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Moyen Orient et Monde - Tribune

L’Irak après Maliki

AFP/Getty Images

Le départ agité de Nouri al-Maliki de sa fonction de Premier ministre de l'Irak a rappelé de nombreuses sorties à suspense d'autres dirigeants politiques impopulaires. Pour de nombreux Irakiens, qui assistent à toutes les difficultés actuelles du pays à ses frontières, son départ ne s'est que trop fait attendre.
Maliki, selon ce point de vue, n'a eu de cesse de semer la division, entraîné par ses tendances autoritaires, par son manque de compétences politiques élémentaires et par son incapacité à diriger une armée en déroute. Mais son plus grand échec a été son incapacité à comprendre qu'une gouvernance réussie en Irak exige de tendre la main aux autres communautés, notamment aux sunnites et aux Kurdes. Au lieu de cela, M. Maliki a ordonné des arrestations préventives de jeunes hommes sunnites, dans l'attente présumée de leur défection à des groupes terroristes, et a traqué ses opposants politiques, en les chassant dans certains cas de son gouvernement (et dans un cas, en condamnant un homme à l'exil).


La plupart de ces récits comportent sans doute une part de véracité. Hélas, tous les problèmes ne viennent pas de là ! La tâche de son successeur modéré et de formation occidentale au poste de Premier ministre, M. Haidar al-Abadi, pour remettre les affaires en ordre ne sera pas facile. Après tout, les sunnites irakiens auraient toutes les raisons de soutenir Abadi maintenant que Maliki est parti.


En fait, Abadi aura fort à faire. L'Irak est en train de s'effondrer non seulement en raison de l'échec de Maliki à entrer en contact avec les 20 % de la minorité sunnite du pays, mais aussi en raison de l'incapacité des sunnites à adopter un pays dont l'expression politique majoritaire est chiite.
L'État islamique, pour prendre l'exemple le plus évident, n'est pas une conséquence de l'échec de M. Maliki à s'engager dans la main tendue aux populations sunnites. Rien ne semble indiquer que l'État islamique sunnite éprouve le moindre intérêt pour la main tendue par un dirigeant chiite. Ce que vise l'État islamique, c'est la destruction des membres « apostats » chiites et de leurs lieux de culte. Aussi obscur que l'État islamique puisse paraître, sa position sur ce point est sans ambiguïté.


Bien qu'une grande part du leadership de l'État islamique et qu'un grand nombre de ses recrues soient originaires d'Irak, le groupe a émergé au cours de la guerre civile en Syrie, comme une force bien financée et bien équipée. Mais l'EI ne s'est pas contenté d'éliminer le pouvoir alaouite en Syrie : il s'en est pris plutôt à tous ceux qui remettent en question son statut de véritable représentant des sunnites au Levant et ailleurs. Ainsi, il s'est attaqué à des membres des Frères musulmans, aux salafistes égyptiens et à l'Armée syrienne libre avec une grande férocité, à tel point que l'armée syrienne a parfois laissé agir les hommes de l'EI.
L'EI, comme de nombreux groupes de ce genre avant lui, peut toujours disparaître dans le désert et ne laisser aux familles des victimes que le souvenir des crimes commis. Mais ce qui ne sera pas oublié, en particulier parmi les Kurdes et les Arabes chiites, c'est le silence assourdissant du monde sunnite. Plutôt que de dénoncer le comportement barbare de l'EI, les membres du Conseil de coopération du Golfe, l'organisation régionale prééminente des États arabes, a publié une série de déclarations peu enthousiastes rejetant toute aide en faveur de l'EI suite à son entrée en Irak. Les pays du CCG ont surtout blâmé Maliki de ne pas faire davantage pour remédier à la frustration politique sunnite, comme si cela expliquait la campagne d'assassinats en masse de l'EI.
De même, ni les dirigeants sunnites de Bagdad ni les chefs de tribu en Irak de l'Ouest (dont certains ont accepté de l'argent de l'EI) n'ont fait grand-chose pour dénoncer le groupe. Au lieu de cela, les sunnites irakiens ont cyniquement utilisé l'invasion de l'EI pour renforcer leur influence dans le processus de formation du nouveau gouvernement.


Il est temps que les sunnites en Irak et ailleurs parlent et agissent avec bien plus de clarté et de cohérence, sur cette menace existentielle pour la civilisation dans le berceau de la civilisation. Tout d'abord, l'aide à l'EI, dont une part provient du Golfe, doit cesser. De 2005 à 2008, l'interdiction des combattants et de l'aide étrangère aux prédécesseurs de l'EI, el-Qaëda en Irak, a contribué de manière significative à la répression de l'insurrection sunnite.


Une solution pour neutraliser l'EI doit également fournir une issue à la crise en Syrie. Une telle solution devra être multidimensionnelle et il y aura probablement des frappes aériennes contre l'EI en Syrie : une éventualité pour laquelle personne ne se réjouit.
Mais la Syrie ne sera pas stabilisée uniquement par des frappes aériennes. Il doit y avoir une offensive diplomatique renouvelée pour établir un consensus, d'abord parmi les puissances extérieures, puis entre les parties au conflit, sur l'avenir de la Syrie. S'agira-t-il d'une république fédérale? Un système à base de cantons? Peut-être devrait-il y avoir un Parlement bicaméral avec une Chambre haute commune, qui puisse opposer son veto à ce qu'une majorité sunnite ne promulgue des lois à la Chambre basse.
L'articulation des arrangements politiques futurs en Syrie, aussi utopique que cela puisse paraître aujourd'hui, est probablement la meilleure façon d'aider l'opposition modérée assiégée du pays et de démasquer les opposants. Le président Bachar el-Assad ne devrait pas faire partie de l'avenir de la Syrie, mais cette question peut être différée pour le moment, alors que les moyens de communication avec les Alaouites et d'autres qui continuent à se battre pour lui sont bien établis.


Il y aura ceux qui diront que cela aurait dû être fait il y a deux ans. Mais nous ne devons pas nous consoler en pensant que mieux vaut tard que jamais. Compte tenu de la dynamique et de la complexité de la guerre civile en Syrie, il est probable que les combats se poursuivront dans deux ans, quand certains vont sans doute regarder en arrière et dire qu'une autre voie était possible, vous l'aurez deviné, deux ans auparavant.

 

© Project Syndicate, 2014.

 

Christopher R. Hill, ancien secrétaire d'État adjoint des États-Unis en Extrême-Orient, est doyen de la Korbel School pour les études internationales à l'université de Denver. Son prochain livre s'intitule « Outpost ».

 

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