Ils étaient là bien avant que le quartier ne soit à ce point transformé en « destination gastronomique, nocturne et touristique ». Que sa vie, qui faisait l'identité de Mar Mikhael, ne soit, comme ailleurs dans Beyrouth, peu à peu effacée. Mohammad Fayad, (ex-) avocat, acteur de théâtre, journaliste, animateur à Radio-Liban, propriétaire du restaurant Mo, et Tony Sfeir, autrefois à la tête et au cœur de la CDthèque, aujourd'hui de Plan B, galerie-librairie-maison d'édition, de l'espace d'exposition éphémère Zawal et enfin de la maison d'hôte BEYt, dans la même rue, ont fait ensemble ce pari étonnant, et totalement à contre-courant des concepts commerciaux qui se veulent surtout rentables : proposer dans leur restaurant 3 à 4 plats, selon les ingrédients du jour, entre asiatiques et libanais. Pas d'addition, à Mótto, le tarif, qui n'inclut évidemment pas les boissons alcoolisées et le café, est laissé à la discrétion du client. « Après un an et demi de travail au restaurant Mo, j'étais fatigué, avec une envie de partir », confie Mohammad. La formule, imaginée par les deux compères, qui donne à la restauration de nouvelles et plus modestes lettres de noblesse, au Liban surtout, le retient et lui donne envie de jouer les prolongations. « Nous avons voulu de cette manière alléger le poids des frais quotidiens, et surtout préserver cet endroit qui existe depuis 1959. Un restaurant qui servait du foul et du hommos ! »
Dégustation
Ce midi du mois d'août, la rue est calme, amicale, familiale. Devant le restaurant Mótto, deux vespas, elles aussi baptisées Mo et To, sont garées devant deux petites tables dressées dehors, agrémentées d'un vase avec quelques fleurs, d'une carafe d'eau, d'une assiette de zaatar, d'olives et de pain. De la petite lucarne qui communique avec l'intérieur s'échappent les murmures des personnes attablées. Tout le monde semble se connaître, même si c'est depuis quelques minutes, et tout le monde, une vingtaine dans un espace de 23 m2, et 9 en étage, semble heureux. Une balustrade, copiée de l'immeuble d'en face, plus ancien, un carrelage blanc qui continue le long du mur, une simplicité accueillante, tout a été fait pour « inscrire les lieux dans leur environnement. » Sur le tableau, au-dessus du comptoir, les plats, concoctés ce jour-là par le chef Nimal : kebbé bel sanyé, curry de betteraves et poisson séché à la noix de coco. Rien de très inhabituel, sinon cette mention : « Pay what you think is fair »...
« Nous qui habitons ce quartier, précise Tony Sfeir, nous ne voulions plus réfléchir longtemps avant de savoir où manger, quoi manger, et à côté de qui on sera placé. Ce qui devient de plus en plus compliqué. Les choses ont été plus faciles puisque l'espace et le chef existaient. » Midi et soir, avec certaines variantes, la « communauté » d'habitués qui décident du montant à payer s'est vite formée. « Excellent, chef ! » lui lance un client avant de régler son repas et celui de ses deux invités, qui lui auront coûté, parce qu'il l'a décidé ainsi, 90 000 LL. « Ceux qui viennent plusieurs fois dans la semaine payent évidemment moins, et c'est normal. » De mauvaises surprises ? « Non, confie Tony. Les gens sont plutôt généreux et justes. » Et ça marche ! « Nous arrivons avec des produits frais, en prouvant qu'il est possible de faire de la bonne cuisine sans être nécessairement chers. Nous n'avons jamais jeté de la nourriture, jamais recyclé, ce qui est bon signe ! »
Plus encore
Pour ces mêmes raisons, une guerre pacifique qu'il fait contre les promoteurs aux dents longues, Tony Sfeir a récupéré une superbe vieille maison, située au-dessus de Plan B, « par crainte, confie-t-il, qu'elle ne devienne encore un restaurant ou un night-club ». Avec Abdallah el-Machnouk, ils l'ont transformée en maison d'hôte, comprenant un grand salon, quatre chambres et quatre salles de bains, un charmant jardin, le tout baignant dans les parfums des maisons de nos grand-mères ! Baptisée BEYt, tous les meubles y sont d'origine, des années 50 à 70. De même, lorsqu'un espace, juste à côté, se vide, Tony le transforme en Zawal, une salle d'exposition éphémère. Pour ces quatre projets, l'objectif est atteint. Dans cette ruelle étroite, qui semble protégée de l'agitation, quelques mètres plus loin, la vie est plus douce et les gens plus sereins.
Il est plus de 15 heures, certaines tables sont encore occupées, sans doute pour prolonger ce moment de convivialité et vivre Mar Mikhael autrement, comme on l'aime.
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