planétaire, d'Internet, de la globalisation, inutile de nous prendre pour des demeurés mentaux. L'existence, la création de ces mouvements surarmés, surpuissants, surentraînés ont un mobile, une finalité, un but, même si apparemment c'est juste tuer pour tuer et remettre l'obscurantisme au goût du jour.
Le printemps arabe a fait long feu. On remplace ce pétard mouillé par quelque chose de plus efficace, radical et dangereux. Et là, ce n'est plus d'un épouvantail déglingué qu'il s'agit, mais d'une opération militaire dans les règles de l'art.
Malheureusement pour certains de nos politiciens cela est une chimère ; le coup de semonce de Ersal n'aurait été qu'une tempête dans un verre d'eau, certains allant même jusqu'à occulter l'existence de ces armées du mal. Comme si de rien n'était, ils se complaisent dans les veto sur le nom d'un nouveau président de notre République qui, quel qu'il soit, apporterait une bouffée d'oxygène à une population au bord de l'asphyxie.
Il faut cesser de faire l'autruche et avoir le courage de faire face aux situations, d'appeler les choses par leur nom. Depuis 1989, nous vivons au diapason de la guéguerre que se livrent messieurs Aoun et Geagea. Nul besoin de prendre quiconque à témoin, les séquelles de leurs batailles homériques étant toujours gravées dans notre chair et nos mémoires.
Que nous soyons neutres, avec l'un ou bien contre l'autre, nous en avons chèrement payé le prix. Il est impératif de tourner cette page noire de notre histoire, de regarder l'avenir sous un angle nouveau, pleins d'espoir, sereins, avec une mentalité nouvelle, des hommes nouveaux qui nous sortiront du suivisme aveugle où nous nous enfonçons.
Il est temps que du sang neuf coule dans les veines de notre République !
Nos Lecteurs ont la Parole - Georges TYAN
Ni l’un ni l’autre
OLJ / le 28 août 2014 à 00h45